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Stein van Oosteren : «Le vélo va exploser au Luxembourg»


«Quand vous roulez un kilomètre en voiture, c'est comme si vous preniez 89 centimes à la collectivité», a calculé Stein van Oosteren. (photo Valentin Cebron)

Lors d’une journée consacrée au vélo au Luxembourg par l’ambassade des Pays-Bas, Stein van Oosteren et d’autres experts ont enfourché leur bicyclette pour une balade diagnostique.

L’ambassade des Pays-Bas au Luxembourg ainsi que la Dutch Cycling Embassy ont invité experts, politiques et membres de l’ASBL ProVelo.lu à un après-midi visant «à inspirer et à échanger les meilleures pratiques pour promouvoir le vélo au Luxembourg». Parmi les intervenants, le Franco-Néerlandais Stein van Oosteren, expert des mobilités, auteur, conférencier et chroniqueur, entre autres casquettes.

Lors de votre venue au Luxembourg, qu’avez-vous pensé des infrastructures cyclistes ?

Stein van Oosteren : J’ai trouvé des pistes magnifiques, comme sur l’avenue Kennedy dans la capitale, la piste la plus aboutie du Luxembourg. Elle est parfaite. Je suis rentré le soir, à 30 km/h sur mon vélo, je ne gênais personne. C’était fantastique. Quant à la passerelle sur le pont Adolphe, c’est un véritable bijou en termes d’expérience, même les experts néerlandais étaient vraiment très, très, très surpris. Et le pont cyclable à Esch! C’est le plus grand en Europe, mais on en parle peu. Ça veut dire que le Luxembourg n’a pas encore pris la mesure de l’objet de fierté que peut être le vélo pour une ville ou un pays.

S’il y a des alternatives globales et cohérentes, les gens vont massivement se mettre au vélo

Pensez-vous que les Luxembourgeois soient prêts à troquer leur voiture contre un vélo ? 

Il faut demander aux habitants dans quelle ville ils veulent vivre. Quand vous posez cette question, généralement, ils répondent ce que vous voyez sur les publicités des promoteurs immobiliers. Sur les affiches, c’est toujours la même chose : une rue avec de la verdure, des arbres, des piétons, des vélos et aucune voiture. Cela signifie que les gens ne veulent pas vivre dans une ville totalement remplie de voitures.

À partir de ce moment-là, si vous voulez prendre ça au sérieux, il faut mettre en place un système qui permette de se déplacer autrement. Parce que, contrairement à ce qu’on peut penser, s’il y a autant de voitures au Luxembourg, ce n’est pas parce que ce sont tous des fanatiques de la voiture, pas du tout. C’est parce qu’on ne leur offre pas encore d’alternatives globales et cohérentes. Et je peux vous dire qu’à partir du moment où il y en aura, ils vont massivement se mettre au vélo. D’autant qu’avec les vélos électriques, le relief n’est plus un problème.

Concrètement, que faudrait-il modifier à Luxembourg pour que les gens se déplacent davantage à vélo ?

C’est très simple : il faut un réseau cyclable continu. À un moment donné, quand vous roulez à vélo, vous arrivez à un endroit et là, la piste s’arrête. C’est pour ça que les gens ne font pas de vélo. Ensuite, il faut réduire la vitesse. Les axes à 50 km/h sont inutiles, parce que vous n’allez pas aller plus vite, ça crée des embouteillages. Comme l’a dit le journaliste Olivier Razemon, ça ne sert à rien, sauf à impressionner les autres ou à vous donner raison d’avoir acheté une voiture. Réduire la vitesse à 30 km/h apaise le trafic, le rend moins dangereux et la probabilité de mourir en cas de choc diminue.

Aux heures de pointe, c’est rare de pouvoir rouler à 50 km/h. Les voitures avancent plutôt parechoc contre parechoc.

Quand on voit une ville embouteillée, on aurait tendance à se dire qu’il faut plus d’espace pour la voiture. Or il faut faire le contraire pour que cet espace gagné puisse être consacré à des alternatives, comme les transports en commun, le vélo ou la marche. Et là, le trafic va se fluidifier. En fait, le cycliste, c’est le meilleur ami de l’automobiliste, parce que si ces derniers sont aujourd’hui englués dans les embouteillages, c’est parce qu’ils sont entourés de personnes qui pourraient faire autrement si on leur offrait un réseau cyclable.

Et il faut aussi réduire le volume de voitures, ne plus permettre que la ville puisse être traversée partout en voiture. Et puis, les cyclistes doivent être séparés des automobilistes le plus possible, surtout sur des grands axes. Comme sur l’avenue Kennedy, qui est un excellent exemple. Mais je vais vous en donner un autre. Nous avons, lors de notre balade, traversé un parc. Aujourd’hui, ça marche parce qu’il n’y a pas encore beaucoup de cyclistes. Mais je sais déjà que quand le vélo va exploser au Luxembourg, et c’est sûr que ça va arriver, il y aura des conflits. Et du coup, ça va abîmer l’image du cycliste et dégrader l’évolution du vélo dans le pays.

Ce que vous dites est déjà en train de se produire. Dans les parcs, les cyclistes obligent les piétons à se pousser et représentent un danger pour les enfants et les promeneurs. 

Le vélo est encore dans l’esprit de beaucoup vu comme un loisir. Le jour où on le considérera comme un transport légitime, on comprendra qu’il ne faut pas le faire passer par des petits chemins dans des parcs où il embête les piétons. C’est très psychologique comme sujet. Pour pouvoir prendre l’espace sur la rue, sur la voiture… il faut être convaincu que c’est un véritable mode de transport.

Vous connaissez sans doute ces reproches qu’on fait parfois à des pistes cyclables sur lesquelles il n’y a pas de vélo tout le temps. On dit qu’elle est vide, que c’est scandaleux d’avoir pris cet espace inutilisé. Pourtant, quand on regarde les rails pour le train, vous ne voyez jamais de train dessus, et pour les routes, vous pouvez très facilement prendre des photos au moment où il n’y a pas de voitures. Ça arrive aussi tout le temps, notamment hors des heures de pointe. Là, personne ne va dire : « Nous avons décidé d’enlever ce rail ou cette route parce qu’il n’y avait pas assez de trafic ».

Que manque-t-il ?

La cohésion. C’est le premier des cinq principes d’aménagement des pistes cyclables de la Dutch Cycling Embassy. Il faut qu’il y ait une cohésion, il faut que ce soit direct. Il faut que ce soit sécure, il faut qu’il y ait du confort et que ce soit attractif. Et en fait, dès que vous avez cette approche globale, avec un réseau cyclable qui est lisible et compréhensible, là ça va être bon. Quand j’étais dans l’hôtel, pour tester, j’ai demandé à l’hôtelier comment je pouvais me déplacer à vélo. Il m’a alors donné une carte, mais c’était une carte des balades touristiques. Alors que moi, je voulais me déplacer pour des raisons professionnelles. Dans l’esprit des gens, il n’y a pas de carte mentale qui va me dire où est-ce que je peux aller.

La particularité du pays, ce sont aussi les frontaliers qui viennent travailler en voiture chaque jour. Vous pensez qu’ils devraient la laisser près d’une gare et prendre le train avec leur vélo pour se déplacer ensuite avec ?

C’est exactement de ça dont nous avons beaucoup parlé. Comment faire pour créer des parkings intermodaux où des gens garent leur voiture et prennent ensuite le vélo ? Effectivement, ça s’organise. Non pas par idéologie, mais parce que le vélo a un impact positif sur la ville, alors que celui de la voiture est négatif.

Quand vous roulez un kilomètre en voiture, c’est comme si vous preniez 89 centimes à la collectivité parce qu’il faut créer des parkings, beaucoup de routes. Ça crée de la pollution, du danger, et ça rend les gens malades, car c’est sédentarisant, etc. Mais si vous faites ce même kilomètre à vélo, c’est comme si vous donniez 26 centimes à la collectivité.

Pourquoi ? Parce que vous réduisez la pollution et le bruit, le territoire devient plus attractif, même pour l’activité commerciale. Et les gens sont en meilleure santé, tout simplement : aux Pays-Bas, ils ont chiffré qu’ils investissent chaque année 510 millions d’euros dans le vélo, soit 30 euros par Néerlandais. Et ça rapporte 19 milliards d’euros en termes de frais de santé évités. Parce qu’en fait, quand les gens bougent, ils tombent moins malades, ils coûtent moins d’argent à la collectivité. Donc c’est un modèle économique.

Pour ses 40 ans en 2025, ProVelo.lu souhaiterait organiser, lors de la semaine européenne de la Mobilité, une Journée sans voiture à Luxembourg. En quoi serait-ce utile ?

C’est une excellente idée. Si vous organisez une journée sans voiture, c’est comme si vous grignotiez un peu de place virtuellement à l’automobile. Vous montrez que c’est possible d’utiliser autant d’espace pour autre chose que la voiture. Dans les années 70, les Pays-Bas étaient un pays du tout-voiture. Le choc pétrolier est arrivé, il n’y avait plus d’essence. Les Néerlandais sont allés sur l’autoroute, vidée des voitures, pour faire du patin à roulettes, du vélo, pour pique-niquer… Ça leur a montré qu’en fait, tout cet espace pouvait servir à autre chose qu’aux voitures, cela a ouvert un espace de créativité dans l’esprit qui a permis d’imaginer cet espace autrement.

Lors de la journée consacrée au vélo en novembre, y a-t-il eu des annonces ?

Yuriko Backes a dit pendant son allocution qu’elle et son équipe ont choisi le rouge pour peindre les pistes cyclables, comme aux Pays-Bas. C’est une sacrée déclaration, parce qu’en fait, en disant ça, elle légitime aussi le vélo comme un réseau visible. Pas comme un patchwork, une sorte de réseau de confettis, mais un véritable réseau, comme le rail. Aujourd’hui, il y a déjà des bouts qui sont rouges, mais seulement sur les carrefours. Là, l’idée, c’est de le faire intégralement dans tout le Luxembourg.

Si vous faites ça, vous allez avoir la même chose qu’aux Pays-Bas, c’est-à-dire que vous pourrez lâcher un enfant n’importe où, et il pourra se déplacer en sécurité sans que ses parents aient besoin d’avoir peur. Et ça, c’est un énorme gain pour le pays, parce que ça donne de l’autonomie et une meilleure santé à l’enfant. On ne le transporte plus comme un petit légume dans la voiture.

Allez-vous revenir au Luxembourg ?

Je vais participer à un autre grand évènement, mais cette fois-ci public, en 2025. Je présenterai un film qui montre la transition des Pays-Bas : comment ils sont passés de pays du tout voiture à pays du vélo. Et l’objectif sera d’en discuter de manière publique, avec plusieurs centaines de personnes. Parce qu’en fait, si vous voulez changer la mobilité, il faut aussi ouvrir le débat. On ne peut pas imposer un système, il faut en discuter. Les gens doivent pouvoir s’exprimer, poser leurs questions, etc. Et c’est ce que nous allons faire. Ça sera la deuxième partie du travail entrepris avec les autorités locales.

Finalement, promouvoir le vélo, c’est avant tout un courage politique ?

Il faut trois choses que j’appelle les « 3 C ». D’abord que les citoyens soient demandeurs. La deuxième chose, c’est le courage, effectivement, politique. Il faut que les politiques, en l’occurrence Mme Backes, puissent absolument développer ça. Et malheureusement, il faut un troisième C, parce que même ça, ça ne suffit pas. Il faut des chocs. L’humain a beaucoup de mal à changer et pour le faire, il a besoin de chocs. On a vu déjà le choc pétrolier, on a vu aussi des grèves qui permettent aux gens de découvrir le vélo.

Repères

État civil. Stein van Oosteren est né le 9 janvier 1973 à Nimègue, aux Pays-Bas. Il est marié, sans enfants. Il a trois chats.

Formation. Philosophe et psychologue.

Parcours associatif. Cofondateur et ancien porte-parole du Collectif Vélo Île-de-France. Conférencier sur la ville de demain et la transition écologique.

Écrits. Auteur de Pourquoi pas le vélo? Envie d’une France cyclable paru aux éditions Écosociété et 50 Bonnes Raisons de faire du vélo aux éditions Makisapa.

Glossaire. Le Dutch Cycling Embassy est un réseau d’organisations publiques et privées pour la promotion de la pratique du vélo pour tous. Nous représentons le meilleur du cyclisme néerlandais: connaissances, l’expérience d’experts venant de compagnies privées, ONGs, instituts de recherche, les autorités publiques nationales et locales.