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Stages rémunérés : «Une adaptation de la loi n’est pas exclue»


Ann Bertemes et l’ACEL finaliseront dans les semaines à venir leurs revendications pour une meilleure application de la loi sur les stages. Il existe l’idée que l’État devrait débloquer une enveloppe financière pour soutenir les entreprises. (photos Julien Garroy)

La présidente de l’ACEL, Ann Bertemes, déplore que la loi réglant les stages en entreprise ne soit toujours pas appliquée correctement. Des tractations sont engagées avec le gouvernement et le patronat.

L’Association des cercles d’étudiants luxembourgeois (ACEL) a globalement bien résisté à la pandémie de coronavirus. L’année 2022 a permis un retour à une activité et une vie d’étudiant plus normales. Désormais, les répercussions de la crise énergétique guettent les étudiants. La loi sur les stages et les revendications en vue des législatives d’octobre sont deux autres dossiers majeurs qu’aura à gérer le comité présidé par Ann Bertemes.

Début 2022, votre prédécesseur, Polina Bashlay, déplorait dans nos colonnes que la pandémie de covid ait eu pour effet de voler aux jeunes leur vie d’étudiant. La situation s’est-elle normalisée, au bout d’une année moins marquée par le coronavirus ?

Ann Bertemes : Les mois de janvier et février étaient encore très tendus avec une forte augmentation des infections. Nous avions alors peur que ça reparte dans le même sens qu’en 2021. Plusieurs manifestations ont encore dû être annulées. Mais à partir des mois de mars et avril, les cercles d’étudiants ont pu retrouver une activité normale. Voici un exemple que je peux vous donner : nos voyages d’immersion dans les différentes villes universitaires proposés aux futurs étudiants.

En juillet, le grand bal des étudiants de l’ACEL a, lui, battu tous les records. La foire de l’Étudiant a pu être organisée normalement en novembre. On est contents d’avoir retrouvé la normalité d’avant-covid. Le virus reste présent, mais il ne domine plus autant notre vie d’étudiant.

Dans les différentes villes universitaires à travers l’Europe, les cours en présentiel et autres activités ont-ils également pu reprendre normalement ?

Les retours que nous avons obtenus par les membres du comité et les cercles d’étudiants confirment que les villes universitaires ont également retrouvé une vie normale. Je pense que ce sont surtout les jeunes qui ont entamé leurs études supérieures en septembre dernier qui vont vraiment découvrir pleinement la vie d’étudiant telle qu’on l’a connue avant le début de la pandémie.

À l’image du bénévolat en général, les cercles d’étudiants ont-ils également souffert de la crise du covid ?

Les plus grands cercles ont mieux résisté à cette période que les plus petits. Le cercle des Étudiants luxembourgeois en sciences de l’information et de la communication (Elsic) a été contraint de se dissoudre faute de membres suffisants. Ceci est d’autant plus dommageable que beaucoup d’étudiants restent engagés dans cette voie, sans toutefois avoir réussi à nouer le contact avec l’Elsic.

Le cercle qui regroupait les étudiants de la région de Francfort et Mayence, le LSRM, va aussi se dissoudre. Aux Pays-Bas, le cercle qui regroupait tous les étudiants luxembourgeois s’est scindé en deux, avec désormais un cercle basé à Maastricht et un autre à Amsterdam. Tandis que les uns ont beaucoup de mal à recruter des membres pour leur comité, d’autres cercles ont connu un important reflux.

En la matière, beaucoup dépend de l’année d’entame des études. Ceux qui ont débuté en 2020 ou 2021, en pleine pandémie, ont peut-être une autre motivation que ceux qui étaient déjà là auparavant. Entretemps, nous avons, à la suite d’un sondage, identifié des étudiants luxembourgeois à Stuttgart et Tübingen, en Allemagne, qui pourraient être tentés de créer un nouveau cercle.

Vous avez été élue le 26 décembre à la tête de l’ACEL. Quelles sont les priorités que s’est fixées le comité renouvelé ?

Il y a tout d’abord le programme de travail classique, qui comprend les voyages d’immersion, baptisés « Student fir 1 Dag« . En 2022, 20 cercles ont accueilli des futurs étudiants pour leur présenter leur ville et leur université. Quelque 400 élèves ont participé à ces voyages. L’offre doit encore s’agrandir avec de nouvelles destinations comme Düsseldorf. On partira aussi à Zurich et Amsterdam en bus. En avion, il est possible de se rendre à Berlin, Munich et Vienne.

Un autre objectif est de faire estampiller notre grand bal des étudiants comme « Green Event« . Une plus grande durabilité est un objectif que nous poursuivons dans tous nos évènements et manifestations. Un projet à moyen terme, qui sera lancé courant 2023, est la numérisation de nos guides d’information pour futurs étudiants et futurs diplômés. Pour l’instant, ils sont disponibles en version imprimée et en PDF. L’idée est de rendre la version numérique plus interactive.

Dans le domaine de l’information, la foire de l’Étudiant est, depuis le début de la pandémie, organisée en mode hybride. Elle a migré de Luxexpo à la Maison des arts et des étudiants sur le campus Belval de l’université du Luxembourg. Cette nouvelle formule satisfait-elle l’ACEL ?

À l’automne dernier, nous avons été contraints de limiter l’accès à la foire en raison d’un manque de capacité pour accueillir les visiteurs. Un débriefing avec le ministère de l’Enseignement supérieur doit avoir lieu courant janvier. Je pense qu’il est bon de maintenir la plateforme d’information en ligne. Elle permet aux élèves qui veulent s’informer davantage de venir mieux préparés à la foire et de poser des questions plus ciblées. Cette plateforme constitue aussi un avantage pour les cercles d’étudiants, qui peuvent se présenter en quelques clics à peine. Il reste à savoir combien de personnes ont utilisé cette plateforme en 2022. Nous ne disposons pas encore de chiffres.

Même si l’expérience à Belval n’a pas été mauvaise, nous allons tout de même relancer le ministère sur l’opportunité de retourner à Luxexpo. Ce qui a un peu manqué à Belval, c’était la présence d’institutions qui peuvent intéresser les jeunes qui ne comptent pas entamer d’études supérieures. L’accent a été mis sur le seul volet universitaire. Mais en fin de compte, la foire est organisée par le ministère, et nous, en tant qu’ACEL, avec nos cercles membres, sommes contents de pouvoir être présents.

Ni l’ensemble des patrons ni l’ensemble des étudiants n’ont pleinement connaissance de la loi sur les stages

Le troisième grand volet de votre travail est la représentation des étudiants à l’échelle nationale. L’ACEL déplore ainsi que la nouvelle loi sur les stages ne soit toujours pas appliquée correctement. Quelles démarches sont entreprises pour enfin mieux ancrer ce texte sur le terrain ?

Notre groupe en charge de la représentation s’est fortement engagé dans ce dossier en 2022. Un large échange a eu lieu avec les cercles, et plus particulièrement les cercles regroupant des études spécifiques telles que l’ingénierie, le droit, l’économie ou la médecine. Nous avons également eu des entrevues avec la Chambre des salariés et l’Union des entreprises luxembourgeoises. Cette collecte d’informations va à présent faire l’objet d’un tri pour établir un document de synthèse avec des revendications concrètes que nous allons soumettre aux ministères du Travail et de l’Enseignement supérieur. L’objectif est d’avoir clôturé cet exercice avant la fin du mois de mai.

Quel retour avez-vous obtenu du camp patronal, qui semble réticent à respecter l’obligation d’offrir des stages rémunérés aux étudiants ?

Ni l’ensemble des patrons ni l’ensemble des étudiants n’ont pleinement connaissance de cette loi et sous quelles conditions un stage doit être rémunéré ou pas. Il existe clairement un manque de communication dans les deux camps. Le facteur financier joue également un rôle. Une petite entreprise qui offre un stage à un étudiant ne dispose pas forcément de l’argent pour le rémunérer. Il existe l’idée que l’État devrait débloquer une enveloppe financière pour soutenir les entreprises. En tant qu’ACEL, nous n’avons cependant pas encore établi en détail nos propositions et revendications.

L’ACEL, présidée par Ann Bertemes, déplore la dissolution de plusieurs cercles d’étudiants qui ne se sont pas remis de la crise du covid. Photos : julien garroy

Dans le contexte de crise actuel, la loi sur les stages ne risque-t-elle pas de s’avérer contre-productive avec des patrons qui refusent des stages à des étudiants qui en ont pourtant besoin pour boucler leur formation ?

Nous avons, en effet, de tels retours émanant de différents secteurs où il n’a encore jamais été évident de décrocher un stage. Si, en plus, il faut rémunérer le stagiaire, les portes se ferment rapidement. Les ingénieurs ou étudiants en économie ont beaucoup plus d’aisance à trouver un stage rémunéré. Cela est néanmoins plus difficile dans d’autres secteurs d’activité qui sont plus rares au Luxembourg, dont les archivistes. Un des enjeux sera de définir ou redéfinir les stages qui devront être rémunérés ou pas. Une adaptation de la loi en vigueur n’est pas à exclure.

L’année 2023 sera marquée par les élections législatives en octobre. Comment l’ACEL compte se positionner par rapport à ce scrutin ? Est-il envisagé de soumettre un catalogue de revendications aux partis ?

Les réflexions en interne sont entamées depuis un certain temps déjà. On a bien prévu de rédiger un genre de programme électoral signé par l’ACEL. Pour l’instant, il est prévu de soumettre ce document en mai ou juin aux partis. Les grandes lignes de nos revendications doivent être établies pour notre pot de nouvel an, fixé au 26 janvier. On aura la chance d’accueillir un bon nombre de politiciens. Les ministres et députés présents en profitent toujours pour échanger plus longuement avec les étudiants. Ce sera donc une bonne occasion pour leur faire passer l’un ou l’autre message en prévision des élections.

Pouvez-vous déjà en dire plus sur les revendications qui seront formulées ?

La loi sur les stages continue à figurer tout en haut de notre agenda. L’aide financière pour études supérieures a été revue à la hausse lors de la tripartite de fin mars 2022. Il faudra réévaluer la situation, aussi en fonction de la personne qui va prendre en main, après octobre prochain, le ministère de l’Enseignement supérieur. D’une manière plus globale, il nous faut rester très vigilants.

Après le covid, les étudiants sont aussi frappés de plein fouet par la crise énergétique. Avez-vous déjà des retours sur des étudiants qui ne parviennent plus à joindre les deux bouts en raison de l’explosion des prix ?

Nous sommes très contents d’avoir pu bénéficier de l’enveloppe supplémentaire de 10 millions d’euros accordée lors de première tripartite en 2022. Dans un premier temps, il s’agissait de contrebalancer les effets de l’inflation. Pour ce qui est de la crise énergétique, nous n’avons pas encore de retours concrets. On pense qu’il faudra attendre les décomptes annuels à venir pour voir plus concrètement si des étudiants vont connaître des difficultés à payer leurs factures. Pour l’instant, on est contents de ne pas avoir connaissance de tels cas. Nous sommes cependant préparés à ce que des demandes nous parviennent. Les travaux préparatifs sont engagés pour définir comment interpeller, le cas échéant, le gouvernement.