La «Space Week» a commencé hier par un séminaire organisé afin d’accélérer les discussions sur la création d’une base scientifique sur la Lune, dont les ressources sont plus prisées que jamais.
États-Unis et Chine côte à côte afin de parler d’exploration lunaire, voilà l’image, rare, qui s’est déroulée hier au Kirchberg, lors de la première journée de la «Space Week». L’événement, organisé jusqu’à jeudi dans les locaux du European Convention Centre Luxembourg, a réuni – lors d’un débat – des représentants de ces deux puissances, plus que jamais au coude-à-coude pour conquérir la Lune (lire ci-dessous).
D’un côté se trouvait Matthew Koeppe, représentant européen de la NASA et porte-drapeau d’Artemis, le programme spatial des États-Unis et de ses 21 pays associés, dont le Grand-Duché. De l’autre, Wang Zhongmin, du laboratoire chinois Deep Space Exploration Laboratory (DSEL) et ambassadeur de l’ILRS (projet commun de station de recherche lunaire internationale entre la Chine, la Russie et une douzaine de pays partenaires).
Mais, sur le sol luxembourgeois, pas l’ombre d’une concurrence. La journée était placée sous le signe de l’entente et de la discussion, chères à l’ONG «Moon Village Association» (MVA). Cette dernière, fondée en 2017, est à l’origine de ce séminaire réunissant représentants spatiaux chinois, américains, mais aussi luxembourgeois, japonais, égyptiens, coréens, italiens et allemands.
«Il n’y a pas de compétition»
«Notre objectif est de réunir les parties prenantes de différents pays, afin de discuter de questions communes liées à l’optimisation de l’exploration lunaire», résume Guiseppe Reinaldi, président de MVA, qui porte comme projet la construction du «Moon Village», une base lunaire permettant d’accueillir des scientifiques internationaux, pour étudier et y vivre sur le long terme. Avec leurs programmes respectifs d’installation sur la Lune, la Chine et les États-Unis pourraient poser les bases du village et seraient prêts à collaborer. «Il n’y a pas de compétition, il appartiendra à la société internationale, en particulier aux Nations Unies, de trouver un moyen de mettre en place une interface afin d’unifier les normes et d’assurer l’interopérabilité, pour disposer d’une infrastructure commune pour la main de l’homme», assure Wang Zhongmin.
À terme, cette base pourrait donc remplacer l’ISS, la station spatiale placée en orbite, et dédiée à la recherche. Avec un pied- à-terre sur la Lune, les scientifiques seraient plus efficaces pour analyser et exploiter les ressources lunaires. Passer de l’ISS au «Moon Village» marquerait alors la fin de l’exploration spatiale, commencée dans les années 1960, pour laisser place à l’expansion humaine. «Il y a eu un énorme creux, et puis maintenant, la Lune est devenue une cible extrêmement importante» constate Marc Serres, CEO de la Luxembourg Space Agency (LSA). «Tout le monde veut aller sur la Lune, toutes les grandes nations ont un programme pour y aller et même nous, le Grand-Duché. Définitivement, la Lune est en train de vivre une nouvelle ère.»
Des questions en suspens
À l’aube du retour de l’homme sur la Lune, lui qui n’y a pas mis les pieds depuis 1972, bon nombre de questions restent en suspens pour la base et son exploitation. Comment la construire ? Quelle gouvernance pour la gérer ? Comment l’alimenter en énergie ? À qui appartiennent les ressources lunaires ?
« Nous avons besoin d’ouvrir le débat, mais ce n’est pas toujours facile dans le cadre des Nations Unies» fait savoir Marc Serres. C’est justement pour remédier à la lenteur et la complexité des discussions institutionnelles que MVA a été créé. «Nous faisons ce que nous appelons le rôle de courtier honnête afin d’améliorer la communication, de sorte que lorsque la discussion s’engage au niveau officiel, les devoirs ont déjà été faits» explique Guiseppe Reinaldi.
Pour ce faire, l’association a envoyé en 2022 un rapport annuel réalisé par ses adhérents, que ce soit des agences spatiales ou des universités, au Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique des Nations Unies (COPUEO). Depuis lors, des groupes de travail ont été créés entre la MVA et le COPUEO, prouvant ainsi l’accélération des discussions pour installer l’homme sur la Lune.
Se préparer pour Mars
Forcément, cette soif d’implantation sur notre satellite se fait aussi en écho avec la situation sur Terre. «Tout le monde sait que la Terre est une bougie qui peut s’éteindre. Nous ne pourrons pas vivre pour toujours avec, il faudra trouver une seconde maison», lance Wang Zhongmin. Face à l’urgence, l’heure semble donc à l’union, comme le souhaite ardemment le président de MVA : «Mon rêve est qu’à l’avenir, lorsque chacun aura développé sa propre infrastructure, son Artemis et son ILRS, alors ils feront tous partie de ce village lunaire mondial créé pour le bien de l’humanité».
Bien que le «Moon Village» soit encore au stade de la discussion, sans date ni échéance, sa construction serait aussi un pas de plus vers Mars, selon le représentant chinois : «La Lune est ce que nous avons de plus proche, alors nous devrions l’utiliser comme environnement pour s’entraîner et acquérir de l’expérience, afin de se préparer pour l’étape suivante».
Le Luxembourg : dans la Lune mais bon élève
Si la «Moon Village Association» a choisi le Grand-Duché afin d’y installer son séminaire, c’est grâce à l’expertise nationale acquise sur l’exploration lunaire. «C’est l’endroit idéal pour organiser une réunion en Europe» complimente Guiseppe Reinaldi, président de la MVA. «Nous avons de bonnes relations avec la Luxembourg Space Agency, car c’est la seule agence spatiale européenne qui aie toujours valorisé les ressources spatiales, notamment les ressources lunaires.»
«Bien sûr, on reste un petit pays, mais il suffit d’avoir l’ambition et se donner les moyens intellectuels d’y arriver», reconnaît Marc Serres, CEO de la LSA. Entre autres, l’agence spatiale a présenté en juillet dernier «Tenacious», un rover conçu au Luxembourg pour aller sur la Lune, afin d’y récolter des données et de la matière. Un projet pionnier au niveau mondial dans l’utilisation des ressources spatiales.
Artemis ou ILRS : qui sera le premier ?
Comme lors de la guerre froide, la dynamique pour s’installer sur la Lune est aussi le fruit d’une course, plus ou moins assumée, entre deux blocs : les États-Unis, face à la Chine et la Russie. D’ici 2026, les Américains et leurs alliés souhaitent amener un équipage sur la Lune grâce au programme Artemis, dévoilé en 2019, afin d’y installer un poste permanent.
L’ILRS est, lui, un projet annoncé en 2020 par la Chine et la Russie, qui souhaitent installer un laboratoire, dont la phase de construction est prévue entre 2025 et 2035. Pour savoir qui mettra le pied le premier sur la Lune, le pronostic n’est pas si simple, car les États-Unis cumulent les retards. À cause de problèmes de ravitaillement, de vols notamment, l’échéance de 2026 pourrait se déplacer à 2027, selon des experts qui estiment que la Chine, elle, accélère afin de se poser en 2029, pour le 80e anniversaire de la République populaire.