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Sida : «Ma vie a basculé ce jour-là»


Un authentique témoignage d'une femme qui a contracté le VIH : les élèves ont été à l'écoute, vendredi, au lycée Vauban (Photo : Julien Garroy).

Les élèves du lycée Vauban ont participé vendredi matin à une journée de sensibilisation au virus du sida organisée par le CHL. Ils ont rencontré Jennifer Jako qui a contracté le VIH à 18 ans.

On m’avait dit que je n’atteindrais pas les 25 ans.» Ces mots, difficiles à entendre, Jennifer Jako, venue des États-Unis, a dû les supporter alors qu’elle était âgée de seulement 18 ans. La jeune fille fragile de l’époque est aujourd’hui une militante, une cinéaste, une photographe et une designeuse de 46 ans mais aussi une maman. Mariée depuis 23 ans, elle a une fille, Bianca, âgée de 13 ans. Son «miracle», dit-elle.
Car Jennifer Jako, née en 1973, n’imaginait pas qu’elle vivrait aussi longtemps avec le virus du sida. Elle avait de l’espoir, des ambitions, «des rêves»… Lorsqu’on lui a annoncé qu’elle avait été infectée par le VIH, ils ont été balayés d’un revers de la main : il a suffi d’une fois.
«Et à l’époque, ce n’était pas comme aujourd’hui, raconte-t-elle. On ne nous annonçait pas que l’on pourrait avoir une vie normale. On nous annonçait que nous allions mourir très jeune.»

Une soirée alcoolisée, puis la culpabilité

Vendredi, à l’occasion de la journée mondiale de Lutte contre le sida qui aura lieu dimanche, elle est venue raconter son histoire aux élèves du lycée Vauban. Ces derniers ont participé à une journée de sensibilisation organisée par le service HIV Berodung de la Croix-Rouge luxembourgeoise, le Luxembourg Institute of Health et le centre hospitalier de Luxembourg, où la rencontre a eu lieu.
Et malgré l’habitude de se trouver face à des gens pour expliquer son parcours, malgré les nombreuses invitations qu’elle reçoit à travers le monde et qu’elle honore, pour elle, «parler, c’est toujours un peu difficile». Mais voilà, Jennifer Jako continue à militer, «car les statistiques des années 90 et celles d’aujourd’hui sont sensiblement les mêmes», explique-t-elle. Elle souhaite par son action «essayer de toucher un maximum de personnes, spécifiquement chez les jeunes». Car son histoire les touche au cœur.

Elle leur raconte comment, alors qu’elle avait 18 ans, elle a participé à une soirée étudiante pendant laquelle la consommation générale d’alcool a été «excessive». Elle leur raconte comment elle a fini par avoir des relations sexuelles non protégées avec un ami alors qu’elle n’en avait «même pas très envie». Elle raconte la culpabilité des jours qui ont suivi la soirée, de sa part à elle «et de la sienne aussi», mais sans penser aux conséquences de leur «égarement». Elle raconte son rendez-vous chez le médecin, huit mois après cette fameuse nuit.

«Je n’ai pas eu de symptômes, je n’ai pas été malade, mais huit mois plus tard, j’ai été faire un contrôle banal chez le médecin. Tous les tests étaient bons, sauf celui du VIH. Le médecin m’a alors dit que je ne vivrais pas longtemps. Ma vie a basculé ce jour-là.» Car il a fallu faire l’annonce à sa mère, à son père : «Ça les a rendus malades, d’autant plus que j’étais l’aînée de la famille, celle qui devait être un exemple pour ses sœurs», se souvient-elle avec pudeur.

«Faire attention à notre santé»

Du côté des élèves, face à ce discours, la prise de conscience semble réelle. «Je me rends compte que cela peut arriver à tout le monde», dit Lucy, 15 ans. «Et qu’il faut faire très attention à notre santé», poursuit Mathilde, du même âge. Le «plus touchant» pour elles? «D’avoir entendu qu’elle venait d’une famille très catholique et que la nouvelle les avait rendus tristes, avouent les jeunes filles. Ça nous a fait de la peine.»
Pour elles comme pour leurs camarades Quentin, Ryan, Marwan Noam et Ilona, âgés de 15 et 16 ans, cet entretien avec Jennifer Jako a également été une prise de conscience quant à leur réaction éventuelle face à la maladie d’un ami. «Je n’abandonnerai jamais un ami malade, j’irai le voir à l’hôpital», dit sans hésiter Quentin. «C’est évident que cela ne changerait pas notre comportement», répondent ses amis. Pour Noam, cette intervention était nécessaire. «On est à une époque où les rapports sexuels à 14 ou 15 ans ne choquent plus personne, où cela devient banal. Et c’est vrai que sans ce type de sensibilisation, il est possible de ne pas penser à se protéger. Jennifer Jako est partie pour s’amuser, pour passer une bonne soirée avec ses amis, et comme ça, d’un coup, sa vie a changé», dit-il.

Quelles leçons tirer de la venue de Jennifer Jako? «Que le sida ne se remarque pas sur le visage des personnes», répondent les filles, et «qu’il faut absolument prendre ses précautions». L’activiste, quant à elle, n’aura de cesse de continuer son combat «pour éviter à ne serait-ce qu’une personne de vivre ce que j’ai traversé», dit-elle, avant de conclure : «Vivez, amusez-vous, rêvez, mais ne cessez pas de vous protéger.»

Sarah Melis