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Série d’été Unesco : la révolution de l’eau à Luxembourg


L'eau potable est arrivée tardivement dans la Ville-Haute. Pendant des siècles, il fallait descendre jusqu'à la Pétrusse et l'Alzette. (photos Editpress/Claude Lenert)

Cet été, l’Unesco nous fait redécouvrir les trésors classés de Luxembourg à travers différentes thématiques déclinées en six articles. La semaine dernière, nous parlions des refuges des puissants. Cette semaine, pour le dernier volet de la série, nous abordons un thème essentiel à la vie : l’eau dans la capitale. Les cours d’eau ont façonné la ville, mais lorsque l’homme a maîtrisé cette ressource, il a révolutionné l’hygiène.

L’eau potable est arrivée tardivement dans la Ville-Haute. Pendant des siècles, il fallait descendre jusqu’à la Pétrusse et l’Alzette, un travail fastidieux réservé aux Waasserdréier (porteurs d’eau), qui acheminaient le précieux liquide dans des fûts ou des cruches depuis le Pfaffenthal jusqu’aux habitants. Ce vieux quartier, l’un des plus anciens de Luxembourg, fait partie des territoires classés au Patrimoine culturel de l’Unesco avec la forteresse.

Au Moyen Âge, les artisans cherchant la proximité de l’eau – tanneurs, brasseurs, teinturiers – s’installaient dans ce vieux quartier dont l’histoire est liée à l’eau. Une mémoire que le Syndicat d’intérêts locaux Pfaffenthal entend faire vivre.

«Avant les fontaines, il y avait les puits, dont certains étaient réservés à la garnison», raconte Robert Philippart, le site manager de l’Unesco. Cette eau potable (pour l’époque) n’était donc pas accessible à tout le monde.

Il  existait un puits place du Puits-Rouge qui est remplacé par la fontaine Hämmelsmarsch depuis 1982. Ce puits destiné aux soldats de la garnison de la forteresse de 1741 à 1867 a dû être démantelé en même temps que la forteresse à la suite du traité de Londres. Un autre puits réservé aux militaires se trouvait place d’Armes, «derrière le kiosque à musique, précise Robert Philippart. Mais c’est en 1866 que la conduite d’eau de la ville de Luxembourg commence à être construite et voilà que jaillissent les fontaines dans les rues. Et puis, il y a les lavoirs qui apparaissent en 1876 à l’emplacement des bains municipaux. Et, beaucoup plus tard, progressivement, ce sont les sanitaires privés qui sont créés. C’est une révolution sur le plan de l’hygiène!»

L’enjeu de l’hygiène

Quand les bains et lavoirs ont été construits en 1876, «pourquoi les a-t-on construits rue Aldringen, où il existe toujours les bains municipaux?», interroge le site manager de l’Unesco avant de donner lui-même la réponse : «Tout simplement parce que le réservoir se trouvait juste à côté, sur cet îlot entre la rue Willy-Goergen, le boulevard Royal, la rue Jean-Pierre-Pescatore et la côte d’Eich. Le lavoir servait à laver et sécher le linge ainsi que pour se baigner. Je me souviens avoir lu que le conseil communal se plaignait que les bains ne soient pas suffisamment utilisés par les gens qui habitaient le Pfaffenthal et Clausen. Ils continuaient certainement à utiliser les eaux de l’Alzette et avaient moins recours à cette eau plus pure et plus hygiénique. Les gens sont pragmatiques : si vous avez de l’eau devant la porte, vous ne montez pas dans la Ville-Haute pour vous laver. Sinon, quand vous revenez chez vous, vous êtes bon pour reprendre une douche.»

L’hygiène est alors devenue un souci de santé publique qui est né avec la canalisation et la conduite d’eau. «D’ailleurs, des historiens comme François Loyer affirment que ‘la ville commence et s’arrête là où il y a le trottoir, la canalisation et la conduite d’eau’.»

Mais l’eau avait bien d’autres rôles à jouer. Dans une ville, elle était aussi un élément défensif de la forteresse. Il reste des vestiges de l’écluse bourbon construite en 1728 dans la vallée de la Pétrusse, un ruisseau resté sauvage jusqu’en 1933. Cette écluse «se distinguait entre la ville intérieure, c’est-à-dire du côté intérieur de l’écluse en direction du Grund, et le côté extérieur vers Hollerich qui était à l’extérieur de la forteresse», explique Robert Philippart.

Un élément défensif

L’écluse du Grund faisait partie d’une stratégie militaire. Imaginée par l’ingénieur de Bauffe et construite en 1731 par les Autrichiens, elle permettait d’inonder une partie de Hollerich, la vallée de la Pétrusse et la partie supérieure du Grund en cas d’attaque afin d’empêcher l’ennemi d’avancer. «Heureusement, elle n’a jamais servi pour défendre la place», rassure le site manager de l’Unesco. Ses extrémités s’appuyaient d’un côté au rocher du Saint-Esprit et de l’autre au roc de la gorge du Rham. L’écluse a été détruite lors du démantèlement de 1867.

Il y avait une troisième écluse, également à Clausen, «près du viaduc qui passe en dessous du Mudam, entre l’auberge de jeunesse et Clausen, un site magnifique dont il ne subsiste plus rien», regrette Robert Philippart.

L’eau a été maîtrisée, mais aussi détournée. La déviation la plus importante de l’Alzette a été effectuée par le comte Pierre-Ernest de Mansfeld (1517-1604) afin d’aménager le parc de son château (La Fontaine).

Mais l’eau est aussi et bien sûr un lieu de détente : «Sous le Bisser Viaduc (Bisserbréck), il y avait l’ancienne Schwemm, le lieu de bain des soldats, qui était, à l’époque de la garnison, la première piscine de Luxembourg si l’on ose dire», se risque le site manager de l’Unesco. «Elle a été utilisée jusqu’en 1906, au moment où les bains municipaux ont ouvert avec leur premier bassin de natation.»

Enfin, le barrage près de Muerbels (ou Mohrfels, l’ancienne moutarderie) sur l’Alzette profitait au moulin qui remonte au XIIIe siècle. Le barrage subsiste encore, même si un certain nombre d’adaptations à travers les siècles ont été réalisées. Selon Robert Philippart, «c’est un des lieux les plus pittoresques et ces barrages font également partie du paysage historique urbain. D’après l’Unesco et le Conseil de l’Europe, ce seraient des intouchables.»

Audrey Libiez