Après avoir surmonté une entrée dans l’emploi compliquée, ces personnes autistes diagnostiquées sur le tard s’épanouissent au travail en aidant leurs pairs chacune à leur façon. Sam Houblie adapte les postes de travail.

On a lui a tellement répété qu’il était incapable, que Sam Houblie a développé comme une boulimie d’apprendre et de prouver sa valeur.

À 31 ans, ce jeune homme, profondément marqué par les moqueries et les portes qu’on lui a claquées au nez tout au long de son parcours, n’a qu’un seul but : permettre à d’autres personnes avec handicap de trouver leur voie comme il l’a fait, et leur donner les moyens de s’épanouir.

«Le modulaire, ce n’était pas mon choix»

TDAH et dyslexique, le lycéen est mécaniquement orienté vers l’enseignement modulaire, quand lui rêve d’entrer un jour à l’université. Par dépit, il accepte la boucherie et entre en apprentissage. «Ce n’était pas mon choix», souffle-t-il.

Mais pas question pour autant de faire une croix sur des études supérieures. L’élève décroche un CCM, puis un DAP, puis un deuxième DAP dans la vente, avant d’obtenir son brevet de maîtrise en boucherie, et avec lui, son ticket pour l’université.

Il décroche un master en économie

«J’ai commencé à travailler chez Cactus, et pendant plus de deux ans, j’ai étudié l’économie en prenant des cours du soir à Trèves.»

Tordant le cou à toutes les idées reçues, Sam devient titulaire d’un master. De quoi lui redonner confiance en ses (immenses) capacités. Dans la foulée, il est recruté par le magasin Hornbach en tant qu’assistant à la direction générale.

Un poste où il se révèle particulièrement doué pour la gestion des ressources humaines. Son employeur ne s’y trompe pas et lui offre un poste de directeur RH. C’était il y a sept mois.

Ça fait tellement mal que le monde entier pense qu’on n’est pas capable

Sam Houblie, qui vient alors de recevoir un diagnostic d’autisme, décide de mettre toutes ses forces dans la bataille contre les préjugés qui l’ont tant fait souffrir par le passé.

«Ça fait tellement mal que le monde entier pense qu’on n’est pas capable. À certains moments, je n’ai plus voulu vivre. C’est pour ça que j’œuvre aujourd’hui pour l’inclusion : pour éviter que d’autres personnes aient à supporter ça.»

La direction du magasin le suit

Sous son impulsion, le taux de travailleurs handicapés du magasin bondit à 8%, soit quatre fois plus que le quota de 2% imposé par la loi aux entreprises de plus de 50 salariés. Confrontée à un manque de main d’œuvre, la direction l’a suivi sans hésiter.

«On ne peut pas parler de pénurie tant qu’on n’a pas ouvert les postes à tout le monde. Les diplômes ne sont pas le plus important. Chaque personne a des points forts et a droit à une chance. C’est gagnant-gagnant.»

«On ne peut pas parler de pénurie tant qu’on n’a pas ouvert les postes à tout le monde.» (Photo : Alain Rischard)

Avec son talent pour trouver des solutions concrètes, Sam lance une série d’initiatives qui se révèlent payantes : «On propose des contrats à partir de 4 heures par semaine, car certains ne peuvent pas faire plus.»

«Dans les postes administratifs, on a instauré des horaires flexibles pour que les salariés et stagiaires puissent effectuer leurs tâches au moment de la journée où ils se sentent le mieux.»

Des employés plus motivés

«Et on constate une hausse de la motivation. On permet aussi le télétravail pour les employés ayant un handicap, si c’est possible, et même à temps plein si nécessaire.» 

Du côté du magasin, une évaluation a été menée pour établir les spécificités de chaque secteur et rayon, et y affecter chaque employé en fonction de ses capacités et difficultés.

Des mesures simples et efficaces

«Tout est adaptable, il suffit de penser ’solutions’. On a des postes qui ne sont pas en contact avec des clients pour les personnes qui ont du mal avec les interactions sociales.»

«En logistique, il est possible de faire des pauses et de mieux répartir ses efforts sur la journée. Des espaces protégés permettent à tous de s’isoler un moment en cas de trop-plein.»

«Tout est adaptable, il suffit de penser ’solutions’.» (Photo : Alain Rischard)

Des mesures simples et efficaces et une politique interne qui refuse de mettre qui que ce soit à l’écart. «C’est pas parce qu’on a un handicap qu’on est moins bon, au contraire.»

«On réfléchit autrement, et c’est un avantage»

«Certains grands groupes comme Microsoft ou SAP, qui recrutent des personnes autistes à des postes stratégiques, l’ont d’ailleurs bien compris. On réfléchit autrement, et c’est un avantage pour l’entreprise.»

Et l’apport du directeur RH ne se limite pas aux employés : il a aussi fait basculer l’image de Hornbach auprès de jeunes en DT en recherche de stage qui se tournaient jusque-là vers d’autres entreprises, et pas vers une chaîne de magasins de bricolage.

«Je reçois désormais plus de demandes que j’ai de places en apprentissage, dont beaucoup d’élèves en DT.»

Pour un statut d’apprenti en situation de handicap

Insatiable, Sam Houblie est aujourd’hui étudiant en MBA (Master of Business Administration) en alternance en Autriche, et mène un lobbying intensif auprès des partis politiques pour que les lignes bougent en matière d’emploi et de handicap. Il se bat ainsi pour la création d’un statut d’apprenti en situation de handicap, qui ouvrirait de nombreuses portes.

Il est également impliqué dans plusieurs comités professionnels au sein desquels il porte la voix des personnes handicapées, tout en apportant une expertise RH précieuse.