«Comment le directeur adjoint de la prison a espionné sa supérieure. C’est le titre qu’on peut donner à cette affaire.» Pour le procureur d’État adjoint, le fonctionnaire a clairement enfreint la loi sur la protection des données en demandant les retraçages téléphoniques du bureau de la magistrate en charge de l’exécution des peines. Le prévenu, quant à lui, conteste.
« Je n’ai pas demandé de retraçages téléphoniques. Quand je me suis rendu dans le bureau du service informatique du centre pénitentiaire de Luxembourg (CPL), j’ai demandé si cela était possible d’un point de vue technique de connaître tous les appels entrants et sortants de ces numéros. Cela a duré tout au plus dix à quinze secondes .» Voilà le refrain du prévenu vendredi après-midi à la barre. Le directeur adjoint de la prison de Schrassig conteste avoir fait quelque chose d’illégal ce 15 décembre 2015. Il déclare ne pas avoir donné une quelconque instruction. « Je n’ai rien fait dans toute cette affaire. J’ai juste obtenu la liste par e-mail », insiste-t-il.
C’est en effet un fait que le lendemain il reçoit par e-mail le listing de tous les appels entrants et sortants des numéros de la déléguée du procureur général d’État pour la direction générale de l’administration pénitentiaire et l’exécution des peines et de son greffier. La période retracée aussi est bien précise. Elle s’étire sur trois mois, soit du 15 septembre au 15 décembre 2015.
«Nous avons été court-circuités!»
« Si c’était uniquement une question de curiosité technique, comme vous le dites, pourquoi avoir justement demandé ces deux numéros du service avec lequel vous aviez des problèmes relationnels? » Pendant près de trois quarts d’heure, le prévenu, âgé de 50 ans, s’est retrouvé sous le feu des questions du tribunal.
« Nous avons été court-circuités! », a fini par lâcher le directeur adjoint de la prison. L’arrière-fond de cette histoire n’est pas un mystère. À l’époque, les relations entre le service de l’exécution des peines du parquet général et la direction de la prison n’étaient pas au beau fixe. « Le contact était très mauvais .» Le prévenu est revenu sur l’origine de ce différend qui n’avait été qu’effleuré au premier jour du procès. En avril 2015, un détenu avait mis le feu à sa cellule à Schrassig. Les photos prises lors de cet incident pour documenter l’intervention et l’état de la cellule avaient choqué. Le détenu y apparaissait nu dans une position dégradante. « On s’est retrouvé avec une plainte sur le dos », relate-t-il. À l’origine de l’enquête se trouve le signalement de la chef de l’administration pénitentiaire. Si le dossier a finalement été classé – les photos n’ont pas été prises dans un esprit de dénigrement –, ce n’est pas pour autant que la situation s’est apaisée. « Après l’incident des photos, l’ambiance était au niveau zéro », se remémore le prévenu.
Cette déclaration rejoint celle faite en début d’audience par la déléguée du procureur général d’État pour la direction générale de l’administration pénitentiaire et l’exécution des peines. « La direction de la prison n’a jamais compris pourquoi cette enquête a été faite. » La magistrate conteste toutefois l’absence de contacts. « C’est faux! » Elle dit avoir toujours poursuivi les relations d’un point de vue professionnel. Elle avait été informée le 18 décembre 2015 par le chef informaticien que son numéro avait été espionné par le directeur adjoint du CPL. « J’étais sidérée », a-t-elle témoigné vendredi.
«L’ego de la direction de la prison était blessé»
Pour le parquet, il n’y a pas de doute que le directeur adjoint a enfreint la loi sur la protection des données. « L’affaire des photos avait été classée, mais l’ego de la direction de la prison était blessé », récapitule le procureur d’État adjoint David Lentz. Il poursuit : « L’idée était de déboulonner la déléguée, car elle avait osé signaler quelque chose qu’elle ne pensait pas en ordre. »
Il n’y aurait pas de doute que le prévenu aurait fini par demander les listes. « Deux témoins ont clairement dit qu’il voulait avoir les données si c’était techniquement possible », appuie-t-il. Et de conclure : « Cela est punissable. » Le procureur d’État adjoint n’a pas apprécié l’attitude du prévenu à la barre : « Il aurait pu dire qu’il a fait une faute. Mais il a essayé de repousser la responsabilité sur les informaticiens. » Il a requis sept mois de prison et une amende appropriée à l’encontre du fonctionnaire. Mais il ne s’oppose pas à ce que la peine soit assortie d’un sursis.
Prononcé le 21 mars
Le prévenu a déjà eu une affaire disciplinaire. Il s’en est sorti avec une réprimande. Me Albert Rodesch n’a pas manqué de citer cette décision. «Il n’a pas pris l’initiative dans une intention de nuire à quiconque», retient notamment la décision disciplinaire. Me Rodesch estime que le moindre doute doit profiter au prévenu.
La 19e chambre correctionnelle rendra son jugement le 21 mars.
Fabienne Armborst