Le Luxembourgeois Timothy Martin se fait sa place au soleil en D2 irlandaise chez les Cobh Ramblers, où il est un gardien respecté et même adoré.
Comment votre expérience irlandaise se passe-t-elle pour l’instant ?
Timothy Martin : Au début, même se faire à manger était très compliqué. Ce n’est pas si évident que ça de trouver tes bases dans ce domaine, en Irlande. Tout y est bien plus gras que sur le continent. Il faut toujours tout surveiller et heureusement que ma femme sait faire la cuisine. J’ai de la chance qu’elle soit à mes côtés, sinon, j’aurais déjà pris trois ou quatre kilos. Ils ont des Aldi, ils ont des Lidl, mais les produits ne sont pas les mêmes. Tu ne comprends pas ce qui t’arrive, une fois dans les rayons. Il a fallu apprendre à cuisiner avec des choses qu’on ne connaissait pas et c’est un énorme enjeu parce que je ne peux pas manger n’importe quoi. On ne peut pas jouer 45 matches sur une saison, jouer plusieurs semaines anglaises, sans une hygiène impeccable.
Quelle autre spécificité, dans ce pays ?
Les séances d’entraînement sont extrêmement physiques. En Belgique ou en France, je faisais des répétitions de six sur les exercices. Ici, c’est carrément dix ou douze. La première séance, je me suis dit : »c’est trop dur, ces Irlandais vont me tuer. » Il a fallu que je m’accroche. Mais désormais, grâce à ça, je suis très performant. Ça aide pour la concentration. Quand tu dois rester « focus » à l’entraînement, même en étant claqué, ça t’aide, en match, à aller chercher le dernier tir à la 93e. Si un jour je reviens en Belgique, je continuerai avec ce rythme. L’intensité british, c’est un atout. Surtout quand tu as en moyenne neuf parades à faire en match. Donc plus jamais je ne travaillerai moins que ça!
J’ai ma chanson, elle dit « Timoooooo, magic keeper »
On se fait beaucoup secouer, physiquement, en match ?
La D2 ici, c’est du niveau milieu de tableau en National français. Et oui, c’est très, très intensif – ça ne s’arrête jamais, du début à la fin, on n’est jamais tranquille – et physique. Mais avec mon gabarit à la De Gea ou à la Lloris – je faisais 69 kilos à Seraing et aujourd’hui, je suis monté à 72 –, assez souple, forcément, c’est dur à l’impact. Mais je suis intelligent : je sais quand sortir dans les airs.
Paraît que vous avez déjà droit à votre chanson à vous ?
J’ai ma chanson à moi, oui, mais je ne connais pas vraiment les paroles. Je sais qu’à un moment, ça dit « Timoooooo, magic keeper« , mais c’est tout. Je m’en sors mieux aujourd’hui avec l’anglais, mais les Irlandais parlent vraiment très très vite. Au moins, j’arrive à diriger ma défense avec quelques mots.
Vous avez un drapeau, aussi…
Oui, c’est incroyable mais on dirait qu’ils m’adorent ici! Le coach des gardiens me dit que je suis le joueur préféré des supporters. Après, j’en suis déjà à 68 arrêts cette saison. J’en fait à peu près cinq avant de prendre un but. Et donc, oui, j’ai un tifo dans le stade. Avec ma photo. En grand.
Puisqu’on parle de vos arrêts, vous venez d’être élu dans l’équipe de l’année… alors que la saison n’est pas encore finie. Vous nous expliquez ?
Je suis à 17 matches et à 6 clean-sheets. En Irlande, dans les deux premières divisions, il n’y a que deux gardiens qui ont fait mieux. Mais en D2, c’est moi qui en ai le plus. Alors oui, je suis dans l’équipe type alors que je ne suis arrivé que depuis quatre mois. On vient de gagner la Coupe de la région et au-delà de notre objectif collectif qui est de monter en D1 – on a 80 % de chances d’être en play-offs –, j’aimerais bien décrocher le golden globe qui va au gardien pro qui a fait le plus de clean-sheets. Tout ça fait que mes dirigeants ont déjà lancé les négociations pour me prolonger. Ce serait sur un minimum de deux saisons et avec un salaire revalorisé.
Le dentiste a dit « tu me paieras en clean-sheets“
L’argent parlons-en : il paraît que vous ne payez pas vos soins dentaires ?
(il éclate de rire) Bon sang, mais vous êtes bien renseigné! Comment vous savez ça? L’histoire, c’est qu’un grand fan des Cobh Ramblers est dentiste. J’ai vu sur sa page : il avait cinq étoiles et pour moi, l’hygiène dentaire, c’est important. Alors voilà, j’y vais pour un détartrage, le gars me le fait et quand je vais voir sa secrétaire pour payer, elle me répond « non, c’est bon ». Je dis au dentiste que je ne peux pas accepter. Il me dit « tu me paieras en clean-sheets! J’en veux cinq!“ Je n’ai pas payé.
Regardez-vous ce que font les autres gardiens internationaux potentiels, vos concurrents pour monter dans le train des Rout Léiwen ?
On n’a pas vraiment le temps de s’observer les uns les autres. On est surtout concentrés sur ce qu’on a à faire dans nos clubs respectifs.
Si l’on excepte les deux ruptures des ligaments croisés, vous ne voyez pas quelques similitudes avec Anthony Moris entre votre expérience de gars qui n’était plus nulle part, est passé par Virton, a pensé toucher le fond avant de rebondir de façon spectaculaire ?
Alors Moris, son parcours, c’est un exemple. Son histoire est magnifique et une preuve de son extraordinaire mental. Il a subi bien plus de choses que moi. Mais c’est un fait que oui, j’ai l’impression de retrouver du plaisir et de la considération alors que je n’étais plus nulle part. En Irlande, j’ai retrouvé tout ce que j’avais perdu. Quand tu as joué en D1 belge (NDLR : à Seraing) et que tu te retrouves troisième gardien en D3, tu finis par regarder les choses en face à te demander « est-ce que je suis fait pour ça? » J’ai pensé arrêter. Beaucoup de gens ne croyaient plus en moi et me disaient que c’était fini. C’est ma femme qui m’a convaincu et j’ai commencé à écumer les réseaux sociaux pour prendre des contacts, filer des coups de main à mes agents. Et c’est un gars d’un autre club irlandais avec qui j’avais discuté par hasard quelques semaines plus tôt qui m’a appelé le 31 décembre! Et me revoilà. Quand je pense qu’il y a six mois, tout le monde était en train, doucement, d’oublier mon nom…