Accueil | A la Une | «Sans-papiers» au Luxembourg : stop aux fantasmes

«Sans-papiers» au Luxembourg : stop aux fantasmes


L’ASTI prend les devants avant la campagne électorale qui s’annonce en combattant l’instrumentalisation de l’immigration. (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Alors qu’à moins d’un an des élections, la tentation d’agiter les peurs à des fins politiques est grande, l’ASTI coupe court aux préjugés sur les personnes en situation de séjour irrégulier et décrit la véritable réalité du terrain.

En amont de la journée internationale des Migrants, célébrée chaque année le 18 décembre, et de la campagne électorale de 2023 à venir, l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) dresse un exhaustif et nécessaire état des lieux de la situation des personnes qui vivent au Luxembourg sans autorisation administrative.Dans un livret illustré de 26 pages, l’équipe d’experts, forte de plus de 40 ans de travail de terrain, s’applique à démonter un par un les préjugés et autres fantasmes entourant ceux qu’on appelle communément des «sans-papiers».

Un terme qui charrie à lui seul tout un lot d’idées fausses et qu’il convient de rectifier d’emblée : «Les expressions courantes « sans-papiers » ou « migrant illégal » contribuent à stigmatiser ces personnes en associant immigration et criminalité. Forcément, cela a un impact sur nos perceptions, et des conséquences négatives sur la vie quotidienne de ces gens», insiste Jessica Lopes, assistante sociale à l’ASTI.

Elle ajoute que, contrairement à ce qu’on peut croire, l’immense majorité de ces personnes a bien des papiers – passeport, acte de naissance, carte d’identité : «Ce sont les autorisations de travail et de séjour au Luxembourg qui manquent.»

Quelques centaines de cas

Ce qui les conduit à travailler de manière non déclarée, le plus souvent dans les secteurs de l’Horeca, du bâtiment ou des services aux particuliers, les exposant, de fait, à toutes sortes d’abus. Des vies parallèles aux nôtres, quasiment impossibles à recenser, tant elles sont invisibles.

Néanmoins, les quelques repères cités par l’ASTI dessinent les contours d’un phénomène bien moins important que ce qu’avancent certains politiques : «En 2013, lors de la dernière régularisation exceptionnelle, 543 personnes ont obtenu une autorisation de séjour», indique ainsi le président de l’ASTI, Evandro Cimetta. «Et l’aide alimentaire que nous avons mise en place depuis avril 2020 pour les personnes en situation de séjour irrégulier a bénéficié au total à 290 adultes et 160 enfants.»

Une initiative financée à 100 % par des dons privés et par l’ASTI, qui «a assumé ses responsabilités, alors qu’au plus fort de la pandémie, ces personnes se sont retrouvées sans ressource, ni aide sociale d’aucune sorte», souligne-t-il.

Le livret, dont un exemplaire sera adressé aux membres du gouvernement et de la Chambre des députés, mais aussi aux partis politiques, décline le parcours compliqué de cinq personnes en situation de séjour irrégulier au Grand-Duché, sous la forme de miniromans graphiques. Le but étant d’illustrer le casse-tête administratif sans fin auquel elles peuvent être confrontées, et aussi certains cas d’abus.

«Comme une balle que chacun se renvoie»

Pour y remédier, l’ASTI revendique une mesure de régularisation extraordinaire, sur une période limitée, pour les personnes déjà présentes sur le territoire en priorité. Elle souligne l’opportunité de définir des critères bien précis, comme en 2013 : «Les candidats devaient avoir travaillé et résidé pendant neuf mois consécutifs au Luxembourg et être en mesure de présenter un CDI de l’employeur qui les avait embauchés de manière irrégulière», rappelle l’association.

Autre point crucial : la modification de la législation en la matière, afin de limiter le plus possible les situations de non-droit à l’avenir. «Les conditions strictes imposées par la loi – notamment l’obligation de demander l’autorisation de séjour avant d’entrer sur le territoire – donnent l’illusion d’une immigration maîtrisée», pointe l’ASTI, ajoutant que l’absence de mécanisme permanent de régularisation par le travail génère également des situations de séjour irrégulier.

Mais pour le moment, les signaux provenant de la sphère politique ne sont pas favorables : «Ce ne sont pas des questions qui rapportent des voix», soupire Evandro Cimetta. «Au contraire. L’immigration est comme une balle de ping-pong que chacun se renvoie. Il manque le courage politique», déplore-t-il, avec l’espoir de faire bouger les lignes en rencontrant bientôt les représentants des partis susceptibles d’intégrer la prochaine coalition.