Accueil | A la Une | Sans-abri : «Créer encore plus de structures»

Sans-abri : «Créer encore plus de structures»


Seneca Raimondi, Christof Mann (direction des affaires sociales de la Ville de Luxembourg et des street workers), Corinne Cahen (échevine responsable de la politique sociale) et Jaime Hernandez.

Bien que la Wanteraktioun soit ouverte, des sans-abri continuent de vivre dans la rue à Luxembourg. La Ville et souhaite faire plus pour fournir un toit à tous, qu’il soit collectif ou individuel.

Les températures négatives ont fait leur retour au Grand-Duché depuis près d’une semaine et devraient s’installer jusqu’à mardi prochain, selon les prévisions. Une météo qui rend encore plus vulnérable la situation des sans-abri.

Bien que la Wanteraktioun (WAK) ait ouvert ses portes depuis le 15 novembre dernier, il n’est pas rare d’en croiser certains encore dans la rue pour des raisons qui leur sont propres. «Certains ne connaissent pas, ne veulent pas y aller, car ils ont peur du monde ou parce qu’ils ne peuvent pas accepter les règles, donc ils préfèrent rester en rue», raconte Jaime Hernandez, travailleur social pour Caritas.

«La plupart du temps, les personnes qu’on visite l’hiver sont atteintes d’un trouble mental. En rue, on rencontre souvent des psychoses : hallucinations auditives, visuelles et paranoïa», complète Seneca Raimondi, lui aussi travailleur social. «Elles se sentent persécutées et donc ne peuvent aller dans un foyer avec 200 personnes.»

Alors que le mercure frôle les -6 °C la nuit, les street workers de Caritas réalisent des maraudes et proposent du thé, de la soupe, du café et quelques vêtements comme des gants et des écharpes. «On regarde aussi si les personnes sont équipées pour supporter les températures.»

Ces derniers collaborent également avec le service Premier Appel, qui fournit des sacs de couchage, ainsi qu’avec la Croix-Rouge qui dispose de haltes de nuit, moins impressionnantes que la WAK.

La patience précieuse des street workers

Malgré tout, la période de grand froid illustre le travail qu’il reste à fournir afin que personne ne prenne la rue comme logement. Pour cela, Corinne Cahen, échevine responsable de la politique sociale, annonce qu’ «une structure pour personnes sans abri atteintes de troubles psychologiques, voire psychiatriques» devrait voir le jour dans la capitale.

En accord avec le ministère de la Santé et inclus dans les programmes de la Ville et du gouvernement, cette structure aurait vocation à accompagner les sans-abri dans la démarche d’«Housing first», si chère à Corinne Cahen. «Il faut donner un logement aux gens et ne pas les juger, ne pas leur dire d’arrêter les drogues ou l’alcool, mais d’abord leur donner un logement pour être autonome.»

«Ces gens-là, on arrive à les stabiliser quand des personnes les aident pour prendre des rendez-vous ou ouvrir des lettres», déclare-t-elle.

Avant d’arriver à cette étape, un travail de longue haleine devra être effectué par les street workers qui dirigeront, ou non, les personnes vers le «Housing first». «Nous sommes le dernier fil du système», résume Jaime, dont la mission lors des maraudes est de créer du lien avec des personnes qui, au premier abord, refusent parfois toute aide.

«Pour qu’elles nous fassent confiance, qu’elles nous racontent leur vie, on doit aussi raconter une part de notre vie et cette approche peut prendre des mois», raconte Seneca, en se remémorant l’histoire d’un sans-abri à la cathédrale. «Cela a pris presque trois ans. Tous les matins, on apportait le café et au fur et à mesure il a commencé à le prendre sans dire un mot. Quelques mois plus tard, on avait un petit échange qui s’est allongé et à partir de ce moment clé, on a pu lui proposer un logement.» La patience et la persévérance des street workers ont alors porté leurs fruits et depuis cinq ans, celui qui refusait un café a encore son logement.

«On ne peut pas offrir des aides à tout le monde»

Christof Mann, de la direction des affaires sociales de la Ville, précise tout de même qu’ «on ne peut pas offrir des aides à tout le monde». «Tout le monde» désigne le nombre de bénéficiaires de la WAK qui, selon les représentants de la Ville, ne représente pas la véritable population de sans-abri.

Cette année, la fréquentation au Findel est en augmentation, autour de 270 personnes. «J’y étais pendant dix ans et on avait des pics de 130 personnes et là, ils étaient déjà plus de 200 avant Noël», constate Corinne Cahen. La raison : un travail social qui fonctionne bien mais aussi «un petit peu de tourisme». «Pas mal de gens viennent ici car savent qu’ils peuvent manger et dormir gratuitement, donc c’est une partie de la population qu’on ne connaît pas le reste de l’année», explique-t-elle.

Dans le milieu depuis respectivement cinq et quatre ans, Jaime et Seneca constatent tout de même que le sans-abrisme touche une population de plus en plus large. «Quand j’ai commencé, on était choqués de croiser quelqu’un de 45 ans et aujourd’hui ça arrive régulièrement», se souvient Jaime.

Certains dépassent même la cinquantaine. «Entre 60 et 70 ans, ce sont des cas où la maladie mentale prend le dessus et ce n’est plus compatible de vivre dans un immeuble.» Ce vieillissement de la population, également explicable par l’amélioration des soins pour toxicomanes, a conduit le ministère de la Famille à créer une structure pour les sans-abri vieillissants qui ouvre «incessamment sous peu» à Berdorf. Une ouverture qui va de pair avec la volonté de Corinne Cahen : «Il faut créer encore plus de structures».

Interdiction de la mendicité : quelle efficacité?

Depuis le 15 décembre dernier, le règlement de police de la Ville de Luxembourg interdit toute forme de mendicité dans le centre-ville entre 7 h et 22 h. Une décision polémique dont les effets semblent loin du compte. «Les personnes continuent de mendier. Ce n’est pas cette interdiction qui va faire en sorte qu’ils arrêtent, car c’est une rentrée d’argent nécessaire pour subvenir à leurs besoins primaires», confie Seneca Raimondi.

Des besoins primaires qui peuvent être alimentaires mais aussi pour de la drogue, comme tient à le rappeler le street worker  : «Pour les toxicomanes qui font la manche, la drogue est un besoin primaire. C’est une maladie, c’est une dépendance et c’est la première chose à laquelle on pense le matin».

Christof Mann constate, lui, qu’«on ne trouve plus certains groupes de Roumanie en ville, ils sont partis». Malgré cela, le chargé de direction des affaires sociales de la Ville «préférerait aider les gens avec une aide systématique au lieu qu’ils fassent la manche, car nous sommes au Luxembourg avec une certaine philosophie des aides».

En attendant une autre approche, des flyers ont été distribués aux habitants afin de les informer sur cette interdiction, ainsi que sur le comportement à adopter face à la mendicité. Pour ceux qui souhaiteraient donner une pièce, la Ville conseille plutôt de s’adresser aux associations caritatives afin «d’aider ces hommes et femmes sur le long terme».

Pour Christof Mann, la manche ni organisée ni agressive, n’est «qu’une bonne solution à court terme qui souffre d’irrégularités».

Depuis le 15 décembre, la mendicité est interdite à certaines heures mais le phénomène est encore visible. Photo : julien garroy