À Luxembourg, le centre culturel Cessange a accueilli la deuxième édition d’un salon célébrant la richesse et la diversité littéraire du continent africain.
«Likaba veut dire « partage » en bassa, une langue du Cameroun», explique Lynsay Mabe, fondatrice de cette association. «Et cela illustre bien les intentions de ce salon. Nous voulons faire connaître nos histoires pour déconstruire les préjugés auprès de différents publics.» Le centre culturel Cessange a résonné ce week-end de voix venues d’Afrique ou originaires de ce continent. Après une première édition réussie au Mama Shelter, le salon du Livre africain de Luxembourg revenait avec une plus grande ambition : aider des auteurs encore trop peu visibles en leur offrant un espace de rencontre et d’échange.
Lynsay Mabe se souvient des difficultés rencontrées au lancement de l’évènement. «Nous avons essuyé beaucoup de refus. De nombreuses librairies ne proposent pas de littérature africaine, pensant qu’elle n’est pas intéressante pour elles.» Mais l’association a tenu bon et a organisé une deuxième édition accompagnée d’une figure littéraire de poids pour marraine : Djaïli Amadou Amal, lauréate en France du Goncourt des lycéens. La fondatrice explique que cette présence «prouve le contraire» aux librairies, qui auraient intérêt à «représenter le plus de lecteurs possible».
«Nous voulons que les enfants issus de l’immigration trouvent dans les livres leur origine et en soient fiers, mais aussi que le grand public découvre d’autres voix», poursuit-elle. L’an passé, Lynsay Mabe a constaté que 80 % des visiteurs n’étaient pas des habitués de Likaba. Une curiosité dont elle pense qu’elle est propre au public luxembourgeois.
Le public divers du pays sert l’esprit de partage qu’incarne l’association. D’une part, Lynsay Mabe observe que des enfants qui se construisent dans la compréhension et la fierté de leurs origines entrevoient qu’ils ne sont pas seuls. D’autre part, elle pense que pour le public qui ne fréquente pas l’association, comprendre l’autre dans sa différence contribue à réduire les différentes formes de violences racistes ou xénophobes. Le succès de la première édition a également permis à Likaba de se rendre «compte que les gens aiment encore lire. Avoir un livre entre les mains, ça apaise, ça concentre et surtout ça se partage», sourit la fondatrice.
«Rendre plus accessible la lecture»
Cette même volonté de bousculer les clichés anime Joyce N’saphou, représentante des éditions La Doxa, maison installée en France mais ouverte sur le monde. «Les deux tiers de nos auteurs sont africains ou issus de la diaspora», indique-t-elle. «Nous voulons montrer qu’ils existent et qu’ils ne se limitent pas aux thèmes attendus par les Européens, comme le colonialisme ou l’esclavage. Les Africains écrivent aussi des romans d’amour, des pièces de théâtre, des essais…» Elle s’accorde toutefois sur la précarité locale du secteur : «Vivre du livre n’est même pas envisageable pour la majorité. La lecture reste superflue, mais nous travaillons à la rendre plus accessible, surtout pour les jeunes.»

Kamarade, plateforme créée par Jael Tavares, promeut la littérature jeunesse avec des livres sur le quotidien qui «permettent d’ouvrir la discussion».
Pour d’autres auteurs, comme Naïl Ver-Ndoye, Français d’origine sénégalaise, l’amour des livres se joue dès les premières lectures. Présent au salon pour la première fois, il y présente On dit que les girafes sont en Afrique, son premier ouvrage jeunesse, coécrit avec Farid Malki Paul et illustré par Audrey Sakho, qui vit au Sénégal. Le livre raconte l’histoire d’une petite cigogne d’Europe qui part en migration vers l’Afrique pour la première fois, pleine de préjugés. «Elle pense y trouver des girafes partout. En rencontrant les animaux locaux, elle les nomme tous directement girafe. Au fur et à mesure, elle découvre la diversité du continent.»
Même si des animaux sont au premier plan, l’histoire se passe en milieu urbain et l’auteur, professeur d’histoire, insiste sur la nécessité d’une représentation juste du continent. «L’Afrique, ce n’est pas que des savanes ou des villages façon Kirikou. Je pense que plus de 90 % des albums sur l’Afrique véhiculent des clichés. Pourtant, la moitié des Africains vivent en ville.» Naïl Ver-Ndoye voulait que son histoire soit située dans une capitale inspirée de Dakar, Yaoundé ou Abidjan, et montrer le vrai quotidien dans ces pays. «Nous voulions mettre, par exemple, un chien dans une niche, mais ça n’existe presque pas en Afrique. Audrey l’a dessiné dormant sur le toit, comme on voit plus au Sénégal.»
«La littérature africaine mérite d’être connue»
Dimanche matin, une trentaine de personnes ont échangé avec la Camerounaise Djaïli Amadou Amal. La prix Goncourt des lycéens 2020 pour Les Impatientes n’a pas hésité lorsqu’on lui a proposé de parrainer le salon, dont elle salue l’existence. «La littérature africaine mérite d’être connue. Elle a toute sa place, elle est d’ailleurs installée et admirée.»
Son écriture engagée s’ancre dans la réalité sociale et la condition féminine sur le continent africain. Mariée de force à 17 ans, battue par son second mari, l’autrice s’inspire de son parcours et des voix rencontrées «qui n’ont pas eu le choix», martèle-t-elle, et ont subi par exemple «des mariages précoces et forcés».
Au-delà de ces rencontres, elle a pu conseiller des personnes qu’elle a inspirées : «Deux jeunes sont venues, l’une avait d’ailleurs déjà un manuscrit.» L’écrivaine témoigne d’ailleurs des difficultés en matière d’éducation en Afrique. Le manque de librairies, des contrats d’édition parfois défavorables aux auteurs et la circulation limitée des ouvrages et des auteurs sont, pour elle, des freins majeurs à l’émergence de talents locaux. «Il est plus facile pour moi d’aller de Douala à Paris que de passer d’un pays africain à un autre», regrette-t-elle. Malgré tout, l’autrice reste optimiste et conclut que «l’Afrique a un immense potentiel littéraire. Il faut maintenant le rendre accessible.»