Romain Wolff, le président de la CGFP, appelle le gouvernement et le patronat à ne pas semer la discorde en prévision de la réforme des pensions. À ses yeux, la tripartite resterait le «bon outil» pour mener un «véritable dialogue social».
Sortie grand vainqueur du scrutin visant à renouveler la Chambre des fonctionnaires et employés publics (CHFEP), la Confédération générale de la fonction publique (CGFP) remet un coup de pression dans le dossier des pensions. Le syndicat présidé par Romain Wolff prépare aussi le débat sur la réforme fiscale annoncée pour 2026. À très court terme, la CGFP décidera aussi si, et dans quelle mesure, elle soutiendra le front syndical commun formé par l’OGBL et le LCGB.
Traditionnellement, la CGFP n’organise pas de festivités pour le 1er-Mai. Néanmoins, quel regard jetez-vous sur les deux grandes manifestations organisées par l’OGBL et le LCGB, les deux syndicats majeurs du secteur privé ?
Romain Wolff : Ce 1er-Mai a été un peu différent de ceux des autres années, avec le rapprochement de l’OGBL et du LCGB. Je dois sincèrement dire que je comprends que les deux allient leurs forces. La manière dont on traite les syndicats est primordiale. Ici, des choses ont été mises sur la table sans aucune concertation, alors qu’il aurait été mieux de se mettre d’abord autour d’une table. Ce qui a été dit dans les discours des deux présidents ne m’étonne pas du tout, d’autant plus en perspective de la grande manifestation nationale prévue pour le 28 juin.
Dans quelle mesure la CGFP se montrera solidaire de l’OGBL et du LCGB, à la fois en ce qui concerne leurs revendications et la mobilisation pour le 28 juin ?
Nous allons réunir cette semaine notre comité exécutif pour évoquer cette question. Une décision sera prise à ce moment, mais, encore une fois, je comprends complètement que les deux syndicats soient remontés contre le gouvernement et fustigent la façon dont certains dossiers sont traités. L’OGBL et le LCGB sont, bien entendu, beaucoup plus concernés par les différents points de discorde, même si la CGFP est aussi très attentive à l’aspect du dialogue social.
Après les tensions nées au printemps 2024 autour du maintien d’un système d’évaluation dans l’armée, il a été possible de mener un dialogue constructif avec votre ministre de tutelle pour parvenir à un nouvel accord salarial. Malgré ce succès, partagez-vous les craintes d’une mise en danger du modèle social luxembourgeois par le gouvernement ?
Nous sommes en tout cas d’avis qu’en prévision de la réforme des pensions et de la réforme fiscale, le gouvernement serait plutôt bien avisé de réunir les partenaires sociaux autour d’une table et, pourquoi pas, dans le cadre d’une tripartite. Ce serait en tout cas le bon endroit pour en discuter, même si, à ce stade, rien de concret ne se trouve encore sur la table.
Faudrait-il convoquer deux tripartites, une sur les pensions et une sur la réforme fiscale, ou peut-on s’imaginer une réunion traitant de ces deux dossiers majeurs ?
Il est parfaitement envisageable de traiter les deux dossiers lors d’une même tripartite. Je me rappelle la crise du covid, où le gouvernement a dans un premier temps hésité à réunir la tripartite. La coalition précédente a fini par comprendre que la tripartite était la bonne plateforme pour gérer cette crise, et il a été possible de trouver des solutions ensemble, entre les partenaires sociaux, même si cela n’a pas été simple. La tripartite reste le bon outil pour mener un véritable dialogue social. Il n’est pas concevable de se mettre autour d’une table pour bavarder alors que l’intention est de trancher seul.
En ce qui concerne les pensions, vous reprochez à la ministre de la Sécurité sociale, Martine Deprez, de mener un « semblant de débat ». Que faut-il dès lors retenir du large processus de consultation engagé à l’automne dernier et clôturé le 24 avril ?
Nous avons eu le plaisir d’assister aux trois tables rondes finales, organisées au château de Bourglinster. La table pour discuter était très petite, le temps de parole, très limité. On a pu se croire à l’école. Malgré tout, il était intéressant d’entendre les différents avis. Il a aussi été important que les jeunes aient leur place autour de la table, car ce sont eux qui auront à supporter les effets d’une réforme. Ce que nous déplorons, par contre, c’est que la ministre se soit limitée à dire bonjour, au revoir et merci pour les bonnes discussions.
Que vous inspire cette passivité, déjà fustigée par d’autres acteurs ?
Les différentes contributions ont été rassemblées sur un grand tableau, et doivent, selon la ministre, servir à définir les contours de la réforme. Il ne faut cependant pas se leurrer. Personne ne peut croire – nous non plus – que le gouvernement ne sache pas encore ce qu’il compte faire. Si c’est vraiment le cas, les choses vont encore se compliquer davantage.
L’annonce par la ministre d’une présentation des grandes lignes d’une réforme avant les vacances d’été n’est donc pas suffisante à vos yeux ?
Je tiens d’abord à répéter que le gouvernement n’a pas de mandat de l’électeur pour mener une réforme. Ni le CSV ni le DP n’ont thématisé les pensions avant le scrutin. Un parti qui avait annoncé lors d’une précédente campagne vouloir agir sur les retraites a été sanctionné dans les urnes. Visiblement, les partis sont devenus plus prudents. Une fois que des propositions concrètes se trouveront sur la table, on se positionnera et, si besoin, on entreprendra des actions syndicales. Pour le moment, l’état de mes connaissances est toujours le même qu’avant le lancement de la campagne « Schwätz mat« , en octobre dernier.
Vous avez dénoncé le fait que l’intention serait de semer la discorde en montant le secteur public contre le secteur privé, mais aussi la jeune génération contre son aînée. L’OGBL et le LCGB vous rejoignent sur cette position. Pouvez-vous développer votre pensée ?
Je me rappelle que le patronat a attaqué dès septembre dernier la fonction publique, ce qui fut le premier acte en vue de semer la discorde. Monter le secteur public contre le privé et les jeunes contre les plus âgés risque de remettre en cause la solidarité entre les générations. C’est pourquoi cette tactique est nocive pour notre société. Si je regarde tout ce qui se passe autour de nous, il vaudrait mieux faire preuve de cohésion. Et puis, nous ne parlons plus que des pensions, ce qui fait passer au second plan les graves problèmes liés au logement ou le besoin de renforcer la justice fiscale.
La question qui reste à trancher est de savoir si la réforme des pensions impactera aussi le régime spécial de la fonction publique. Vous en savez plus entretemps ?
Depuis la réforme de 1999, les deux régimes sont quasiment identiques, à l’exception de l’absence de plafond de cotisation dans la fonction publique. Nous allons donc bien être impactés d’une manière ou d’une autre. Mais toute chose en son temps. On attend un projet concret et on verra ce qui en adviendra.
La CGFP va-t-elle rejoindre le front syndical uni formé par l’OGBL et le LCGB, au moins en ce qui concerne les pensions ?
Je ne l’exclus pas. Mais j’espère en même temps que les deux autres syndicats ne vont pas formuler de revendications qui seraient tournées contre la fonction publique. Dans ce cas, il serait très compliqué de former un front commun.
L’autre chantier majeur est la réforme fiscale annoncée pour 2026. La CGFP réclame du ministre des Finances, Gilles Roth, qu’il implique dès le départ les syndicats dans les préparatifs. Cette volonté est-elle présente ?
Il faut se rendre compte que ce gouvernement compte mener à la fois une réforme des pensions et une réforme fiscale. On sera donc d’autant plus attentif aux contours de la réforme fiscale. Les premières idées doivent bientôt être mises sur la table. En tout cas, nous n’allons pas cautionner des dégradations. Un ancien ministre des Finances a clamé que personne ne sortirait perdant d’une réforme.
On a hâte de savoir si c’est toujours le cas. Il sera aussi intéressant d’observer si la volonté politique existe pour rendre plus équitable l’imposition des salariés et du capital. Les personnes physiques supportent toujours les trois quarts de la charge fiscale au Luxembourg. Nous avons l’impression que ce déséquilibre risque encore de s’accentuer.
Je comprends complètement que l’OGBL et le LCGB soient remontés contre le gouvernement
Le gouvernement aura-t-il la marge de manœuvre financière nécessaire pour mener à bien ces deux réformes, en plus du besoin d’augmenter l’effort de défense ? Redoutez-vous des coupes, également au détriment de la fonction publique ?
Il est à constater que le déficit au niveau de l’État central va finalement se limiter à 99 millions d’euros pour 2024. Les chiffres étaient bien plus effrayants au départ. Mais il n’est pas vraiment possible de se projeter dans l’avenir. Compte tenu du contexte géopolitique, on ne peut pas savoir ce qui peut encore nous attendre. Nous suivrons donc de près l’évolution de la situation. Nous avons néanmoins conscience que l’argent à investir dans la défense devra être trouvé quelque part. Les fonds nécessaires ne doivent en aucun cas provenir du budget social. Il est tout aussi inconcevable que l’on se serve de la réserve de 30 milliards d’euros accumulée par le Fonds de compensation.
La signature du nouvel accord salarial n’est pas le seul succès récent pour la CGFP. Votre syndicat est sorti largement vainqueur des élections sociales dans la fonction publique, en décrochant, avec son partenaire de coopération FGFC, 27 des 29 sièges dans la prochaine Chambre des fonctionnaires et employés publics (CHFEP).
Le message donné par l’électeur ne peut être plus clair. Avec 60 %, le taux de participation est aussi bien plus élevé que lors de l’élection de la Chambre des salariés (NDLR : 34,4 %). La CGFP reste donc plus que jamais le seul interlocuteur du gouvernement pour toutes les questions d’intérêt général concernant la fonction publique.
Personnellement, visez-vous un troisième mandat à la tête de la CHFEP ?
Il est trop tôt pour le dire. Je compte encore attendre un peu avant de donner une réponse.
Toujours crédité de deux sièges à la CHFEP, et solidement ancré dans différentes entités, l’OGBL continue de revendiquer une plus grande place pour défendre les intérêts du secteur public. Quelle pourra être la future coopération entre la CGFP et l’OGBL ?
Je comprends son souhait d’avoir plus d’influence dans la fonction publique, mais il suffit de regarder le résultat des élections. Avant de revendiquer une place à la table des négociations, il faudrait disposer d’un plus large soutien dans les urnes. La représentativité nationale de la CGFP dans la fonction publique est incontestable. Nous disposons de la majorité absolue au sein de la CHFEP. Ces cinq dernières années, la coopération avec les représentants de l’OGBL au sein de la CHFEP s’est bien déroulée, même si je dois aussi dire qu’un de leurs deux sièges est resté vide depuis près de trois ans…
Cette tension peut-elle avoir un impact négatif sur la solidarité intersyndicale, notamment dans le dossier des réformes ?
Si chacun joue son rôle, sans attaquer son vis-à-vis, il n’existe pas de raison pour ne pas travailler ensemble sur des dossiers dans lesquels nous pouvons et devons faire preuve d’unité.
État civil. Romain Wolff est né le 14 mars 1961 (64 ans). Il est marié et père de deux enfants.
Formation. Il a fréquenté le lycée de garçons à Luxembourg, au Limpertsberg.
Carrière professionnelle. Romain Wolff entre à l’administration de l’Enregistrement et des Domaines en 1982. Il y exercera ses fonctions à temps plein jusqu’en 2002, mais y restera jusqu’en 2005. Il était notamment en charge de la lutte antifraude à la TVA.
CGFP et CESI. Il devient vice-président de la CGFP en 2002. En 2005, il prend la fonction de secrétaire général avant d’être élu, en 2016, président fédéral. Parallèlement, Romain Wolff est, depuis 2012, président de la Confédération européenne des syndicats indépendants (CESI).
CHFEP. Depuis 2015, Romain Wolff est président de la Chambre des fonctionnaires et employés publics (CHFEP). Il en était vice-président depuis 2010.
