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Risques professionnels : le LIST innove pour protéger les salariés


Depuis le laboratoire du LIST, Dr Renaud Leturcq coordonne un projet réalisé avec dix acteurs européens pour une durée de quatre ans.

Avec 8 millions d’euros de financement européen, un projet coordonné au LIST, à Belvaux, par Dr Renaud Leturcq souhaite réinventer les capteurs de gaz pour des usages personnels novateurs.

«C’est suffisamment rare pour être un grand évènement», sourit Dr Renaud Leturcq, membre du LIST à Belvaux depuis dix ans. La bonne nouvelle ? Le projet «Amusens» dont il est le coordinateur a été retenu parmi les 40 candidatures adressées au programme européen «Horizon Europe» qui finance de la recherche afin de réindustrialiser l’Europe.

Les capteurs de gaz miniaturisés imaginés par cet ancien chercheur au CNRS et son équipe vont donc bénéficier d’un soutien de 8 millions d’euros versés par l’Union européenne jusqu’en 2028.

Spécialisé dans les nanotechnologies et orienté sur les composants microélectroniques, Dr Renaud Leturcq a donc quatre ans afin de mettre au point des capteurs de gaz polluants innovants, tout en répondant aux impératifs de l’UE : «Proposer des recherches afin d’essayer de renouveler l’industrie pour la rendre plus durable, moins dépendante des ressources extérieures et répondant mieux aux défis de la société actuelle.»

Pourtant, les capteurs de gaz ne sont pas en soi une nouveauté. Le LIST avait déjà collaboré à ce sujet avec l’Agence spatiale européenne (ESA) puis avait réalisé des projets financés par le Fonds national de la recherche (FNR). La différence ici se trouve dans la taille, la fonctionnalité et la capacité des capteurs.

«Ce qui est un petit peu nouveau, c’est qu’il y a de plus en plus de demandes pour des capteurs miniaturisés et à faible consommation afin d’être intégrés dans des équipements individuels.» C’est là qu’entre en jeu le volet social puisque ces capteurs miniatures sont, pour l’instant, à destination de travailleurs exposés quotidiennement à des gaz ou afin de détecter des maladies.

«Comme les pesticides»

Les agents d’entretien et les coiffeurs sont notamment pris en exemple par Dr Renaud Leturcq pour leur environnement gazeux. «Pour le nettoyage, on retrouve des gaz chlorés, tout ce qui est lié au solvant, mais aussi les polluants standards composés d’organiques volatiles. Pour la coiffure, il y a notamment le gaz propulseur que l’on trouve dans la laque», énumère-t-il.

Sans risque à court terme, une exposition quotidienne peut, elle, être nocive pour la santé des travailleurs. Cependant, les captations de gaz au travail sont réalisées ponctuellement par des agents, ce qui ne permet pas d’avoir un suivi quotidien et donc «nous n’avons aucun moyen de corréler leur exposition à des maladies qui peuvent survenir des dizaines d’années plus tard». «C’est un petit peu comme les pesticides.»

Encore au stade embryonnaire, le projet intitulé «Amusens» devrait délivrer ses premiers capteurs en 2027.

 

Pour l’aspect préventif en matière de santé, «nous savons que certaines maladies, notamment du foie, émettent des gaz de type sulfure d’hydrogène». Alors, un capteur de gaz expirés pourrait permettre de déceler et traiter une maladie au plus tôt. À condition de pouvoir être proche du patient au quotidien, ce qui pour l’instant est compliqué.

«Jusqu’à présent, les capteurs de gaz étaient dans les maisons ou étaient des capteurs industriels.» La solution pourrait donc se trouver dans les capteurs en cours d’élaboration au LIST et ailleurs en Europe, le projet étant réalisé conjointement avec dix partenaires étrangers.

Potentiellement vendu en pharmacie

Autonome et mesurant un millimètre par un millimètre, le capteur imaginé sous forme de puce pourrait être porté dans un badge, «comme un dosimètre pour le nucléaire», ou encore dans un téléphone. Rien d’encombrant donc.

«La puce est composée de quatre petits capteurs avec quatre matériaux différents et chacun va pouvoir détecter une gamme de gaz différente», précise le chercheur. Cette polyvalence est aussi la force du projet, car l’industrie des techniques de microélectronique «n’est pas du tout flexible, il n’y a aucune possibilité de changer très rapidement de type de gaz détecté et cela est un des gros problèmes».

Sans perdre le cap de réindustrialiser l’Europe, la puce «Amusens» est aussi conçue afin d’être utilisée par des entreprises qui souhaitent produire leurs capteurs. C’est déjà le cas de deux entreprises française et allemande intéressées par le projet. «Si une entreprise a une idée de type de capteur à développer, elle peut venir voir et dire qu’elle aimerait bien détecter tel et tel gaz.»

Grâce à une base de données sur les matériaux et gaz détectés, «nous pourrons leur dire qu’il faut donc associer tel et tel matériau». À l’avenir, Dr Renaud Leturcq n’exclut pas non plus la possibilité de vendre ce produit en pharmacie dont le coût serait de «quelques euros».

D’ici là, le chemin est long et «il faudra trois ans afin d’avoir des capteurs viables que l’on puisse intégrer et tester dans des cas réels». Pour l’instant, l’heure est à l’enthousiasme parmi la quinzaine de membres du LIST engagés dans ce projet novateur. «C’est le début, c’est toujours un petit peu excitant parce que les gens sont très motivés.»

Promouvoir l’Europe

Destinés à réindustrialiser l’Europe, les projets financés par le programme «Horizon Europe» permettent aussi de faire valoir une cohésion et réflexion européenne. Dans le cas du projet «Amusens», ce dernier est réalisé par dix partenaires différents.

Le principal partenaire industriel est ScioSense, une entreprise néerlandaise de premier plan spécialisée dans la technologie des capteurs. Le projet collabore également avec des partenaires universitaires tels que l’université de Brescia, en Italie, des instituts de recherche tels que l’Institut Mines-Télécom, en France, ainsi qu’un partenaire espagnol dans le domaine des sciences humaines et sociales.

Concernant le produit, il sera quasiment pensé, testé et réalisé uniquement en Europe. «Le matériau sensible est déposé en Autriche cependant, la plateforme de microélectronique est fabriquée à Taïwan par TSMC», fait savoir Dr Renaud Leturcq.

Un petit point noir qui pourrait cependant être lavé avec l’arrivée prévue du fabricant taïwanais de puce électronique à Dresde, en Allemagne, la première usine européenne TSMC. La production devrait y être lancée en 2027.

«Ne pas tomber dans l’hystérie»

L’autonomie des capteurs miniatures étant l’essence même du projet, ces derniers devront mesurer, mais aussi afficher un résultat. Un capteur sera composé d’une puce et d’un circuit intégré comprenant la mesure du capteur et le traitement de l’information.

Pour ce faire, le Dr Renaud Leturcq et ses partenaires font faire appel à l’intelligence artificielle (IA), en vogue dans de nombreux projets de recherche. «L’intelligence artificielle va entraîner le capteur à détecter un certain nombre de gaz et afficher un résultat.»

Un affichage qui est aussi crucial que la mesure, car «il ne faut pas être trop alarmiste parce que cela peut aussi créer des peurs», estime le docteur. «Il ne faut pas tomber dans l’hystérie et que les gens se disent  : « Je suis entouré de gaz nocifs ».» D’où la présence d’un partenaire issu du domaine des sciences humaines et sociales afin de bien avertir, selon les résultats donnés par l’IA.