En tant que coprésidente de l’Union des syndicats OGBL-LCGB, Nora Back souligne la complexité des négociations tripartites, entamées mercredi et qui vont se poursuivre ce lundi après-midi. Trouver un accord final est l’objectif, le chemin pour y parvenir semé d’embûches.
«Tout est ouvert, un échec n’est pas à exclure.» En dépit de la concession majeure obtenue mercredi sur les conventions collectives, le camp syndical reste prudent concernant l’issue des négociations en cours avec le gouvernement et le patronat. La confiance envers le Premier ministre et son équipe n’est pas encore rétablie, les tensions avec l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) importantes.
Pour autant, l’OGBL et le LCGB, avec la CGFP, se disent «ouverts à des compromis». De la fumée blanche va-t-elle apparaître, ce soir ou plus tard, au-dessus du ministère d’État ?
Vous avez obtenu gain de cause, mercredi, sur les conventions collectives. S’agit-il d’une victoire acquise face au gouvernement et au patronat ?
Nora Back : Victoire est peut-être un mot trop fort. Mais il s’agit bien d’un succès. Obtenir cette concession a uniquement été possible grâce à notre forte opposition et à notre mobilisation, en tant que front syndical commun. Sans la pression exercée, notamment avec la manifestation du 28 juin, cela n’aurait pas été possible. C’est devenu très clair lors de la réunion de mercredi. Nous avons eu pleinement raison de nous battre avec une telle véhémence, car il y a bien eu une ferme intention de mener une attaque d’envergure contre les syndicats.
En quoi a consisté, selon vous, cette attaque frontale ?
L’attaque contre nos droits en matière de négociation des conventions collectives a été le début d’une manœuvre pour mettre fin au modèle social tel que nous le connaissons. Le gouvernement et le patronat ont sans cesse remis en cause notre légitimité. On a été traîné dans la boue pendant de longs mois. Je l’ai clairement dit mercredi : si lors de chaque réunion on conteste la légitimité de l’autre camp, le modèle social sera à bout. Tous les pourparlers en format tripartite, que ce soit sur l’assurance maladie, l’assurance pension ou au sein du Comité permanent pour le travail et l’emploi et du Conseil économique et social, ne seraient plus possibles, alors que ces institutions ont forgé le succès du pays et assuré la paix sociale.
Un autre reproche est que le patronat a tenté de saper le code du travail. Comment et pourquoi ?
Une convention collective, mais aussi un contrat de travail doivent pleinement respecter le code du travail. On ne peut donc pas y inscrire des salaires qui seraient inférieurs au salaire social minimum ou étendre les heures de travail au-delà du maximum des 48 heures hebdomadaires. Or, l’UEL voulait obtenir le droit de signer des accords d’entreprises sans le concours des syndicats, notamment pour disposer, selon ses mots, d’une « certaine marge de manœuvre« par rapport au code du travail.
Michel Reckinger, le président de l’UEL, a clamé au bout de la réunion qu’aucun dossier n’est encore clos. Redoutez-vous une contre-attaque patronale, voire une marche en arrière du gouvernement ?
Il est clair que l’UEL n’était pas contente de la concession faite par le gouvernement. Elle l’a fait savoir, mais s’est dit prête à continuer à discuter des autres points. Le fait que le patronat ne soit pas satisfait ne change toutefois rien à l’engagement formel du gouvernement de ne pas toucher aux conventions collectives. C’est ce qui compte et il ne s’agit pas non plus d’un élément d’un package global, que l’UEL souhaite ficeler. Je répète que la concession sur les conventions collectives était les prémices pour que l’Union des syndicats OGBL-LCGB revienne à table.
Le Premier ministre clame que le dialogue social est désormais débloqué. Partagez-vous cette appréciation ?
Il faut dire que l’on n’a pas signé d’avancée majeure. On est uniquement parvenu à défendre et assurer notre bien. En contrepartie, nous avons accepté de mettre, pour le moment, entre parenthèses notre catalogue de propositions pour augmenter le taux de couverture des conventions collectives. Le gouvernement a fait le minimum.
Une relation de confiance a-t-elle pu être rétablie ?
Non. Et cela ne peut pas se faire en une seule journée après avoir été, en tant que syndicats, piétinés pendant 20 mois. Le sentiment global demeure qu’ils n’ont pas encore compris le message envoyé par les dizaines de milliers de personnes qui sont descendues dans la rue. Il nous faut un vrai changement de paradigme dans la politique de ce gouvernement.
Dans cet ordre d’idées, la blague du Premier ministre – clamant, jeudi, devant les membres du CSV, avoir « retenu les syndicats le plus longtemps possible pour qu’ils disent oui à tout » et qu’ils avaient « mauvaise mine, car ils n’étaient pas habitués à faire des heures supplémentaires » – n’a certainement pas contribué à arranger les choses.
Luc Frieden s’est excusé par téléphone vendredi matin. Nous avons déjà tous lancé sous le coup de l’émotion des choses qu’on n’aurait pas dû dire. Il s’est exprimé dans un cadre décontracté et ça s’arrête là. Passons à autre chose. Or, je lui ai aussi dit qu’il était révélateur que cette blague ait unilatéralement visé le camp syndical. Il n’a pas dit que le patronat avait mauvaise mine au bout de 11 heures de tractations…
Dans la lettre adressée en amont de la réunion de mercredi au Premier ministre, votre Union a affiché sa volonté de conclure des compromis sur le travail dominical et les heures d’ouverture dans le commerce, à condition que cette libéralisation soit ancrée dans des conventions collectives. Maintenez-vous cette revendication ?
On reste ouvert à trouver des compromis sur tous les points qui figurent à l’ordre du jour. Or, il sera difficile de dégager un accord dans lequel gouvernement, syndicats et patronat pourront se retrouver.
Un autre résultat de la réunion est la réanimation du Comité permanent pour le travail et l’emploi (CPTE), invité à avancer sur la question de l’organisation du temps du travail. S’agit-il d’un bon signe ?
L’UEL a demandé de mener des pourparlers sur l’organisation du temps du travail. Notre priorité est d’évacuer les dossiers brûlants qui se trouvent aujourd’hui sur la table, avant de se consacrer à un nouveau dossier qui risque une nouvelle fois de semer la discorde. Nous étions donc aussi demandeurs de renvoyer ce point au CPTE. Si on avait cherché la confrontation directe sur le temps de travail, cela aurait hypothéqué encore davantage les négociations en cours. Un long chemin nous attend pour trouver un compromis.
Jamais encore, le Luxembourg ne s’est retrouvé en mauvaise posture en raison des syndicats
L’UEL vous reproche de ne pas vous rendre compte de la situation économique tendue avec, à la clé, le risque que les recettes fiscales générées ne suffiront plus pour financer l’État social. Les syndicats veulent-ils vraiment bloquer toute réforme pour relancer la machine ?
Les syndicats ont toujours négocié en connaissance de cause. Nous n’avons jamais formulé de revendications qui ne correspondaient pas au contexte économique. Et nous avons toujours réussi à maîtriser, en format tripartite, toutes les crises qui ont frappé le pays. Jamais encore, le Luxembourg ne s’est retrouvé en mauvaise posture en raison des syndicats. Au contraire, il a été possible de trouver des compromis qui étaient et sont également dans l’intérêt des entreprises. Nous reprocher de ne pas avoir conscience de la situation économique n’est pas favorable à maintenir un climat positif autour de la table.
En amont de la manifestation du 28 juin, Michel Reckinger a estimé que l’OGBL avait, pendant des décennies, fait partie du gouvernement en raison de la présence du LSAP. Ce n’est plus le cas, ce qui provoquerait votre colère. Dans quelle mesure de tels propos compliquent-ils un dialogue constructif ?
Beaucoup de choses ont été dites avant le 28 juin. Il ne sert plus à rien de revenir dessus. Je peux uniquement rappeler que l’OGBL a claqué la porte de la tripartite au bout de laquelle l’index a été manipulé (NDLR : fin mars 2022). Le LSAP faisait alors partie du gouvernement. L’OGBL est une confédération syndicale indépendante. L’UEL doit enfin le comprendre. Et je ne dois pas rappeler que le LCGB est aussi complètement indépendant du CSV. On défend ensemble les intérêts des salariés et pensionnés, peu importe quels partis forment le gouvernement assis face à nous.
Votre homologue Patrick Dury estime qu’il faut désormais réussir un nouveau départ et avancer pas après pas, en dépit des importantes tensions avec le patronat. Partagez-vous cette vue ?
On se retrouve dans une situation où l’on peut dire qu’il s’agit d’une dernière chance pour réussir à renverser la vapeur. Un nouveau départ est possible, à condition que chaque camp aborde les pourparlers avec le sérieux nécessaire.
Aucune véritable négociation n’a encore eu lieu sur les pensions. Le Premier ministre affirme qu’une proposition de réforme a été « enrichie » par les pistes soumises par les partenaires sociaux. S’agit-il d’une bonne base pour trouver un accord ?
Pour la toute première fois, on est proche de pouvoir entamer une véritable négociation. Elle va débuter ce lundi. En attendant, les trois parties ont convenu de garder le silence sur la nouvelle proposition.

Partagez-vous l’objectif de rapprocher l’âge de départ réel à la retraite de l’âge de départ légal ?
On n’y est pas opposé, mais pas en décrétant une obligation de travailler plus longtemps et sans tenir compte des spécificités des parcours professionnels respectifs. Mais nous avons mis sur la table un grand nombre de pistes et de moyens pour atteindre cet objectif dans un environnement plus sain.
Le gouvernement propose l’introduction d’une retraite progressive, tout comme le maintien des années d’études et « baby years » pour le calcul de la carrière. Des pistes qui correspondent à vos attentes ?
Absolument. Nous voulons vraiment réformer le système des pensions, mais en agissant en priorité pour augmenter les recettes. Il existe plein de chemins pour y parvenir. Notre seule ligne rouge est une détérioration du niveau des pensions.
Au vu de l’ampleur des points de discorde majeurs qui prévalent, comment abordez-vous la réunion de ce lundi ?
On aborde la réunion en affichant un esprit constructif. L’objectif est vraiment d’obtenir au bout du compte un résultat concret. Nous voulons un engagement formel écrit, qui décline précisément les prochaines étapes, et on est optimiste à l’idée de pouvoir y parvenir. Il est toutefois à rappeler que sur aucun des dossiers brûlants, nous ne sommes proches d’un accord. Tout est ouvert, un échec n’est pas à exclure.
Formulez-vous de nouvelles lignes rouges ?
On n’a pas de mandat pour accepter des détériorations pour les salariés. Et quoi qu’il en soit, on ne vit pas une tripartite où on pourra décrocher de grandes avancées. L’objectif primaire est de défendre les acquis de la population active. Il existe des marges de manœuvre, mais si les conditions de travail et de vie sont massivement attaquées, on ne signera pas d’accord. Si besoin, il faudra poursuivre les discussions au-delà de ce lundi. Il n’existe aucune urgence dans aucun des dossiers qui se trouvent sur la table.
État civil. Nora Back est née le 17 août 1979 à Esch-sur-Alzette. Elle est pacsée et mère d’une fille.
Formation. Elle décroche à l’université libre de Bruxelles (ULB) un bachelor en psychologie (2000), suivi d’un master en psychologie industrielle et commerciale (2002).
OGBL. En 2004, Nora Back intègre l’OGBL en tant que secrétaire centrale adjointe du syndicat Santé, Services sociaux et éducatifs. Elle devient secrétaire centrale du même syndicat professionnel en 2008.
Présidente. Nommée secrétaire générale de l’OGBL en 2018, Nora Back occupe depuis 2019 les postes de présidente de la Chambre des salariés (CSL) et de l’OGBL.
Union des syndicats. Pour se défendre contre les «attaques» du gouvernement, les concurrents OGBL et LCGB ont scellé, le 20 juin dernier, une nouvelle Union des syndicats. Le 28 juin, l’alliance inédite réussit à mobiliser jusqu’à 25 000 personnes pour une grande manifestation nationale.