En reconduisant leur coalition à trois à l’issue des législatives, le DP, le LSAP et déi gréng ont fait mentir les sondages qui prédisaient un triomphe du CSV.
Il paraît qu’il ne faut plus dire Gambia 2 pour désigner la coalition reconduite après les législatives du 14 octobre. Le mot fait référence aux couleurs du drapeau de la Gambie et le parallèle dressé entre l’État ouest-africain et leur action politique exaspère au plus haut point certains ministres.
À part cela, le scrutin de l’automne dernier n’a pas révolutionné la vie politique du Grand-Duché. L’attelage en place depuis 2013 est reconduit avec une même majorité étroite au Parlement : 31 sièges sur 60.
Le libéral Xavier Bettel reste à la tête de cette coalition à trois, composition inédite dans l’histoire politique du pays, officiellement entrée en fonction le 5 décembre. L’usure du pouvoir conquis dans la passion il y a cinq ans n’a pas eu raison du charismatique Premier ministre, même si son parti, le DP, a cédé un siège, passant de 13 à 12 députés.
Sauvé par la vieille garde
L’architecture de l’équipe sortante a en revanche été bouleversée par la poursuite de l’érosion électorale du LSAP et la percée de déi gréng. En ne rassemblant que 17% des suffrages, les socialistes ont réalisé leur pire score depuis 1945 et ne sont plus représentés au Krautmaart que par dix élus. Les scores personnels élevés de représentants de la vieille garde comme Jean Asselborn, Mars Di Bartolomeo ou Alex Bodry ont évité le naufrage au LSAP. Un paradoxe pour ce parti en quête de rajeunissement. Les socialistes souffrent aussi de l’image libérale qu’ils véhiculent, particulièrement Étienne Schneider dont le poste de ministre de l’Économie souligne sa proximité avec le monde de l’entreprise et ses intérêts.
Les verts n’en attendaient pas tant
Le LSAP demeure malgré tout le troisième parti du pays en nombre de suffrages et Étienne Schneider conserve son poste de vice-Premier ministre. Mais il le partage désormais avec l’écologiste Felix Braz, reconduit par ailleurs à la Justice.
Les verts rêvaient passer de six à huit députés. Au soir du 14 octobre, le verdict des urnes dépassaient leurs espoirs avec neuf candidats élus. Ce résultat doit au sérieux du travail fourni par les ministres déi gréng pendant cinq ans. Et, comme ailleurs en Europe, aux ravages de plus en plus concrets et inquiétants du changement climatique.
La première expérience gouvernementale du parti écolo fondé en 1983 se solde par un succès électoral. Les verts sont les grands gagnants des législatives 2018. En toute logique, ils comptent un ministre de plus dans le gouvernement, renforçant encore l’empreinte verte de la coalition. La gratuité des transports publics inscrite dans le programme gouvernemental en est déjà la manifestation la plus spectaculaire.
Campagne atone
Dans les mois et années à venir, déi gréng devraient aussi peser de tout leur poids dans le débat sur la croissance maîtrisée, enjeu devenu central ces derniers mois. Les limites à mettre ou non au développement économique et démographique exponentiel du Grand-Duché avaient donné lieu à une joute par médias interposés entre Étienne Schneider et la ministre écologiste Carole Dieschbourg, un des rares éclats d’une campagne par ailleurs atone. En toile de fond, les implantations des usines Knauf à Sanem et Fage à Bettembourg.
A l’affût, le CSV s’était engouffré dans la brèche en revendiquant une croissance «qualitative» plutôt que «quantitative». Mais, tout comme le DP ou le LSAP, son programme ne rompait pas réellement avec le modèle en cours.
Quoi qu’il en soit, les chrétiens-sociaux avaient un plan (leur slogan de campagne) pour revenir aux affaires après leur éviction en 2013 à l’issue d’une crise politique ayant abouti à la chute de Jean-Claude Juncker. Débarrassé de cette figure tutélaire, le parti avait misé sur Claude Wiseler, personnalité avenante et consensuelle à l’agenda centriste, adepte de la «Mitte» chère à Angela Merkel.
Le flop des thèmes identitaires
À droite du CSV, Marc Spautz, le président du parti s’est chargé parmi d’autres d’asséner les coups bas sur le terrain identitaire, la langue luxembourgeoise ou la problématique frontalière. Mais ces sujets omniprésents durant la campagne, y compris chez le DP, n’ont pas vraiment pesé sur le choix d’électeurs moins divisés sur ces sujets que d’aucuns le prétendaient ou l’espéraient.
Sur le papier, tout était réglé. Sondeurs, commentateurs et politiques prophétisait un triomphe au CSV, pariant même sur la majorité absolue pour le parti qui a tant dominé la vie politique depuis un siècle. Cet optimisme, poussé parfois à l’arrogance par des ténors chrétiens-sociaux, a été ait froidement douché. Le 14 octobre, le CSV dévissait de cinq points, passant de 33% des voix en 2013 à 28 %. Encore ce recul conséquent ne s’est-il traduit que par la perte de deux sièges grâce au système électoral favorable aux grands partis.
Avec 21 députés, les chrétiens-sociaux demeurent cependant la première force politique au Parlement. Cette situation suscite bien de l’amertume dans les rangs d’un CSV qui se sent floué d’une victoire qu’il pensait acquise.
Avec la courte majorité qui a fait les preuves de sa solidité pendant cinq ans, DP, LSAP et déi gréng ont chacun décliné les avances des conservateurs pour former une coalition. Pourquoi auraient-ils dû changer une équipe qui gagne?
Fabien Grasser