Avec son sang-froid et sa détermination, la chancelière allemande Angela Merkel a été une importante médiatrice en cette période difficile pour l’Europe et le monde mais l’annonce de son départ pourrait la rendre atone sur la scène internationale, avertissent des experts.
Quand Donald Trump s’est installé à la Maison Blanche, les libéraux se sont tournés vers la chancelière, voyant en elle le nouveau « leader du monde libre », une étiquette qu’elle a immédiatement rejetée. Son approche modérée et consensuelle, et sa foi inébranlable dans le multilatéralisme, ont fait d’elle le rempart évident face à l’America First de Trump.
« Elle laisse un vide, celui de leader des démocraties occidentales », résume Cas Mudde, politologue à l’Université de Géorgie aux États-Unis. En annonçant, dès maintenant, que son actuel mandat de chancelière s’achevant en 2021 serait le dernier, Angela Merkel va « encore plus diminuer son influence nationale et internationale, qui reste malgré tout significative », estime cet expert.
« Pour l’UE, c’est tragique »
« Je pense que cela ne changera pas l’influence dans les négociations internationales. Au contraire, j’ai même plus de temps pour me concentrer sur les tâches de cheffe du gouvernement », a rétorqué la principale intéressée, mardi à Berlin, sans réussir à persuader les analystes.
« La chancelière ne sera plus capable de convaincre le monde qu’elle peut continuer à être la garante d’une certaine stabilité au sein de l’UE », estime ainsi Lüder Gerken, du Centre de politique européenne de Fribourg-en-Brisgau. « Pour l’UE, c’est tragique. Son rôle prépondérant au sein de l’UE pourrait bien être d’ores et déjà une chose du passé », commente-t-il. Au sein de l’Europe, Angela Merkel a été essentielle en tant que médiatrice, en particulier lors de la crise économique grecque de 2010-2015 et dans la réponse à l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.
Son retrait risque d’accroître encore plus les incertitudes au sein de l’Union européenne, déjà affaiblie par les difficiles négociations sur le Brexit et les tensions provoquées par la pression migratoire. Sur le plan économique, l’annonce son départ arrive à un moment encore plus délicat, avec notamment la crise suscitée en Europe par le nouveau budget italien, souligne le centre de recherche international Capital Economics. « La zone euro a plus que jamais besoin de quelqu’un de fiable et Mme Merkel a joué un rôle essentiel dans l’établissement de compromis », explique-t-il dans un commentaire. « L’affaiblissement de sa position pourrait signifier qu’un accord à propos du budget italien prendrait plus longtemps, accentuant la menace de contagion à d’autres marchés », analyse Capital Economics.
Macron pour la relève ?
Le président français Emmanuel Macron, et son ambitieux programme de réformes de l’UE, pourrait être l’un de ceux qui a le plus à perdre. « Beaucoup d’initiatives que le président de la République avait lancées n’auraient pas pu voir le jour sans un fort soutien allemand (…) C’est parce qu’il y a eu un plein soutien de l’Allemagne que nous avons pu aller plus loin et ensuite convaincre d’autres pays », a rappelé la ministre française chargée des affaires européennes Nathalie Loiseau.
L’annonce de Merkel est « une mauvaise nouvelle » pour les réformes, estime ainsi l’europhile Gideon Rachman dans le Financial Times. Nils Diederich, politologue à l’Université libre de Berlin, considère cependant que la chancelière « continuera à mener la politique comme elle l’a toujours fait ». Pour lui, « elle est la véritable ministre des Affaires étrangères de République fédérale d’Allemagne ». « Elle a dit qu’elle se retirerait dignement de son poste, ce qui signifie notamment qu’elle va faire en sorte de s’intéresser aux questions de politique internationale dans les 30 mois qui lui restent » à la chancellerie, affirme l’expert.
Avec l’annonce du retrait de Merkel, c’est une des principales voix contre la montée du nationalisme en Europe qui va s’éteindre. Certains prédisent que son successeur droitisera son discours, face à la montée en puissance du parti d’extrême droite, l’AfD. Mais Angela Merkel s’est « depuis longtemps » retirée du combat contre le populisme, tempère Cas Mudde, qui étudie ce phénomène des deux côtés de l’Atlantique. « Je pense que M. Macron est un opposant beaucoup plus virulent au nationalisme que Mme Merkel », affirme-t-il.
LQ/AFP