La question de la cohésion sociale, ou plutôt de la répartition des impôts payés par les frontaliers, reste une préoccupation vive aux frontières.
Le fameux vivre ensemble au Luxembourg, où près de 200 000 frontaliers viennent travailler, suscite certaines interrogations mais surtout met sur la table un grand nombre de défis pour le pays et la Grande Région.
En quelques années, la croissance luxembourgeoise et sa bonne santé économique ont fait bondir le nombre de frontaliers. «En 1990, nous parlions de 30 000 frontaliers et cela paraissait être un nombre déjà très important pour les acteurs de l’époque, pour ne pas dire trop. Personne ne pensait que ce nombre pouvait être dépassé», se souvient Claude Gengler, docteur en géographie et participant au dernier café-débat du Liser, mardi soir à la Kulturfabrik.
Situations complexes
Cette évolution a eu des conséquences, comme la nécessité d’investir dans le rail et le réseau routier ou encore l’ouverture du Conseil économique et social aux étrangers. D’un autre côté, cette force de travail a engendré des situations complexes, notamment sur le plan de la fiscalité. Les frontaliers, payant une grande partie de leur impôt au Luxembourg, privent les communes où ils habitent de recettes fiscales. De plus, en raison de l’attractivité du Luxembourg, les communes frontalières ne sont pas des terres fertiles pour la création d’entreprises, réduisant là encore les recettes fiscales potentielles des communes frontalières et même au-delà, puisque le phénomène commence à toucher des villes un peu éloignées, comme Metz.
«Les frontaliers français alimentent le budget du Grand-Duché à hauteur de 1,7 milliard d’euros par an», souligne Louis-François Reitz, le directeur général délégué à la coopération institutionnelle de la Ville de Metz, quand d’autres intervenants soulignent que les communes françaises proches de la frontière luxembourgeoise, comme Longwy, disposent d’un potentiel fiscal inférieur à la moyenne des communes françaises de même taille…
Dès lors, le débat devient une bataille de chiffres, en millions, et une querelle juridique sur la nécessité d’établir des conventions et des rétrocessions fiscales entre les différents pays pour financer les communes.
Le sens des mots
On souligne qu’en la matière des accords ont été passés avec la Belgique, mais pas avec la France ou l’Allemagne. On pointe alors du doigt le Luxembourg et sa supposée puissance financière quand d’autres critiquent la gestion parfois calamiteuse des recettes publiques de l’État français. Oubliant au passage les habitants du Luxembourg qui ne comprennent pas toujours pourquoi le pays est montré du doigt alors qu’il investit des milliards d’euros pour des services presque entièrement dédiés aux frontaliers tandis que des communes luxembourgeoises ne disposent pas d’infrastructures ou de services publics hors normes.
Bref, l’imbroglio est total où tout le monde reproche à l’autre quelque chose. Un dialogue de sourds, qui dure depuis des années. Mais au milieu de cette cacophonie, Guy Deloffre, professeur à l’ICN Business School de Nancy, a tenu un discours très intéressant sur la définition de mots clés comme «équité et iniquité», «égalité et inégalité» ou encore «juste et injuste». Un discours au premier abord à des kilomètres du sujet. Et pourtant, on s’aperçoit vite que ces mots ont un sens. Finalement, l’importance de leur définition et de leur évolution dans le temps montre pourquoi, d’un côté comme de l’autre, les débats sur cette question restent passionnés.
Jeremy Zabatta