«Nous n’avons pas encore de données en ce qui concerne la fiabilité d’un vaccin», rappelle la ministre de la Santé, Paulette Lenert. En cette veille de rentrée, elle est confiante et en possession de données rassurantes.
Nous sommes à la veille de la rentrée scolaire, la première de l’ère Covid. Est-ce un moment d’angoisse pour la ministre de la Santé ?
Paulette Lenert : Je ne suis pas angoissée, mais il faut rester vigilant. L’important, c’est de bien encadrer et avec Claude Meisch nous avons élaboré un plan assez équilibré qui nous permet d’intervenir rapidement s’il y a un problème, sans trop perturber la marche normale de l’établissement scolaire. Le but est d’éviter de mettre des classes entières en quarantaine et de pouvoir isoler rapidement. L’éducation est une chose trop importante, c’est un droit fondamental. Nous avons constaté que le confinement a fait des dégâts, surtout chez les jeunes qui étaient déjà en difficulté. Ils en souffrent le plus. Nous avons la responsabilité sociétale d’offrir aux jeunes une éducation aussi normale que possible, d’autant que les contacts sociaux sont aussi importants pour eux. Il n’y aura pas de normalité à 100 %. Nous avons fait tout un travail scientifique pour analyser les données des jeunes. Ils sont moins susceptibles de tomber malades et, au niveau de la transmission, il y en a moins dans les écoles. Nous avons une certaine organisation, une certaine discipline et il n’y a pas de raison de ne pas oser la normalité. En cas de recrudescence du virus, il faudra en revanche accepter des mises en quarantaine.
La vigilance des parents est-elle particulièrement importante ?
Pas seulement des parents. Il faut voir l’éducation aussi comme une opportunité de sensibilisation. On aura l’occasion de répéter aux élèves la raison d’être des gestes barrières pour leur apprendre à vivre avec le virus. Il ne faut pas oublier que les enfants ont parfois une influence sur leurs parents. Aujourd’hui, ce sont les enfants qui incitent souvent les parents à arrêter de fumer.
Vous conservez toujours la même stratégie de dépistage ?
On essaie de promouvoir les tests, pas de les rendre obligatoires. Le personnel a été testé et les résultats sont plutôt positifs. Un tiers de ceux invités se sont fait tester avec un taux de positivité de 0,04 %. Pour les élèves, un cinquième d’entre eux se sont rendus au test, pour un taux identique de 0,04 %. Nous évaluons la stratégie de l’été. L’avantage des tests est de pouvoir situer les problèmes. On a vu que, dans la construction, le virus était un peu plus présent qu’ailleurs, alors nous avons lancé toute cette campagne avec les chefs d’entreprise pour sensibiliser leur personnel à la nécessité de se faire tester avant le retour au travail. Pour la rentrée scolaire, c’est la même chose : nous avons donné l’occasion aux enseignants et aux élèves de se faire tester avant la rentrée, mais sans obligation. Je n’aime pas trop la contrainte, je préfère persuader les gens de le faire, leur faire comprendre que c’est important. Ces tests nous donnent une bonne base et nous allons continuer avec la phase II qui va accroître la vigilance dans le secteur scolaire.
Cet été, les maisons relais et autres centres de vacances ont accueilli le jeune public. Qu’avez-vous observé de particulier ?
Nous n’avons rien observé d’inquiétant. Il y a eu des cas, c’est normal, mais la présence du virus est nettement moins prononcée qu’ailleurs. C’est dû au fait que les personnels éducatifs veillent aux gestes barrières et sensibilisent les enfants. Les scénarios que les experts avaient dressés pour l’été qui indiquaient une recrudescence des cas de Covid ne se sont pas produits. Cela porte à croire qu’au Luxembourg il y a une masse critique de la population qui a changé de comportement. Ce qui est important, c’est qu’aujourd’hui on sait qui est davantage exposé, où sont les risques et donc il faut supposer que les gens ont compris qu’il faut avoir plus d’égards envers les personnes plus fragiles. Les gens prennent mieux soin d’eux en règle générale et les personnes âgées savent comment se protéger. On peut aller voir ses grands-parents en prenant des précautions.
Instinctivement, chacun s’est replié chez soi
Sur le plan européen, cette crise sanitaire a vu l’espace Schengen voler en éclats et le gouvernement a tenté par tous les moyens de recoller les morceaux. Comment avez-vous jugé la situation ?
Tout le monde a été pris au dépourvu. C’était une situation que personne n’avait encore vécue. Instinctivement, chacun s’est replié chez soi pour essayer de calmer le jeu dans son pays. Mais il y a énormément d’échanges sur le plan scientifique et une grande volonté de s’aligner davantage, mais cela n’avance pas vite, car chacun a son jeu politique domestique à mener. La situation était particulière, il faut le reconnaître aussi. Nous avions la région Grand Est confrontée à une flambée d’infections alors qu’il n’y avait presque rien du côté allemand. On peut comprendre la vigilance accrue de certains pays.
Que retenez-vous de la position suédoise dans cette crise, la Suède n’ayant connu ni confinement ni fermeture d’aucune sorte ?
Ils ont eu au départ une flambée incroyable des cas dans les maisons de retraite et aujourd’hui encore, les visites y sont quasiment interdites. C’est un prix fort à payer. Je préfère avoir toute une société qui se solidarise mais qui puisse vivre. Nous avons vu, pendant le confinement, que les mesures de restriction ont fait souffrir certaines personnes âgées dans les maisons de retraite. Nous devons donc tous faire des efforts pour offrir le plus de normalité possible non seulement aux enfants mais aussi aux personnes âgées et vulnérables. D’ailleurs dans notre stratégie de tests, nous avons mis l’accent entre autres sur les personnels dans les maisons de soins. Nous avons vu que la moyenne d’âge des cas positifs était passée à 31 ans, ce sont des gens assez jeunes. Il faut faire en sorte que ce public ne se retrouve pas contaminé dans les maisons de soins et dans les hôpitaux, donc les personnels sont régulièrement testés.
L’Union européenne, après être partie en ordre dispersé sur les restrictions de voyage et les fermetures de frontières, semble vouloir revenir à des intentions communes…
Heureusement que maintenant les choses bougent, surtout pour le Luxembourg qui a été particulièrement touché par les restrictions de voyage. L’hôtellerie en paie le prix fort avec des annulations en cascade. Professionnellement, de nombreux voyages d’affaires n’ont pas pu être faits. On s’est battus, on a écrit tout l’été à nos homologues pour leur demander de prendre en considération d’autres critères. Aujourd’hui, la Commission a mis sur la table une proposition qui prend en compte le nombre de tests et pas seulement les nouvelles infections et surtout le taux de positivité. Nous étions la plupart du temps en dessous des 3 % vers lesquels s’oriente le papier de la Commission, donc pour le Luxembourg cela devrait être bon, peu importe le nombre de cas positifs.
Il manquait le recul, la préparation, pour élaborer ces plans
Verra-t-on l’Europe se doter d’un « plan pandémie » après cet épisode cacophonique ?
Oui, je suis assez confiante. Cela se fera parce que personne n’aime cette situation, cette disparité. Il manquait le recul, la préparation, pour élaborer ces plans à l’avance et c’est la leçon à en tirer. Au début, il y a eu cette initiative de certains pays d’acheter les vaccins chacun pour soi et finalement on a réussi à se rassembler et les acheter ensemble. Il y a du positif aussi.
Un vaccin espéré pour la fin de l’année ?
Je ne peux pas donner de date. Je n’en sais rien, je n’ai pas envie de spéculer, car je n’ai pas d’informations concrètes sur ce sujet.
Comment la population sera-t-elle vaccinée ?
Prioritairement les personnes vulnérables, comme pour la grippe. Nous allons faire un sondage dans la population pour savoir qui serait prêt à se faire vacciner. En attendant, il faut apprendre à vivre avec ce virus, je le répète, car nous n’avons pas encore de données en ce qui concerne la fiabilité d’un vaccin.
Qui dit vaccin dit antivaccin et on pense aussi aux antimasques qui défilent dans certaines capitales comme à Berlin. Comment réagissez-vous face à cette vague de mécontents qui qualifient de « mascarade » cette crise sanitaire ?
J’estime qu’il vaut mieux rester nuancé dans les restrictions. Je vois en France par exemple où les gens pouvaient à peine sortir de chez eux, où ils devaient remplir des formulaires pour effectuer le moindre déplacement. Aujourd’hui on les oblige à porter un masque partout en toute circonstance dans de nombreuses villes et je comprends que les gens finissent par ne plus accepter ce qu’on leur impose. Je défends toujours la sensibilisation et la bonne information. Je préfère que les gens mettent instinctivement leur masque quand ils se trouvent dans une zone très fréquentée plutôt que leur imposer le masque en permanence. Si la question portait davantage sur les avis scientifiques divergents et sur tout ce qu’on peut lire sur le virus, surtout sur les réseaux sociaux, il faut savoir que nous avons un groupe de scientifiques au ministère qui accompagne la crise et qui étudie tout ce qui paraît sur le Covid-19.
La durée de la quarantaine va-t-elle diminuer de 14 à 7 jours au Luxembourg comme l’a décidé le gouvernement français ?
On travaille intensément sur l’évaluation des données. Si nous disposons de nouvelles informations, alors bien évidemment nous sommes prêts à revoir la durée de la quarantaine à la baisse. Le large scale testing nous a permis de recueillir beaucoup de données. Les gens doivent savoir que nous nous remettons en question en permanence et nous sommes prêts à assouplir certaines règles si les données vont dans ce sens.
Comment avez-vous vécu les différentes polémiques dues à des couacs, des bugs et des fuites depuis le début de la crise ?
D’abord c’était important de rester transparent. Évidemment lorsque l’on traite dans l’urgence des quantités impressionnantes de dossiers, il peut arriver que des choses tournent mal, mais en règle générale, comme en témoignent les commentaires des personnes ayant eu affaire au service de tracing, il y a 80 % de satisfaits. Ces retours d’expérience nous permettent de voir où se situent les failles et d’améliorer en conséquence la qualité du service.
Avez-vous encore le temps de vous occuper du dossier « cannabis » ?
Oui, nous avons toujours le projet pilote en cours sur le cannabis médicinal que l’on vient d’évaluer. Il a démarré début 2019 avec des conditions bien strictes pour les prescriptions. Nous avons eu 244 médecins formés, 603 patients traités. Nous avons fait des enquêtes auprès des prescripteurs et nous interrogerons ensuite les patients pour un retour d’expériences. En ce qui concerne le cannabis récréatif, les travaux ont redémarré et on suit de près ce qui se déroule aux Pays-Bas qui est le premier pays européen à avoir mis en place un cadre légal, limité à certaines communes, dans le cadre d’un projet pilote. Il faut juridiquement bien ficeler le dossier, parce qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec l’espace Schengen. On a vu que les voisins peuvent réagir rapidement en cas de problème.
Entretien avec Geneviève Montaigu