Suspendu mardi par le gouvernement, l’examen des demandes de protection internationale des Syriens était attendu par Passerell, mais l’association alerte sur les contours et l’impact de la décision.
Au lendemain de la chute du président syrien Bachar al-Assad, le débat sur l’accueil des réfugiés syriens a aussitôt ressurgi en Europe. Lundi, c’est l’Allemagne qui fut le premier pays membre à décréter le gel des examens des demandes d’asile de réfugiés syriens. Dans la foulée, d’autres pays membres ont pris les mêmes dispositions, dont le Grand-Duché qui a annoncé hier une suspension temporaire, «le temps d’effectuer une analyse approfondie de la nouvelle situation géopolitique». Cette suspension est censée permettre aux Européens de se concerter, se mettre au diapason et «observer comment évolue la situation en termes de droits de l’homme», justifie encore le ministère.
«Cette décision, on s’y attendait parce qu’en général le Luxembourg suit ce que font les autres pays européens», raconte Marion Dubois, directrice de l’association Passerell qui agit pour la défense et l’exercice des droits fondamentaux des migrants sur le sol luxembourgeois. «Et en tant que Passerell, je dirais que l’on n’y est pas formellement opposé mais que l’on appelle à la prudence» prévient-elle.
Éviter une révocation du statut de réfugié
«Ce n’est pas parce que le régime de Bachar al-Assad a été renversé que ça signifie que les Syriens n’ont plus besoin de protection et qu’ils ne sont plus en danger», tient à rappeler la directrice, inquiète au vu de l’évocation par certains pays d’une révocation du statut de réfugié. Pour elle, le pire est possible, car en vertu de la législation européenne et donc du droit luxembourgeois, «ce n’est pas parce que le statut a été octroyé qu’il ne peut pas être révoqué par la suite».
Cependant, le changement actuel concerne tout un peuple et «à ma connaissance, il n’y a jamais eu de révocation à large échelle au Luxembourg en cas de changement géopolitique», relativise-t-elle. David Pereira, directeur général d’Amnesty Luxembourg, souhaite lui aussi conserver la protection accordée : «Nous estimons que toute demande de protection internationale, qu’il s’agisse de ressortissants syriens ou de toute autre nationalité, doit être traitée de manière juste et équitable par le gouvernement».
Pour Médecins Sans Frontières Luxembourg, le mal est fait et l’organisation dénonce les pays qui ont emboité le pas de l’Allemagne, y compris le Grand-Duché : «Cet empressement à instrumentaliser une fois de plus les migrants à des fins politiques, et à restreindre le droit d’asile, est profondément honteux. Tous les ressortissants d’un pays ne devraient pas être exclus du droit d’asile.».
Hier, la question était déjà sur la table à la Chambre des députés, et le ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden, a livré quelques informations de bon augure. Interpellé par les députés Fred Keup (ADR) et Meris Sehovic (déi gréng), le ministre a assuré qu’«il n’est pas dans notre intention de renvoyer en Syrie les réfugiés qui bénéficient de la protection internationale et qui sont bien intégrés, qui travaillent et dont les enfants sont scolarisés ici», en ajoutant que le gouvernement ne compte pas aller au-delà de la suspension temporaire.
Et ne pas reproduire le scénario afghan
Un problème persiste malgré tout : la durée de la suspension de l’examen des demandes de protection. Pour Marion Dubois, cette décision n’est pas une nouveauté : « C’est typiquement ce qui s’est passé en août 2021 avec l’Afghanistan et l’arrivée au pouvoir des talibans». Et cette impression de déjà vu l’inquiète. «Il ne faut pas que cela dure trop longtemps, car j’espère que l’on ne va pas retomber dans le même schéma que pour les Afghans qui ont attendu plus de 6 mois.»
Durant ces six mois, les ministères avaient décidé une suspension de l’examen des dossiers ainsi que du délibéré des juridictions, ce qui avait engendré un blocage et de nombreux refus. «L’attente a de grosses conséquences sur la santé mentale et cela retarde les autres procédures comme le regroupement familial. Attendre trop longtemps peut mettre la famille sur place dans une situation inconfortable ou de danger», alerte la voix de l’ASBL.
Il y a des craintes pour leur séjour, car tous ne veulent pas rentrer
Forcément, les Syriens sont les premiers inquiets face à la décision du Grand-Duché. Après l’euphorie et la fuite de Bachar al-Assad, l’heure est aux questionnements. «On a été contactés pour des inquiétudes du type : “Maintenant que Bachar est parti, le Luxembourg va me renvoyer dans mon pays ?”. Il y a des craintes pour leur séjour, car tous ne veulent pas rentrer.»
L’afflux des messages et des interrogations est tel que Passerell est en cours d’élaboration d’une fiche technique, voire d’une foire aux questions, afin de répondre au mieux aux inquiétudes. Pour cause, «il y a une forte communauté syrienne depuis 2015 et ils restent d’année en année dans le top trois des nationalités qui demandent le plus la protection». Selon les chiffres arrêtés le 31 octobre dernier, 207 Syriens ont effectué une demande de protection internationale en 2024, ce qui les place à la seconde place, derrière les Érythréens, avec 13,3 % des demandes totales.