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Référendum explosif au Kurdistan irakien


Un responsable du gouvernement régional kurde d'Irak vote à Erbil. (Photo: AFP)

Les Kurdes d’Irak votaient lundi sur leur indépendance. Mais ce référendum historique risque de provoquer une escalade après l’appel du Parlement à Bagdad à l’envoi de la troupe dans des zones disputées.

Si le résultat du scrutin, attendu 24 heures après la fermeture des bureaux, ne fait aucun doute – la majorité des Kurdes étant acquis au « oui » -, le président de la région autonome du Kurdistan Massoud Barzani a prévenu que ce vote n’entraînerait pas immédiatement l’annonce de l’indépendance mais plutôt le début de « discussions sérieuses avec Bagdad ».

Initié par Massoud Barzani, ce référendum se tient non seulement au Kurdistan (nord), qui comprend les provinces d’Erbil, Souleimaniyeh et Dohouk, mais aussi dans des zones disputées avec le gouvernement central irakien, farouchement hostile à cette consultation populaire. Dans une première réaction concrète, le Parlement à Bagdad a voté une résolution « exigeant du commandant en chef de l’armée (le Premier ministre Haider al-Abadi) de déployer des forces dans toutes les zones » prises par les Kurdes après l’invasion américaine de 2003 et la chute du dictateur Saddam Hussein. Constitutionnellement, le gouvernement est tenu de se conformer à cette résolution.

Les zones disputées sont situées hors de la région du Kurdistan. Il s’agit de zones dans la riche province pétrolière de Kirkouk, dans celle de Ninive (nord), de Dyala et de Salaheddine, au nord de Bagdad. La plupart ont été conquises par les combattants kurdes en 2014 à la faveur du chaos provoqué par l’offensive des jihadistes du groupe Etat Islamique (EI).

Foule nombreuse

Interrogé sur les risques d’affrontements avec les forces kurdes, Saad al Hadithi, porte-parole du bureau du Premier ministre, a répondu: « S’il y a des affrontements dans ces zones, la tâche des forces fédérales sera d’appliquer la loi » et « d’assurer la stabilité et la paix ». « Notre prochain objectif est Kirkouk et les zones disputées occupées par des gangs armés, des hors-la-loi qui ne répondent pas au commandement de l’armée », a de son côté affirmé Karim al-Nouri, un chef de la brigade Badr qui fait partie de Hachd al-Chaabi, une force paramilitaire alliée au pouvoir central à Bagdad.

Dès l’ouverture des bureaux de vote à Erbil et Souleimaniyeh, une foule nombreuse se massait à l’entrée. « Nous allons obtenir notre indépendance par les urnes et je suis très heureux d’être le premier », a affirmé Diyar Omar, un employé de 40 ans portant l’habit traditionnel kurde, à son arrivée au bureau de vote à Souleimaniyeh, deuxième ville du Kurdistan.

A Erbil, devant le plus important bureau, une vache a été égorgée alors qu’une longue file d’électeurs patientait. « J’ai apporté cette vache car aujourd’hui c’est la naissance de l’État, c’est la tradition d’égorger une vache lors des naissances », a dit Dalgach Abdallah, un avocat 27 ans. « C’est une fête aujourd’hui. C’est pour cela que j’ai mis l’habit traditionnel acheté pour l’occasion », s’est pour sa part félicité Diyar Aboubakr, 33 ans, un travailleur journalier.

Inquiétudes régionales

Des pays voisins comme la Turquie et l’Iran, inquiets de voir leurs minorités kurdes suivre l’exemple, ont dénoncé le référendum et menacé de représailles. L’Iran a fermé ses frontières aériennes avec le Kurdistan. La Turquie a annoncé qu’elle fermerait prochainement sa frontière terrestre avec cette région et le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a menacé de stopper les exportation de pétrole en provenance de cette région.

Les bureaux de vote étaient ouverts jusqu’à 18h pour permettre aux quelque 5,3 millions d’inscrits de se prononcer. Massoud Barzani, souriant et en habit traditionnel, a voté tôt le matin. Au total, 12.072 bureaux de vote ont été installés.

Dans les provinces de Kirkouk, de Ninive, de Dyala et de Salaheddine, plus de deux millions d’électeurs sont appelés à voter. A Kirkouk, l’affluence était nombreuse dans les quartiers kurdes, où les électeurs votaient en arborant des drapeaux, au son de la musique et des tirs de joie. « Si j’avais vingt doigts j’aurais voté vingt fois pour mon État », a clamé Ibtissam Mohammad, 45 ans. Elle venait de tremper son index dans l’encre avant de glisser son bulletin dans l’urne.

Mais dans cette ville disputée, Arabes et Turkmènes ont boudé l’isoloir.  « J’ai le sentiment que mon identité, ma nationalité, mon patrimoine et mon histoire seront perdus », a déploré Abdallah Aouji, un enseignant turkmène de 42 ans.

« Tragédies du passé »

Les Kurdes, partagés entre l’Irak, la Syrie, l’Iran et la Turquie, n’ont jamais accepté le traité de Lausanne de 1923 les privant d’un État indépendant sur les dépouilles de l’empire ottoman. Lors d’une conférence de presse dimanche à Erbil, Massoud Barzani s’est montré inflexible. « Le partenariat a échoué avec Bagdad et nous ne le reprendrons pas. Nous sommes arrivés à la conviction que l’indépendance permettra de ne pas répéter les tragédies du passé », a-t-il martelé d’une voix calme mais ferme.

« Nous nous attendons à des réactions d’un côté ou de l’autre, mais quel que soit le risque et le prix, c’est mieux que d’attendre un sombre destin », a-t-il argué. Mais à Bagdad, le Premier ministre a refusé le divorce. « Prendre une décision unilatérale affectant l’unité de l’Irak et sa sécurité ainsi que la sécurité de la région est contre la Constitution et la paix civile ».

Bagdad a demandé à tous les pays de ne traiter qu’avec lui pour toutes les transactions pétrolières.