Sous l’effet du changement climatique, les vagues de chaleur deviennent plus fréquentes, plus longues et plus intenses. Un phénomène qui pèse et impose de repenser notre adaptation.
Ces derniers jours, le Luxembourg a étouffé sous des températures très élevées. Alors que le pays sort tout juste la tête de l’eau, le climatologue Andrew Ferrone fait le point sur cette vague de chaleur précoce, sur l’impact des canicules et sur les stratégies d’adaptation à mettre en œuvre. Il est également conseiller scientifique au ministère de l’Environnement et représentant du Luxembourg au GIEC.
Que peut-on dire de la récente vague de chaleur ? Est-elle vraiment exceptionnelle ?
Andrew Ferrone : Du point de vue de l’ampleur, il faut déjà voir quelle température cette vague de chaleur a atteinte. Et ce n’est pas tant à ce niveau qu’elle est exceptionnelle, puisqu’on a déjà dépassé les 40 °C au Luxembourg en 2019. Et a priori, on ne s’attend pas à marquer un nouveau record. Mais cela reste une vague de chaleur quand même assez exceptionnelle. Mais ce qui est encore plus exceptionnel, c’est qu’elle ait eu lieu aussi tôt dans l’année. Nous ne sommes que début juillet… La précédente vague de chaleur a eu lieu en août, et c’est d’ailleurs durant ce mois-là et le mois de septembre qu’elles ont cette ampleur-là.
Les vagues de chaleur sont-elles devenues plus fréquentes et plus intenses ces dernières décennies ?
Oui, le nombre de canicules est en train d’augmenter en Europe de manière générale, et au Luxembourg en particulier. Le nombre de jours chauds augmente aussi fortement. Si l’on compare la période 1961-1980 à celle des trente dernières années, donc de 1991 à 2020, on voit que ce nombre a presque doublé, passant de 18,5 à 33,1. Parallèlement, le nombre de nuits chaudes et tropicales augmente aussi. Et bien sûr, le nombre de jours et de nuits froides et celui de jours avec glace sont en train de diminuer.
C’est tout ce à quoi on s’attend avec le changement climatique. D’ailleurs, en première approximation, on peut dire que les extrêmes augmentent environ deux fois plus rapidement que la température moyenne du globe, qui, pour l’instant, présente une augmentation de 1,2 à 1,3 degré. Si on l’augmente avec un facteur 2, on est à presque 3 degrés pour les accidents climatiques. C’est vraiment en ligne avec ce qu’on voit aussi ici au Luxembourg.
Quels sont les effets immédiats de ces vagues de chaleur sur les écosystèmes luxembourgeois ?
La chaleur crée des problèmes de sécheresse, qui sont également en train de s’intensifier au Luxembourg. Il y a plusieurs facteurs qui jouent : il y a moins de pluie au printemps, tandis qu’en hiver, il y en a plus. Sur l’année et sur le long terme, on ne voit pas encore de tendance claire. Par contre, on voit clairement une tendance sur ces deux saisons dans le passé.
Les températures, en augmentant, entraînent une évapotranspiration plus forte des sols. D’une part, les sols sans plantes perdent de l’eau et, d’autre part, les sols avec plantes entrent en stress hydrique, sortent leur eau et perdent donc l’humidité. Ces deux cas amènent des sécheresses ici au Luxembourg et les rendent beaucoup plus conséquentes. Dans les années 60 à 90, les sécheresses n’avaient lieu qu’en juillet et août, alors qu’aujourd’hui nous sommes en sécheresse pratiquement dix mois dans l’année.
Si rien ne change, on se dirigera vers un monde à +3 °C d’ici 2100
L’évolution est donc assez rapide et elle a bien sûr des répercussions sur les écosystèmes du Luxembourg. Les forêts sont en stress à cause de maladies arrivant au Luxembourg à cause du changement climatique. Les rivières qui sont déjà petites s’assèchent d’autant plus vite s’il n’y a pas assez d’eau et que les niveaux sont très bas. Cela entraîne des températures très hautes et les écosystèmes fluviaux atteignent très vite rapidement leurs limites.
Quelles sont les stratégies d’adaptation que vous conseillez au gouvernement et aux collectivités ?
Le changement climatique est présent, c’est un fait. Et il va continuer à augmenter la température globale jusqu’à au moins +1,5 °C. Donc, il faut des façons plus fondamentales de s’y adapter. Mais cela dépend fortement des décisions politiques prises afin d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre. Le Luxembourg a d’ailleurs présenté en février dernier un nouveau projet d’adaptation aux effets du changement climatique. L’un des points que l’on prône, c’est la végétalisation des espaces publics. C’est tout à fait clair que les places publiques ont tendance à moins se réchauffer si elles contiennent plus de plantes. Cela crée plus d’abris et d’ombre. L’avantage de la végétalisation, c’est qu’elle absorbe le CO2. Elle aiderait donc le Luxembourg à atteindre son objectif de 2050 fixé par la loi climat. Et en même temps, la végétalisation absorbe les fortes précipitations, qui augmentent d’ailleurs en même temps que les chaleurs.
La végétalisation des espaces publics est donc importante, mais on peut aussi aller plus loin avec la végétalisation des bâtiments directement, sur les façades et les toits. Il y a des exemples dans le monde de bâtiments végétalisés dont les températures intérieures sont très agréables sans climatisation. Cette dernière est très énergétique, c’est plutôt ce qu’on appelle une maladaptation. On essaie de résoudre un problème par un autre, ce n’est donc pas la bonne façon de s’adapter. Ce qu’il faut, c’est essayer d’éviter le plus possible que la chaleur pénètre les bâtiments, et la végétalisation peut être une solution. C’est le cas notamment du Bosco Verticale à Milan, du Kö-Bogen II à Düsseldorf ou d’autres bâtiments en Malaisie et ailleurs dans le monde.
Et pour pouvoir y arriver, il faut travailler avec les communes, parce que ce sont elles qui font la planification des places. Il faut aussi avertir les populations et les sensibiliser aux bons gestes à adopter pour se protéger de la chaleur.
À quoi devons-nous nous attendre dans le futur si rien ne change ?
Déjà, il faut s’attendre à ce que les températures globales augmentent au moins de 1,5 °C… On en est déjà très proche, mais pour le moment, on ne les a pas dépassés à long terme. Et si rien ne change, si les émissions continuent telles qu’elles sont aujourd’hui et qu’il n’y a aucun changement politique, on se dirigera alors vers un monde à +3 °C d’ici 2100… Et dans ce cas-là, il y aurait des problèmes majeurs. Dès que l’on dépassera les 1,5 °C, voire 2 °C, les événements s’enchaîneront vraiment : la chaîne d’alimentation subira des défaillances, les canicules et sécheresses seront de plus en plus énormes et partout dans le monde… Ce sera probablement un monde invivable.
Comme le dit le GIEC, chaque dixième compte, il est donc important d’agir rapidement. Si on agit maintenant et vite, il y a encore des chances de rester aux alentours de +1,5 °C.
Il est reproché aux politiques climatiques mondiales de ne pas assez porter sur le long terme. Est-ce le cas du Luxembourg ?
Non. En tout cas, dans notre ministère, on voit toujours les politiques climatiques sur le long terme. La loi climat dit que le Luxembourg doit atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 au plus tard. Nous avons aussi l’objectif d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030. Des projections du Statec montrent d’ailleurs que nous sommes en train d’atteindre cet objectif. Et quand nous avons mis en place le Plan national énergie et climat (PNEC), les mesures ont été décidées avec l’idée générale d’atteindre la neutralité. Idem pour la stratégie d’adaptation au changement climatique, qui court d’ailleurs de 2025 à 2035. Donc, pour notre ministère, c’est important de regarder sur le long terme… Mais c’est clair que pour d’autres pays, notamment outre-Atlantique, les politiques sont sur le très, très court terme.
L’autre problème avec les politiques actuelles, c’est que les différents ministères ne travaillent pas ensemble et sont même contradictoires parfois. Il n’y a pas assez de cohérence politique, alors qu’il faudrait une approche « rule of government approach« , comme on dit en anglais, pour résoudre réellement les problèmes du changement climatique.
