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Que reste-t-il de l’affaire Grégory ?


L'énigme Grégory bute constamment contre le barrage de Docelles, dont le chahut a rejeté le corps du garçonnet de 4 ans, pieds et poings liés, bonnet vissé jusqu'au menton, ce soir du 16 octobre 1984. (illustration archives AFP)

Des rebondissements tombés à plat, des pistes condamnées à l’impasse, des suspects qui n’en sont plus, une attente insoutenable. C’est au bout du compte tout ce qu’il reste de l’affaire Grégory, un an après la relance spectaculaire d’une enquête enlisée depuis bientôt 34 ans.

Une victime, pas de coupable. À croire que les eaux houleuses de la Vologne finissent toujours par engloutir les pires secrets de la Vallée. L’énigme Grégory bute constamment contre le barrage de Docelles, dont le chahut a rejeté le corps du garçonnet de 4 ans, pieds et poings liés, bonnet vissé jusqu’au menton, ce soir du 16 octobre 1984. L’enfant du siècle, petit ange martyr au nom d’une vengeance aveugle nourrie de jalousies maladives, attend son repos éternel depuis ces trois interminables décennies d’errances. De méprises inexplicables. De ratés impardonnables.

Ses parents, Christine et Jean-Marie Villemin, attendent eux ce dénouement pétri d’inextricables atermoiements. Les épaules et le cœur lestés d’un impossible deuil étouffé sous une chape de plomb. Tellement plus lourde qu’une pierre tombale.

Suspects libérés, soupçons envolés. Son interpellation, le 28 juin 2017, l’a replacée au centre de l’attention judiciaire et de l’emballement médiatique. Murielle Bolle, considérée comme le témoin-clé de l’affaire depuis ses 15 ans, s’est verrouillée à double tour. Blindée, après avoir fait couler tant d’encre sur des mots maladroits lâchés face caméras. Et plus personne n’est parvenu à forcer la porte du silence dans lequel elle s’est murée. La femme de 49 ans n’a guère changé et gardé son air renfrogné, taiseux. À travers elle, le nom de son défunt beau-frère Bernard Laroche – abattu en 1985 par Jean-Marie persuadé de sa culpabilité – a refait surface sur les bords de la Vologne. Là où la première hypothèse avait émergé : c’est lui qui aurait enlevé l’enfant pour le conduire à son funeste sort. Mais ce rapt mortel résulte d’un « acte collectif », soutient la chambre de l’instruction de Dijon.

Auquel auraient participé Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, suspectés d’avoir joué au corbeau qui, des années précédant le drame, déversait son fiel sur le clan Villemin de sa voix rauque et de sa plume assassine. Des expertises graphologiques ont désigné Jacqueline comme l’auteure d’une des missives ponctuées de menaces. L’arrestation du couple de septuagénaires, le 14 juin 2017, avait débloqué la machine grippée. Leurs mises en examen pour « enlèvement et séquestration suivis de mort », à l’instar de Murielle Bolle, ont été annulées le 16 mai dernier. Tous trois désormais libres de tout contrôle judiciaire et de regagner leur campagne vosgienne.

Tant de pourquoi, si peu de parce que. La juge Claire Barbier semblait pourtant déterminée à faire tomber les masques. Elle n’aura pas réussi à fendre les armures. Reste-t-il des combats à mener dans cette bataille sans fin ? La justice d’aujourd’hui peut-elle renoncer à cette quête maudite, comme celle d’hier et ceux qui s’y sont risqués à l’époque ? L’ex-juge Lambert y mettra un terme brutal le 11 juillet, par le suicide. « L’affaire Grégory n’est pas terminée. Il est souhaitable qu’elle ne se termine que lorsqu’on connaîtra le coupable », selon l’un des conseils de Murielle Bolle. Le trouvera-t-on un jour ?

En attendant, la paperasse s’empile sur un dossier haut de plus d’un mètre. Noyé dans l’abîme de ces cold cases entassés au rayon de l’oubli. Où les êtres disparaissent dans une enfilade de boîtes d’archives poussiéreuses. Or des vides restent à combler et des questions posées. Pourquoi Marie-Ange Laroche n’a-t-elle pas été entendue sur les présumées violences infligées à Murielle, sa sœur. La veuve de Bernard Laroche a en effet été pointée du doigt par un cousin certain d’avoir assisté à la scène à l’automne 1984. Pourquoi Ginette Villemin, veuve de Michel (un frère de Jean-Marie), ainsi que les grands-parents paternels de Grégory ont-ils été interrogés en tant que témoins ? Tant de pourquoi, si peu de parce que.

Le doute, sans conviction. Un an plus tard donc, la lueur d’espoir se trouble peu à peu dans l’ombre du doute. Sauf que le doute, aussi raisonnable soit-il, ne suffit pas à intimer une conviction. Mais la raison a-t-elle jamais eu sa place dans cette affaire abandonnée aux passions les plus folles ?

Ne reste à présent que ce mystère insoluble, quelques présomptions et beaucoup de frustrations. Et toujours pas de vérité à l’horizon. Ni de justice pour Grégory.

Alexandra Parachini