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Quatre combattants de l’EI jugés par défaut


Steve Duarte et trois autres jeunes hommes radicalisés ont rejoint les rangs de l’EI. (Photo : sophie kieffer)

Ils sont peut-être morts au combat, mais la justice luxembourgeoise veut parer à toute éventualité : quatre hommes sont jugés pour terrorisme et appartenance à un groupe terroriste.

Un enquêteur de police raconte la radicalisation à la mosquée Tawhid à Esch-sur-Alzette, la rupture sociale et familiale, le départ au prétexte de se former à la religion musulmane, l’arrivée en Syrie et le désarroi des familles restées au Grand-Duché. Benisen, les frères Dénis et Anes ainsi que Steve ont quitté le Luxembourg pour grossir les rangs de l’État islamique ou de Jabhat al-Nosra. Leur procès par défaut pour terrorisme s’est ouvert hier face à la 12e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg alors que les signes de vie de leur part sont rares, voire nuls.

Benisen serait «mort en martyr» fin janvier 2014, selon son épouse qui a accepté de s’ouvrir aux enquêteurs sur leur parcours après son retour aventureux au Grand-Duché. Aucune preuve formelle ne permet d’infirmer ou de confirmer cette information. Le procureur a juste des indices. La poursuite judiciaire menée contre lui est donc, selon lui, tout à fait justifiée.

Idem en ce qui concerne Anes, qui serait décédé «rapidement et sans douleur» en janvier 2016, selon ce que sa maman a confié à la police. Six mois après avoir quitté le Luxembourg. Le dernier contact avec son autre fils remonte à février 2017. Un journal bosnien a suggéré qu’il pouvait être décédé en Syrie la même année.

Droit de recours

Les trois prévenus ont, à des degrés divers, servi la cause d’un groupe terroriste au Luxembourg et au califat, ont été instruits au maniement des armes et les ont utilisées dans des zones de combat. Le magistrat reconnaît que les faits remontent à «un certain temps», que les prévenus n’ont pas de casier judiciaire, qu’ils étaient jeunes et se sont laissés radicaliser, cependant «ils se sont engagés en connaissance de cause» et ont été «sans pitié» envers les populations opprimées par l’EI. Lui-même n’aurait aucune raison d’en montrer à leur égard, a-t-il affirmé avant de requérir 15 ans de réclusion criminelle à l’encontre de Benisen et des deux frères.

Le procureur s’est inspiré des manières de procéder avec des combattants terroristes à l’étranger (ou foreign terrorist fighters, FTF) en France et en Belgique en choisissant de condamner les trois terroristes présumés. Il s’appuie sur le principe de la continuité des poursuites. L’action publique n’est pas éteinte. L’absence de signes de vie ne permet pas – sans acte de décès officiel – de conclure à leur mort certaine. Nombre de combattants de Daech se feraient passer pour des réfugiés syriens dans d’autres pays européens pour échapper aux sanctions qui les attendent dans leurs pays respectifs.

Si les trois prévenus présumés morts venaient à refaire surface un jour, ils pourraient faire valoir leurs droits à un procès en bonne et due forme. «Ils ont un droit de recours», explique le magistrat. Un mandat d’arrêt international émis par les autorités judiciaires grand-ducales court à leur encontre. La chambre du conseil a ordonné leur arrestation immédiate et leur retour au Luxembourg.

Steve Duarte, fou d’Allah

Après une courte interruption et un changement de procureur et d’enquêteur, le tribunal s’est intéressé au cas Steve Duarte, le plus médiatisé des FTF luxembourgeois, qui s’est petit à petit mué en fou d’Allah au point d’inquiéter son entourage et d’être convié à une audition par les forces de l’ordre avant de quitter le pays en août 2014. Lui aussi fréquentait la mosquée eschoise réputée salafiste, pratiquait la propagande et considérait les combattants de l’EI comme «de véritables héros».

L’enquêteur a passé en revue les messages postés sur ses différents profils en ligne. Les captures d’écran projetées lors de l’audience racontent son soutien au djihad armé, son allégeance à l’EI et à la «religion authentique» ainsi que son désir de création du califat. Ses profils sont fermés les uns après les autres, mais il n’abandonne pas et en ouvre sans cesse de nouveaux. «Ses intentions étaient claires», note l’enquêteur.

«Tawhid pour tous et tous pour Tawhid», écrit Steve Duarte, en faisant allusion à l’unicité de Dieu. Il est finalement repéré par des autorités étrangères pour ses commentaires sur un site essentiellement fréquenté par des extrémistes et des fanatiques. Il y partage sa vision du vrai islam et son antisémitisme, appelle à rejoindre l’EI en Syrie, se réjouit de la progression de la conquête des troupes de Daech et annonce son hégire, son exil.

Ses contacts avec des FTF ou des responsables de cellules terroristes dans le monde arabe sont nombreux. Notamment avec certains responsables des attentats de Paris et de Bruxelles. Il explique également comment bien préparer son voyage pour passer inaperçu et aurait insisté pour trouver une jeune femme avec laquelle s’unir une fois sur place. Ses contacts l’ont jugé capable du pire.

L’enquêteur poursuivra son exposé des conclusions de l’enquête ce vendredi matin. Il semblerait que Steve Duarte soit le seul djihadiste grand-ducal officiellement en vie. Aucun avocat n’était présent à l’audience pour défendre les accusés. Seul Me Penning s’est présenté au nom de la maman de Steve Duarte. Deux autres jeunes Luxembourgeois ont été identifiés comme FTF. Ils font l’objet de procédures séparées.