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Quatorze autres romans pour une rentrée complète


(photo d'illustration archives RL)

C’est toujours la rentrée littéraire, et après une première livraison la semaine dernière concoctée parmi 459 nouveaux romans et récits, voilà la suite avec les excellents livres de Philippe Ridet et Juan Torres. Mieux : en toute subjectivité, Le Quotidien a sélectionné quatorze autres ouvrages aussi indispensables qu’enthousiasmants. Bonne lecture !

Je ne veux pas, Eva Aagaard. Éditeur Denoël

Une nuit. Puis le matin. Le flou, le trouble chez Miriam : elle se réveille aux côtés de son compagnon, des feuilles mortes dans les cheveux. Un peu plus loin, là, son bébé dort. Le flou, le trouble et ces mots qui lui reviennent, encore et encore : «Je ne veux pas…». Ils donnent le titre du roman intense et captivant de la Danoise Eva Aagaard, son premier traduit en français. La veille, Miriam a laissé son compagnon et le bébé pour vivre comme avant, passer la soirée avec une amie dans un bar. Au programme, danser, s’amuser… et rentrer tard. Mais lorsqu’elle se réveille, elle perçoit que quelque chose ne va pas. Les informations se bousculent, elle ne sait comment les prendre avant de pouvoir, enfin, reconstituer la soirée et dire : «J’ai été violée…».

 

Le Sentiment des crépuscules, Clémence Boulouque. Éditeur Robert Laffont

Une rencontre aussi méconnue qu’improbable. À Londres, le 19 juillet 1938, l’écrivain Stefan Zweig et le peintre Salvador Dali visitent le psychanalyste Sigmund Freud, exfiltré voilà peu de l’Autriche nazie, ainsi que le rapporte Clémence Boulouque dans son roman Le Sentiment des crépuscules. L’écrivain a organisé la rencontre à la demande du peintre – il vénère le psychanalyste et tient absolument à lui montrer une de ses toiles. Avec l’artiste, son épouse Gala et son agent. Avec Freud, son épouse Anna. Facétieux, Dali y va de ses extravagances. Conséquence : peu à peu, tou(te)s laissent libre cours à leurs démons en écho à une époque qui court au chaos. Un roman très réussi entre détails vrais et confidences imaginées.

 

Quand nous étions des lucioles, Abubakar Adam Ibrahim. Éditeur Julliard

Après La Saison des fleurs de flamme (2018, récompensé par le Nigeria Prize for Literature), on retrouve Abubakar Adam Ibrahim pour la version française de son deuxième roman, Quand nous étions des lucioles. Tenu à 45 ans pour l’un des écrivains les plus fameux de son pays – le Nigeria –, il propose là un livre-invitation au voyage. On file jusqu’à la gare flambant neuve d’Abuja, la capitale du pays; on y croise le peintre Yarima Lalo. Soudain, il se souvient de l’assassinat dont il a été victime dans le train. Puis d’autres flashs de ses morts précédentes reviennent… Que lui arrive-t-il? Il tente de comprendre ce qui semble incompréhensible. Et si tout était expliqué dans ses peintures expressionnistes? Sans oublier Aziza, la jeune femme qui se bat pour garder sa fille. Un roman entre rêve et réalité.

 

Le coup de cœur

Bande de héros, Philippe Ridet. Éditeur Éditons des Équateurs

Philippe Ridet. (photo DR)

 

Une entrée andante : «Les pieds nus sur la table basse du salon, le téléphone sur les cuisses, Jean-Denis composait le numéro de ses amis. Revenu depuis quelques heures dans la maison de son enfance, avenue Sadi-Carnot, il avait, à la suite de divers rituels, repris possession de cette villa où s’attachaient ses plus beaux souvenirs». À chacun de ses interlocuteurs, «JiDé» annonce : «La voie est libre…». Ouverture de Bande de héros, le délicieux troisième roman de Philippe Ridet, hier journaliste pointilliste, aujourd’hui écrivain de l’aube et du crépuscule. Après Ce crime est à moi et Les Amis de passage, il boucle là un triptyque consacré au temps de ces jeunes années, au carrefour des années 1970-1980, dans une ville moyenne de province – Bourg-en-Bresse, pour ne pas la nommer! Les parents de «JiDé», comme chaque année, lui confient leur maison, là où il a grandi. Donc, il convie ses ami(e)s à une soirée, à une nuit… Il y a Walter dit «Rhodes», Alain alias «Abdul», Harold «le Major», et aussi Livia, la sœur de Walter. D’autres ne seront que de passage, appelé(e)s par une pop d’hier, du rosé et des gins-ananas… Avec Bande de héros, Philippe Ridet – maître du style elliptique, nous offre en toute simplicité un roman d’excellence.

 

Les Deux Visages du monde, David Joy. Éditeur Sonatine

Pour certains, il est le digne héritier de Ron Rash. Pour d’autres, il est l’un des écrivains les plus marquants de sa génération. Après Là où les lumières se perdent, l’Américain David Joy, 41 ans, nous revient avec un cinquième roman, Les Deux Visages du monde. Une jeune artiste afro-américaine, Toya Gardner, vient de vivre quelques années à Atlanta. Elle décide de retourner en Caroline du Nord, dans une petite ville dans les montagnes – de là, sa famille est originaire. Très vite, elle ne manque pas de rappeler l’histoire esclavagiste de la région. Un policier, Ernie, arrête un voyageur, il est suprémaciste blanc et possède un carnet avec le nom des notables de la région. Quelque temps plus tard, deux meurtres sont perpétrés dans la région. Des secrets enfouis vont ressurgir…

 

Aux marges du palais, Marcus Malte. Éditeur Zulma

En confidence, auteur aussi remarqué que remarquable, Marcus Malte évoque «une farce politique, littéraire, révolutionnaire». Rien que ça! On n’en demande pas plus pour lire avec gourmandise son nouveau roman au titre délicieux, Aux marges du palais. Équilibriste surdoué, Malte ne craint pas le changement de genre. Ainsi, il nous emmène en un royaume nommé Frzangzwe – avouons-le, il ressemble fort à la France. Et nous voilà emportés dans un voyage où les dérives sont nombreuses. «C’est un coup de griffe aux dirigeants et à la politique en général», dit Malte. Allègrement foutraque, le roman est habité par de singuliers personnages, dont l’archimaréchal Herbert Robert. Deux camps s’affrontent : «les marges» et «le Palais». C’est follement politique, furieusement loufoque !

 

Un jardin pour royaume, Gwenaëlle Robert. Éditeur Presses de la Cité

En Pays de Valois, au nord de Paris, l’écrivain-philosophe Jean-Jacques Rousseau a bouclé sa vie dans un pavillon en forêt d’Ermenonville. Dans les années 1980, les parents de la narratrice y acquièrent une maison, pour vivre éloignés du tourbillon contemporain. Une dizaine d’années plus tard, alors que sa fille va quitter le domicile, la narratrice quitte Brest et revient sur les lieux, dans ce havre à cinq kilomètres d’un village d’une centaine d’habitants. C’est le sujet principal du bel et nouveau roman de Gwenaële Robert : Un jardin pour royaume. L’ombre de Rousseau, «l’homme de la Nature et de la Vérité», plane sur ce jardin-royaume. Souvenirs d’enfance, d’années «heureuses entre toutes» avant l’âge adulte. Un texte délicieusement mélancolique.

 

Le mal joli, Emma Becker. Éditeur Albin Michel

Pour le moins, voici un roman incandescent. Peut-être même le plus incandescent de tous parus (et à paraître) en cette rentrée d’été. Avec Le mal joli, Emma Becker confirme ainsi qu’elle est bien la romancière française spécialiste de l’amour, voire des extases sexuelles. En 2019, elle avait déjà fait (mini)scandale en publiant La Maison, livre dans lequel elle relatait son séjour dans un bordel berlinois. Expérimentant la veine de l’autofiction, elle poursuit le récit – on pourrait appeler cela «La vie sexuelle de Emma B», en référence à un texte de Catherine Millet. Ainsi, Emma Becker, 35 ans, mère de deux enfants et vivant dans le sud de la France, tombe amoureuse d’un homme bien plus âgé, parisien, de droit et lettré. Et le «mâle joli» devient le mal joli…

 

Les Enfants loups, Vera Buck. Éditeur Gallmeister

Allemande vivant à Zurich, elle est présentée comme la «sensation du polar» germanophone. Après Runa, premier livre multiprimé, Vera Bruck signe un second roman tout aussi étincelant : Les Enfants loups. Pour décor : une nature sauvage, des montagnes, des forêts avec des loups, le village de Jakobsleiter. La jeune Rebekka rêve d’un ailleurs, de s’enfuir. Elle disparaît. Elle n’est pas la première, d’autres jeunes filles se sont «évaporées». Ce qui trouble Smila, jeune stagiaire au journal local – d’autant que, dix ans plus tôt, sa meilleure amie a disparue et qu’elle est persuadée qu’elle a été enlevée… Elle se lance dans une enquête durant laquelle elle va mettre à jour des secrets enfouis dans les montagnes. Un thriller haut de gamme.

 

La désinvolture est une bien belle chose, Philippe Jaenada. Éditeur Mialet-Barrault

Du fait divers au roman, il n’y a qu’un pas. Surtout quand, depuis une quinzaine d’années, l’affaire est supervisée par Philippe Jaenada. En maître du genre, il s’est donc intéressé à une bande de jeunes qui, dans les premières années 1950, squattait du côté de Montparnasse un bar appelé Chez Moineau. Observés d’un coin de la salle par Guy Debord, les membres de ladite bande avaient la vingtaine, buvaient du whisky, n’attendaient rien du lendemain – des punks «no future» avant l’heure. Au cœur de La désinvolture est une bien belle chose, une beauté irradiante : Jacqueline Harispe, dite Kaki. Le 28 novembre 1953, elle se jette par une fenêtre. Suicide. En effectuant un tour de France en voiture, Jaenada pense à cette bande, à cette Kaki. Il raconte.

 

Coup de coeur

Blackouts, Justin Torres. Éditeur Éditions de l’Olivier

Justin Torres. (photo DR)

Homme rare, il sait faire patienter. Il avait frappé un grand coup dans le monde des livres en 2012 avec Vie animale. Et le voici, douze ans plus tard, qui ressurgit avec un nouveau roman, tout autant étourdissant, enivrant de bonheur de lecture. On tient là, c’est certain, un des livres-événements de cette rentrée. Le titre? Blackouts. L’auteur : Justin Torres, 43 ans, résidant dans l’État de New York, contributeur de Granta et du New Yorker. Présenté comme un OLS (objet littéraire singulier), Blackouts est habité par Nene, un jeune homme de 27 ans d’originaire portoricaine. Il vit dans «le Palais», un lieu fantomatique, peut-être un hospice, voire un hôpital. Ce soir-là, il est «convoqué» par Juan, un vieil homme qui attend la mort – ils se sont connus des années auparavant dans un hôpital psychiatrique. Juan demande alors à Nene de poursuivre sa mission : mener à bien ce sur quoi il travaillait, et se plonger dans l’histoire de Jan Gay, née Helen Reitman (1902-1960), cette sociologue qui, dans les années 1930, a enquêté sur les pratiques homosexuelles. Il lui fallait une caution médicale, le docteur Henry s’accapara de ses travaux qui, dans un rapport – Sex Variants, paru en 1941 – définirent l’homosexualité comme une «maladie mentale»…

Le Club des enfants perdus, Rebecca Lighieri. Éditeur P.O.L.

Un roman à deux voix. Un père et une fille se répondent. Sujet principal du nouveau roman de Rebecca Lighieri, Le Club des enfants perdus. Il y a un couple «people», Armand et sa femme Birke, tous deux comédiens; il y a Miranda, leur fille à présent adulte. Pour son père, elle demeure un mystère. Déjà enfant, puis ado, elle trimbalait un mal-être. Entre le père et sa fille, c’est un dialogue de sourds – les sujets reste sans réponse : famille disloquée, interrogations sur la sexualité et le genre, peut-être même maltraitance des parents… Au fil des pages, la tension monte, l’auteure épaissit la noirceur. Moyen, certainement, pour que les protagonistes dévoilent leurs fracas, leurs malheurs, sans oublier une dose de paranormal instillée par Rebecca Lighieri.

 

L’Italien, Arturo Pérez-Reverte. Éditeur Gallimard

Souvent, évoquant sa trentaine de livres, il dit s’intéresser aux héros méconnus. C’est encore le cas avec L’Italien, son 29e roman. Arturo Pérez-Reverte, 72 ans, ancien journaliste spécialisé dans les terrains de guerre, aujourd’hui écrivain de belle renommée et grand lecteur de Joseph Conrad, y met en scène à Gibraltar entre 1942 et 1943 une histoire dangereuse d’amour. Celle d’une libraire espagnole, Elena Arbuès, et un plongeur de combat italien, Teseo Lombardo. Sa mission : balancer au fond de l’eau des bâtiments de la Royal Navy. L’auteur enchaîne les pages d’action et d’aventure, d’héroïsme et d’honneur tout en traitant avec honnêteté ces relations amoureuses le plus souvent sincères, mais aux implications et aux conséquences sans retour. Voire catastrophiques.

 

Le ciel était vide, Inge Schilperoord. Éditeur Belfond

Journaliste et psychologue judiciaire à La Haye où elle vit, Inge Schilperoord avait signé en 2017 un premier roman enthousiasmant : La Tanche. On la retrouve avec son second texte, Le ciel était vide. Un roman cinglant, tout aussi abrasif qu’incitant à la réflexion. Sophie a 16 ans, elle vit avec sa tante –  sa mère est morte alors qu’elle était encore bébé, son père est décédé depuis peu. Avocat, il avait défendu Isra, une jeune partie faire le djihad en Syrie, lui avait évité la prison au motif que c’était «une erreur de jeunesse» et qu’elle ne présentait aucun danger pour la société. Sophie, elle, est convaincue que la mort de son père est liée à ce procès… Elle va s’intéresser à l’islamisme radical. Et aussi tenter de retrouver Isra, qui a menti à son père.