Entre l’arrivée des premiers habitants en 2020 et aujourd’hui, le quartier sans voiture du Verger Ermesinde, à Luxembourg, a nécessité quelques ajustements afin de pouvoir répondre à sa promesse.
Lorsque le premier coup de pelleteuse est donné en juin 2017, le futur quartier du Verger Ermesinde est synonyme de progrès et de promesses. Situé au cœur de la capitale, au Limpertsberg, c’est un projet pilote ambitieux et novateur en termes d’écologique que mène la Ville de Luxembourg : construire un quartier sans voiture. Imaginé par le bureau Fabeck Architectes, ce concept urbain «vert» se présente sous la forme d’un petit village de 45 appartements dont l’accès est interdit aux voitures, les habitants ayant ni parking ni vignette pour se garer dans les rues alentour. Aussitôt présenté, le Verger Ermesinde séduit.
«Dès que c’était possible, je me suis mis sur liste d’attente», se rappelle Monique, habitante de la première heure, depuis mars 2020. Déjà résidente au Limpertsberg et fidèle à son rôle de présidente de l’ASBL ProVelo, ce quartier sans voiture sonnait pour elle comme une évidence puisqu’elle s’était déjà séparée de sa voiture avant de pouvoir postuler à l’achat d’un des logements. Elle était cependant loin d’être la seule, comme le rappelle sa voisine Annick : «Au total, il y a eu près de 600 demandes, c’était comme au loto!».
Des premiers mois compliqués
Contre toute attente, le sentiment de satisfaction de la remise des clefs est finalement de courte durée, chassé par la réalité du projet. «Maintenant, c’est réglé. Mais au début, ce n’était pas comme prévu», témoigne Monique. Cinq ans en arrière, l’allure du Verger Ermesinde et la vie de ses habitantes étaient tout autre, à commencer par la place de la voiture.
«Au début, certains n’avaient pas trop compris le concept et roulaient en voiture jusqu’à chez eux», rigole aujourd’hui Annick. Pour cause, tous les néohabitants n’avaient pas choisi de s’installer pour vivre sans voiture. Une polémique était d’ailleurs née lorsque au lancement certains s’étaient tournés vers le promoteur afin de trouver des places de parking autour du Verger.

L’essence même du quartier était également menacée par des oublis du cabinet d’architecture. «Pour certains, il fallait garer nos vélos dans les caves donc il fallait descendre et remonter les escaliers avec. Ce n’était pas pratique du tout.» De quoi décourager les riverains de l’usage du vélo, vendu comme l’alternative idéale à la voiture par le projet. Les trois abris à vélo n’étaient, eux, pas assez grands et ne disposaient pas de prise pour les modèles électrique.
La situation était d’autant plus compliquée à cause de la vague de vols de vélos qui a touché la capitale, dont la cave et les trois, entre 2020 et 2022. «Un soir, en rentrant de mon poste de nuit, j’ai vu quelqu’un prendre en photos l’intérieur de l’abri», se rappelle Annick, tandis que Monique a, elle, subi un vol dans son propre hall.
Une voiture en moins par habitant
Malgré ces points noirs, les habitants attachés au concept de leur quartier n’ont pas baissé les bras. À leur initiative, des rangements de vélos sur deux étages ont notamment été réalisés dans les abris, permettant ainsi de se passer des caves et de garer aujourd’hui une cinquantaine de vélos classique, cargo, pliable ou électrique.
Pour se débarrasser des voitures indésirables et des vols, des potelets ont été placés devant l’entrée principale, rue Pasteur, et les abris ont été sécurisés davantage. «C’est nous qui avons tout initié, la Ville et le promoteur n’étaient pas très impliqués. Nous avons dû nous battre», tient à déclarer Monique.
Depuis, le cadre pro-vélo et pro-transports en commun semble avoir porté ses fruits puisque les deux habitantes estiment que «tout le monde a, au moins, éliminé une voiture» et «que 80 % des habitants utilisent le vélo ou les transports au quotidien». Annick en est l’exemple parfait. Alors qu’elle souhaitait garder la sienne à tout prix lors de son installation, «de peur de perdre ma liberté, ma flexibilité», elle s’est finalement séparée de sa voiture au bout d’un an et demi.
Cette dernière est catégorique : «On gagne en qualité de vie sans voiture». Sa voisine ne peut qu’acquiescer, elle qui se disait fatiguée des problèmes de parking, de contrôle technique et de réparations onéreuses.
«Comme un petit village»
L’absence de voiture permet même une certaine proximité et convivialité entre les habitants, selon les intéressés. «C’est comme un petit village, on connaît tout le monde.» La ruelle piétonne qui longe les logements permet aux enfants de jouer en sécurité et aux plus grands de flâner et discuter, tandis que le calme qui y règne fait oublier le bruit de la capitale. Annick ajoute également que «tout le monde est à pied donc cela crée du lien social, ce qui n’est pas possible quand les gens rentrent en vitesse dans leur garage et montent chez eux».
Pour Monique, «c’est comme l’impression d’être retournée dans le temps, à la campagne». Les deux habitantes sont néanmoins conscientes que l’emplacement du quartier est idéal pour passer de quatre à deux roues : «Cela ne serait pas possible à la campagne, sans les transports».
Même en ville et avec leurs valeurs, elles aussi sont parfois contraintes d’utiliser la voiture, à la différence près qu’elles utilisent un système d’autopartage. De leur propre aveu, l’usage du vélo n’est pas encore optimal non plus. Concernant les pistes cyclables, «il y a encore du boulot», constate Monique, qui affirme qu’«un système est bien quand on peut laisser ses enfants aller faire du vélo seul».
Mais il faudrait plus pour décourager ces aficionados, pas près de lâcher leurs vélos ni leur quartier qui est désormais pleinement à leur image.
