Invités par la police, nous avons suivi mardi 15 juillet une patrouille dans le quartier Gare de Luxembourg, en proie à l’insécurité. Dans la rue, l’opération s’avère plus complexe et riche qu’il n’y paraît.
Il est 16 h ce mardi 15 juillet lorsque cinq policiers quittent à pied le commissariat Gare-Hollerich de Luxembourg pour une opération de routine, mais ô combien importante dans le contexte ambiant : la patrouille. D’ordinaire, sans notre présence, deux ou trois agents constituent l’une des patrouilles sur le terrain, de trois à cinq en simultané. Arpenter le quartier avec eux est l’occasion de rendre compte de leur travail et de leur proactivité, parfois décriés par les riverains car jugés insuffisants.
À peine sorti du commissariat rue Glesener, il suffit de faire 100 mètres et on est aux abords de la place de Strasbourg, qualifiée par Olivier, commissaire adjoint, comme «le début des problèmes». Ce spot connu de vente de drogues symbolise les difficultés rencontrées par la police pour stopper le trafic. Pour cause, le flagrant délit y est rare, car la place est sous la surveillance de guetteurs, comme cet homme attablé en terrasse à proximité et aussitôt identifié. «Vous voyez ce monsieur assis et qui fait comme si de rien n’était ? Il est déjà en train de prévenir tout le monde que nous sommes là.»
L’insaisissable flagrant délit
Dans les deux camps, les réflexes sont affûtés et à notre arrivée, la place est déjà déserte. Même en cas de contrôle, les vendeurs ont rarement la drogue sur eux, qu’ils cachent ailleurs, et les guetteurs ne sont pas verbalisables. Rue de la Fonderie, le scénario est le même. Quid des caméras afin d’obtenir du flagrant délit ? «C’est compliqué, car cela demanderait d’être toujours derrière l’écran et de connaître les habitudes des vendeurs qui, très souvent, se cachent quand même», répond un policier.
Il apparaît rapidement au cours de la patrouille que les agents ne peuvent qu’au mieux déranger le commerce illégal, en dépit de toute leur bonne volonté. «Les arrestations, les couvertures, les écoutes, c’est du ressort de la police judiciaire.» Il y a néanmoins un autre fléau sur lequel ils ont davantage d’impact : la toxicomanie.
Après avoir passé le haut de la rue de Strasbourg, où les policiers louent les terrasses installées par les commerçants «qui repoussent les gens qui traînent dans la rue», la ronde se poursuit en direction du Fort Neipperg. L’objectif est de jeter un coup d’œil dans une arrière-cour d’immeuble connue pour être un lieu de consommation. Sur place, l’odeur d’urine confirme la présence de trois individus, cachés derrière une voiture.
Un rôle social important
«On ne juge pas leur apparence, mais ça se voit qu’ils consomment», indique Olivier concernant les trois toxicomanes aux visages marqués. Lors de l’intervention, chacun connaît son rôle et le ton est cordial. Un policier prend les identités, tandis qu’un autre les surveille en train de ranger leurs affaires. Il reste au sol les traces de leur consommation d’héroïne, avec les flacons d’acide pour la diluer, le briquet pour la chauffer et l’aluminium pour l’inhaler.
Une discussion s’installe et le trio déplore le fait que l’Abrigado (salle de shoot) ferme à 16 h. Dans le cas contraire, ils assurent qu’ils auraient consommé là-bas, sous surveillance. «C’est dommage que ce soit fermé», acquiesce Olivier. Au contact quotidien de la misère sociale, entre sans-abrisme et toxicomanie, les policiers aimeraient eux aussi davantage de structures.

En attendant, «on les redirige à chaque fois vers la Stëmm (NDLR : association caritative) pour manger ou vers Médecins du monde pour se faire soigner», raconte Olivier. «On est un peu comme des éducateurs sociaux, on parle beaucoup avec eux quand c’est possible.» Avant de débuter dans le quartier Gare, le commissaire adjoint l’avoue : «Je ne pensais pas faire autant de social.»
«On s’inquiète quand on ne les voit plus»
Contrairement aux revendeurs, les clients sont très majoritairement en ville depuis longtemps. «On connaît leur nom, leur date de naissance, leur histoire et on s’inquiète quand on ne les voit plus.» Pour les croiser, il faut connaître leurs cachettes pas si secrètes. Boulevard de la Pétrusse, en face de l’église du Sacré-Cœur, les forces de l’ordre fouillent les buissons où se trouvent de nombreux «chemins de désir» utilisés par les toxicomanes. Avec vue sur la cité judiciaire, «c’est le plus grand spot de consommation de la ville», nous dit-on.
Cette fois se trouve dans les fourrés, remplis de seringues, un homme qui tente de soigner une large plaie ouverte au mollet causée par l’injection d’héroïne. «Cela arrive souvent qu’ils tentent de se soigner avec de l’alcool fort, mais c’est pire. C’est pour cela que l’on a une trousse de secours pour les aider.»

En remontant vers l’avenue de la Liberté, l’attention de la patrouille est attirée par un homme, visiblement un sans-abri, qui aurait importuné des clients et crié dans une boutique. Ce dernier, encore à deux pas, est interpellé et Olivier décèle immédiatement des troubles mentaux : «On voit qu’il ne semble pas trop comprendre ce qu’il se passe.»
Concerné par un procès-verbal pour lequel il ne s’est pas présenté, l’individu est menotté et conduit au commissariat pour y être interrogé. Pour la patrouille aussi, c’est l’heure de rentrer, après environ 1 h 40 passée dehors, entre «drames personnels» et «problèmes complexes». Et demain, rebelote.
Prochain café avec la police en préparation
Après le succès de la première édition de l’«Op e Kaffi mat der Police» («Café avec la police»), le 3 juillet dernier, l’équipe du commissariat de la Gare est en train de chercher un nouveau lieu pour le second rendez-vous avec les riverains. L’objectif est de rééditer l’opération à un rythme mensuel et dans un café différent à chaque fois.