Accueil | A la Une | Quand seniors et jeunes forment une coloc’

Quand seniors et jeunes forment une coloc’


Françoise a eu un vrai coup de cœur pour Hadi, jeune étudiant iranien en recherche de colocataire. Photo : Sophie Wiessler

C’était une première à l’université du Luxembourg. Jeudi après-midi, un speed dating intergénérationnel s’est tenu à la Maison des arts et des étudiants à Belval. Une façon comme une autre de créer une cohabitation entre jeunes et aînés.

Elle a le sourire aux lèvres, Françoise. La voici pour la première fois de sa vie à un speed dating. Pas pour rencontrer l’amour, non. Ça, elle l’a déjà trouvé et malheureusement perdu, il y a un an. Non, Françoise n’est pas à la recherche de l’âme sœur, plus à son âge. Elle est ici pour se trouver un colocataire. Jeune, de préférence.

N’y voyez rien de tendancieux, c’est simplement l’initiative mise en place par l’ASBL Cohabitage, en collaboration avec l’université du Luxembourg : permettre à des personnes âgées, isolées, en recherche de compagnie, d’héberger pour quelque temps des étudiants, en demande de logement à moindre coût.

Alors, à 79 ans, Françoise n’a pas hésité une seconde. Elle dispose d’une chambre libre, dans sa maison située à Esch-sur-Alzette, et recherche chaussure à son pied. Un nouveau partenaire de vie, qui ne remplacera certainement pas l’ancien, mais qui saura lui apporter un peu de présence au quotidien. Tondre sa pelouse, partager ses petits-déjeuners et ses dîners avec elle. Des petites choses simples de la vie, qui lui pèsent un peu plus que d’ordinaire, ces derniers mois.

Ce jeudi après-midi à Belval, elle enchaîne donc les rencontres. Dix minutes par étudiant, top chrono. Il faut dire que la demande est forte. «Nous avons eu davantage d’étudiants présents que de personnes âgées. Il fallait se montrer patient», concède Moussa Seck, chargé de la direction de l’ASBL. C’est lui qui aide Françoise à passer ses «entretiens». Âge, travail, études, passe-temps… Il n’hésite pas à poser toutes les questions pour s’assurer de la bonne foi des solliciteurs.

Une trentaine de participants étaient présents hier après-midi à Belval. Photo : Tania Feller

«Vous sortez le week-end ? Non pas que Françoise va vous retenir prisonnier hein, mais c’est toujours bon à savoir», glisse-t-il dans un sourire à un jeune homme logé à Belval et cherchant un appartement plus près de son lieu de travail, à Foetz. «On prend votre numéro, on se concerte avec Françoise et on vous recontactera.»

Mais le choix de la mamie eschoise est déjà tout trouvé. Elle nous a glissé l’information, en douce, pendant que Moussa regardait ailleurs. Elle a eu un coup de cœur. Un garçon «très gentil», qui se prénomme Hadi. Il ne parle pas encore bien le français, mais il lui «fait penser à son fils», Jean-Marc, malheureusement décédé. Et il nous a promis qu’il allait «essayer d’apprendre la langue».

S’aider les uns et les autres

À 32 ans, il vient de reprendre ses études, après une période de chômage. Il a déjà travaillé auparavant et veut désormais trouver un autre job au Luxembourg. Mais pour se loger, c’est plus compliqué encore. «Tout est trop cher, je veux pouvoir vivre aussi à côté de mon travail, pas uniquement payer mon loyer», nous explique-t-il.

S’il va participer financièrement à la vie de Françoise, ce ne sera rien comparé à son loyer actuel. Le projet de cohabitation prévoit en effet des frais de participation allant de 100 à 300 euros maximum. Une aubaine sur le marché luxembourgeois, toujours plus compliqué.

«Je trouve aussi ce concept de cohabitation intergénérationnel très intéressant. Jeunes et aînés, nous avons tous nos besoins, nos demandes et je trouve ça bien de s’aider les uns et les autres. Nous pouvons partager nos expériences de vie et donnons un peu de notre présence, c’est donnant-donnant», détaille Hadi, en souriant.

Jackpot donc. Si tout se passe bien, Hadi viendra s’installer chez Françoise, début juin. Pour une durée de six ou douze mois, à voir selon leurs besoins. Et si Hadi doit partir, Françoise se voit déjà avec d’autres étudiants. Elle a de la place et du temps. «Je veux surtout les aider, c’est compliqué pour eux de se loger. Les personnes de mon âge devraient réfléchir à cette cohabitation, c’est une bonne idée», assure-t-elle.

Les étudiants répondent à une série de questions pour «matcher» le plus possible avec les seniors. Photo : Tania Feller

Comme elle, 77 % des personnes de plus de 65 ans au Luxembourg vivent dans des logements sous-exploités, selon une étude Eurostat. Peur de l’autre, de perdre sa quiétude, son confort de vie… Nombreux sont les blocages empêchant les personnes âgées de franchir le pas. «Ce sont ces personnes-là que nous allons continuer de viser», renchérit Moussa, qui promet un deuxième speed dating à la rentrée prochaine.

Depuis 2017, l’ASBL Cohabitage a permis la cohabitation de 48 binômes similaires à Françoise et Hadi. Les colocataires restent souvent en contact au-delà de leur cohabitation. Des liens se créent, certains sont invités aux mariages de leurs protégés, d’autres continuent à rendre visite à leur «mamie ou papi». Des vies métamorphosées, qui donnent forcément le sourire.