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Ainhoa Achutegui : «Il y a une zone grise dans ce projet de loi sur la prostitution»


Ainhoa Achutegui lance un appel : "Le Planning familial serait heureux de pouvoir faire partie du comité permanent qui succèdera à la plateforme prostitution". (Photo : Hervé Montaigu)

La présidente du Planning familial, Ainhoa Achutegui, salue le plan d’action national «prostitution», mais aurait souhaité qu’il poursuive sa logique et aille jusqu’au bout des choses pour conclure à une pénalisation du client.

Ainhoa Achutegui n’en démord pas. La seule façon de lutter contre la prostitution, véritable violence faite aux femmes, c’est de pénaliser le client, car après tout, elles sont toutes en situation de vulnérabilité. En tout, plus de 90% d’entre elles.

Le gouvernement a présenté son plan d’action national « prostitution » qui se veut à la fois abolitionniste et réglementariste. Ce modèle luxembourgeois vous convainc-t-il ?

Ainhoa Achutegui : Il est davantage abolitionniste que réglementariste. Ce plan présente une certaine logique quand on le parcourt sauf que l’on s’attend à une pénalisation du client en guise de conclusion. Ici, la prostitution n’est pas vue comme un service particulier dans un univers néolibéral comme c’est le cas en Allemagne avec les travailleuses et travailleurs du sexe.

Le plan d’action luxembourgeois pose la femme en victime comme les abolitionnistes le pensent aussi, mais seulement quand elle est mineure, vulnérable ou victime de la traite. Dommage que le texte ne va pas jusqu’au bout de la logique. Il manquait un peu de courage pour y parvenir. Cela étant dit, le plan d’action va dans la bonne direction.

Le client est-il suffisamment responsabilisé ?

Ce texte introduit la pénalisation du client s’il a eu une relation tarifée avec une personne mineure, une victime d’exploitation sexuelle, ce qui est souvent le cas, ou une personne particulièrement vulnérable. Nous aurions préféré que cela soit systématique.

Peut-on considérer que toutes les prostituées sont des personnes vulnérables puisqu’elles choisissent ce « métier » ultime ?

Vous le dites très bien, c’est un « métier » ultime! Oui, on peut considérer qu’une femme qui se prostitue est dans une situation de très grande précarité, en tout cas selon nos sources. Et selon les études sur le sujet, 90 à 95 % des femmes n’ont pas choisi ce métier. Il n’y a donc que 5 % à 10 % des femmes qui apprécient leur « métier », toujours entre guillemets. Parmi toutes les femmes qui se prostituent, 90 % sont dépendantes aux drogues, et/ou à l’alcool et/ou ont subi des violences sexuelles pendant leur enfance. On peut donc considérer qu’elles sont toutes vulnérables.

Lire aussi : La prostitution sera autorisée mais très encadrée au Luxembourg

 

Avec ce projet de loi, comment démontrer que ces femmes sont des personnes vulnérables ?

La question est d’abord de savoir qui va juger de la situation de la femme. Est-ce le ou la street worker dans la rue? Ensuite, qui va porter plainte? La prostituée? Le ou la street worker? Je trouve qu’il y a une zone trop grise dans ce projet au niveau de la clientèle. Il faudrait, à nos yeux, responsabiliser le client sur ce statut de « personne vulnérable » et informer davantage la population en lui expliquant que quasiment toutes ces femmes sont des victimes notamment de violences.

C’est le premier pilier du plan du gouvernement quand je lis qu’il s’agit avant tout de réduire la violence perpétrée à l’égard des prostituées. La logique voudrait donc que l’on punisse les clients qui opèrent ces violences aussi bien physiques que verbales. Après mûre réflexion, le Planning familial a finalement conclu dans sa position qu’il fallait à tout prix responsabiliser le client et pas seulement poursuivre les proxénètes. Une toxicomane, pour sa dose de drogue, peut se prostituer pour 15 euros dans une situation d’extrême vulnérabilité.

«Je trouve qu'il y a une zone trop grise dans ce projet au niveau de la clientèle. Il faudrait, à nos yeux, responsabiliser le client à propos de ce statut de "personne vulnérable"», juge Ainhoa Achutegui. (photo LQ)

«Je trouve qu’il y a une zone trop grise dans ce projet au niveau de la clientèle. Il faudrait, à nos yeux,
responsabiliser le client à propos de ce statut de « personne vulnérable »», juge Ainhoa Achutegui. (photo LQ)

La plateforme discute depuis 2012 de cette stratégie, cette zone grise n’a-t-elle pas été évoquée ?

C’est la question que j’aimerais bien poser à la ministre de l’Égalité des chances, Lydia Mutsch. Qui va dénoncer? C’est toute la question. Et ensuite, c’est au juge de décider si la prostituée peut être considérée comme une personne vulnérable. Je pense un peu comme Alex Bodry (LSAP) qui a dit que notre modèle est un modèle suédois déguisé. Heureusement que nous avons écarté d’emblée le modèle allemand qui fait la part belle aux proxénètes. Mais je précise que le Planning familial ne faisait pas partie de la plateforme « prostitution »…

Ce n’est pas très logique vu qu’il vous revient la mission de vous occuper du volet éducation sexuelle et affective contenu dans le plan d’action…

Oui, tout à fait. Et d’ailleurs j’en profite pour faire passer le message au gouvernement : le Planning familial serait heureux de pouvoir faire partie du comité permanent qui succédera à la plateforme « prostitution ».

Ce n’est pas très logique vu qu’il vous revient la mission de vous occuper du volet éducation sexuelle et affective contenu dans le plan d’action…

Oui, tout à fait. Et d’ailleurs j’en profite pour faire passer le message au gouvernement  : le Planning familial serait heureux de pouvoir faire partie du comité permanent qui succédera à la plateforme « prostitution ».

Le projet de loi qui accompagne ce plan d’action national durcit la législation contre les proxénètes et tous ceux qui exploitent la prostitution en donnant surtout plus de liberté d’action aux enquêteurs. Cela faisait-il partie de vos revendications?

Oui, totalement. J’avais participé à une discussion organisée par Maskénada lors de laquelle un policier nous avait expliqué que dans beaucoup de situations, il était évident que ces femmes étaient victimes de la traite des êtres humains et qu’elles étaient privées de leurs papiers d’identité. Mais le champ d’action de la police était limité. Maintenant, le texte prévoit que les policiers peuvent entrer en tout temps dans des lieux pour lesquels il existe des indices d’actes de débauche ou de prostitution.

Et enfin, la rétention des papiers d’identité est une pratique courante dans la traite des êtres humains pour garder le contrôle sur les victimes et ce projet punit désormais les auteurs de cette infraction avec des peines allant jusqu’à la prison.

Je reviens sur ce que je disais au début de notre entretien, quand je lis ce plan d’action, la conclusion de toute cette stratégie aurait dû être la pénalisation du client, purement et simplement. Le modèle suédois en somme.

Il est très important de proposer aux personnes qui se prostituent des alternatives réelles de sortie –  ce que nous retrouvons comme une des priorités dans le plan d’action national par ailleurs  – et un accès aux soins de santé et à des supports psychosociaux quelle que soit la situation légale des prostituées.

Le modèle suédois a également été critiqué en ce sens que la prostitution est toujours présente, mais cachée et encore plus incontrôlable…

Les Suédois ont réussi à réduire la prostitution. La vraie question est de savoir ce que nous voulons pour notre société. On peut dire O.  K., on n’interdit pas la prostitution, mais on pénalise le client, ce qui revient à interdire la prostitution sauf qu’on ne le fait pas. La pénalisation du client est une question qui divise même chez les féministes.

Diriez-vous que le modèle luxembourgeois est hypocrite?

Oui. Il autorise en somme la prostitution quand il s’agit d’une femme indépendante, donc sans proxénète, qui exerce chez elle ou dans certaines rues. Mais le projet punit sévèrement les propriétaires de ces appartements s’ils savent que les lieux abritent une activité de prostitution. C’est ridicule. Là encore, cela va être difficile de prouver que le propriétaire savait ou pas. Il faudrait donc que la prostituée soit propriétaire de son logement…

Le plan d’action explique dans son préambule qu’il existe une spécificité luxembourgeoise notamment due au caractère volatile de la prostitution nourri par des contingents qui varient selon les flux migratoires. Cela rend-il la lutte plus difficile?

Je ne vois pas ce que cela change si on part du principe de la pénalisation du client, justement. Je peux bien m’imaginer que le Luxembourg soit un lieu de transit, mais cette spécificité n’excuse rien. Il faudrait en discuter au niveau européen, mais il y a tellement de législations différentes que c’est peine perdue.

Le projet mise en revanche sur des mesures relatives à l’éducation sexuelle et affective et c’est là où le Planning familial intervient…

C’est en train de se mettre en place pour ce qui concerne le centre de référence pour coordonner toute l’éducation sexuelle et affective qui se fait déjà au niveau national. Le Planning familial a été choisi pour porter ce centre de référence. À l’heure actuelle, une seule personne (rire) et prévue, alors il ne faut pas imaginer une grande structure.

Sur le terrain, le Planning fait le plus gros du travail de formation de formateurs pour avoir des multiplicateurs. Mais là encore, avec deux postes (en 50  ans d’existence), il est illusoire de penser qu’il va faire différence. À l’heure actuelle, nous refusons beaucoup de demandes d’intervention dans les écoles, maisons relais…

Comment concevez-vous cette éducation?

À long terme, il faut que chaque enfant ait une éducation sexuelle et affective adaptée à son âge, mais pas seulement un cours dans sa vie. Il faut expliquer que le sexe est affaire de respect, que la prostitution c’est une domination d’une personne sur une autre, c’est l’exploitation sexuelle. Les adolescents posent beaucoup de questions parce qu’ils voient aussi beaucoup de pornographie, souvent trop tôt malheureusement.

Les jeunes filles nous demandent souvent si elles doivent vraiment faire ce genre de choses et nous leur apprenons qu’elles ne sont pas obligées de faire quoi que ce soit, au contraire, elles choisissent de faire ce qu’elles veulent. Tout le contraire de la prostitution.

Geneviève Montaigu

Ainhoa Achutegui en bref

Caracas. C’est dans la capitale du Venezuela qu’Ainhoa Achutegui voit le jour en 1978. Son grand-père, un Espagnol républicain, y demande l’asile politique en 1945 et épouse une Vénézué- lienne.

Vienne (I). À l’âge de 5 ans, Ainhoa Achutegui débarque avec sa famille à Vienne où elle fréquente une école fran- çaise puis l’université où elle décroche un master en philosophie et théâtre, puis en gestion de projets culturels

Vienne (II). Elle fait ses armes au Wuk de Vienne, qu’elle qualifie de «version punk» de Neimënster. Elle y sera directrice de la programmation danse et théâtre

Ettelbruck. À Vienne, elle fait la connaissance de son futur mari, un Luxembourgeois architecte de formation. Elle débarque à Ettelbruck pour prendre les rênes du Centre des arts pluriels en 2006.

Luxembourg. Ainhoa Achutegui prend la succession de Claude Frisoni à l’abbaye de Neumünster en décembre 2013. En février 2015, elle accède à la présidence du Planning familial, succé- dant à Danielle Igniti.

3 plusieurs commentaires

  1. La prostitution ne sert qu’à enrichir les proxénètes et à bétonner les inégalités femmes – hommes, puisqu’elle dit que des femmes pauvres et le plus souvent étrangères (il y a peu de luxembourgeoises assez pauvres pour se résigner à être prostituées…) peuvent être assignées à servir de défouloir sexuel à cette minorité des hommes acheteurs d’actes sexuels. Et la menace pèse alors sur toutes les femmes : il suffit de pas de chance.
    Le Luxembourg est au carrefour de l’Europe, entre l’Allemagne, qui en est le bordel, et la France qui a choisi le modèle nordique qui criminalise l’achat d’actes sexuel et offre aides diverses aux personnes prostituées qui veulent quitter ce milieu. Le Luxembourg imagine qu’il peut la fois protéger les « clients » et les personnes prostituées. C’est un leurre. Ce sont les clients prostitueurs qui créent ce commerce, par leur demande et leur argent. Et ils ne sont pas à protéger. Ce sont, au mieux, des égoïstes, pour qui seule compte leur petite satisfaction sexuelles mécanique, au pire, des prédateurs qui prennent plaisir à humilier des femmes sous emprise.

  2. l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 13 ou de 14 ans (Silbert & Pines, 1982; Weisberg, 1985, John Howard Society of Alberta, 2001), donc la prostitution n’est jamais un choix comme le souligne cet article. C’est à cause des michetons que les mafias s’activent, c’est à cause d’eux que la traite des femmes existent alors oui responsabilisons les michetons en les pénalisant.

  3. Les prostituees sont toutes droguees , alcooliques ou peut être meme incultes ? Ok les filles qui sont à la gare sont un vrai fléau ! Pratiquement toutes Roumaines avec les proxénètes en bas de l appartement ! Et les clients alimentent cela , Prix réduits donc attractifs . Mais merci de ne pas généraliser, j ai choisis mon metier et je ne suis ni droguee, ni alcoolique, ni sous violence conjugale.. Gérer la situation à la gare sera déjà un très grand pas contre la prostitution étrangère et contrainte . Abolir plus tard la prostitution n est pas une solution non plus . C’est un besoin ( un service ) qui est social avant tout , nous donnons un certain équilibre à la société .