Enfant du pays, Jean-Baptiste Gansen milite pour annuler la construction d’un hôtel et d’un centre de bien-être au lieu-dit «Am Doihl», à Rodange, dans le bois dont il est le guide.
Sourire aux lèvres, poigne amicale et ton rieur, Jean-Baptiste Gansen est un hôte accueillant. Dans les bois et marécages du lieu-dit «Am Doihl», à Rodange, il est comme chez lui. Et pour cause, «j’y habite depuis 1946, depuis ma naissance». Collée à la piscine Piko, cette zone, aussi verte que nature, abritait autrefois la mine Doihl qui alimentait les hauts-fourneaux de la commune. «Dans le temps, il y avait du passage avec la voie de chemin fer, du bruit qui venait des explosions dans les minières et un funiculaire qui transportait le minerai», se rappelle le Rodangeois, qui était alors enfant.
Plus de 40 ans après la fermeture de la mine, seuls le vent et les oiseaux dérangent le silence. Un calme toutefois menacé par la construction d’un hôtel et d’un centre de bien-être. Quelque 3 000 mètres carrés, 59 chambres et un tunnel entre les deux établissements doivent sortir de terre, le permis de construire ayant été délivré par le bourgmestre. Un projet contre lequel les habitants se sont insurgés, se plaignant de ne pas avoir été assez informés ni consultés.
En janvier 2023, ils étaient près de 200 réunis sur le site afin de protester, dont la Biergerinitiativ Doihl et la Biergerinitiativ Kordall, connue dans les années 1990 pour avoir fait échouer un projet d’enfouissement de déchets à la frontière. L’hôtel, exploité par la chaîne autrichienne JUFA, et le centre de bien-être, géré par la commune, dérangent par leur emplacement en bordure d’une zone naturelle protégée. «Il y a les marécages en bas et la forêt au-dessus, ce n’est pas possible.» Depuis le début de l’année, la mobilisation ne faiblit pas, poussée par des citoyens motivés, les membres de la Biergerinitiativ Doihl dont Jean-Baptiste Gansen fait partie.
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«C’est ici que nos pères ont gagné leur vie»
«Batty», qui connaît et salue tous ceux qui passent devant le site, tient à préciser qu’il ne s’occupe pas de la partie judiciaire de la Biergerinitiativ. Pour cette figure locale, son terrain, c’est la nature. «Je préfère qu’on dise que je suis le guide ici», plaisante-t-il. Après avoir joué à travers le bois durant sa jeunesse, le retraité s’y rend tous les jours, notamment pour chasser. L’enfant du pays connaît donc chaque recoin. Ainsi que tous les inconvénients d’y construire. «Ils ont déraillé, qui voudrait faire un hôtel ici ?», se questionne-t-il encore.
En tête de liste, ce dernier mentionne la source qui traverse le terrain pour alimenter le marécage en contrebas. «Le sol est plein d’eau, ça va faire rouiller toutes les fondations, comme pour la piscine, qui est fermée pour travaux depuis deux ans à cause de ça», explique-t-il. Autre danger : l’instabilité du sol causée par la minière et ses crevasses. «Ça ne se voit pas, mais c’est un gruyère, la montagne bouge», avertit celui qui a exploré les mines, en cachette, durant sa jeunesse. Du doigt, il pointe l’exemple d’une antenne construite à quelques centaines de mètres, dont on peut apercevoir des fissures sur les fondations. En tant qu’expert, ou presque, il tient aussi à souligner l’humidité des lieux, attestée par la présence de moustiques, ainsi que la faible exposition au soleil. «Ici, il y a encore de la neige trois jours après qu’elle a fondu partout.»
«Si je dis tout ça, c’est pour avertir le promoteur», dit-il sincèrement. Forcément, cela pourrait aussi faire avorter le projet, ce qu’il espère encore. Ce cocon de nature fait partie de son quotidien, ainsi que de son héritage familial. «C’est ici que nos pères ont gagné leur vie dans la mine», raconte-t-il. «Quand je voulais descendre voir les galeries, mon père refusait et disait que lui y avait déjà passé assez de temps.» Bien que la nature ait repris ses droits et que l’entrée des embouchures ait été fermée, une structure métallique au-dessus de la voie de chemin de fer rappelle cette histoire locale, dont le terrain conserve l’âme. «Ils veulent détruire ce qu’il reste.» «Batty» est aussi attaché à l’environnement, au marécage qui serait vidé en cas de déviation de la source et aux petites bêtes. «Il y a des crapauds, des couleuvres, des chauves-souris, des loirs et même des sangliers qui descendent par là. Il faut protéger leur habitat», insiste-t-il.
Alors, il croit encore qu’il est possible de garder son coin vierge de toute construction. Notamment grâce à la source, enregistrée depuis l’autorisation de permis de construire. «Maintenant qu’elle est reconnue, elle peut être protégée.» Un point sur lequel va s’appuyer l’avocat engagé par la Biergerinitiativ, actuellement en train de constituer un dossier. Et si le recours judiciaire n’annule pas le projet, il ne compte pas abandonner pour autant. «On va les bloquer en se collant sur la route comme en Allemagne», lance-t-il à des amis qui l’ont rejoint, entre plaisanterie habituelle et avertissement sérieux.
«Il est trop tard pour discuter de ce projet»
En janvier 2023, ils étaient près de 200 citoyens à s’être rassemblés sur l’emplacement du futur hôtel et centre de bien-être afin de protester contre leur construction. D’après eux, il existe deux arguments pour annuler le projet : il est entouré d’une zone protégée Natura-2000 et la population n’a pas été assez informée. Depuis, leur colère n’a pas désenflé et l’ASBL de citoyens de la Biergerinitiativ Doihl envisage un recours en justice. À moins d’un mois des élections communales, le projet polémique est un sujet politique.
Pour l’échevin Romain Mertzig, membre du parti socialiste LSAP, la situation est claire : «Nous ne pouvons plus faire marche arrière». «Les citoyens avaient la possibilité de faire des réclamations avant, mais rien n’a été fait», avance-t-il. Pierre Mellina, bourgmestre membre du parti chrétien-social CSV, précise que la population a été informée par des réunions en 2011, avant la modification du «Plan d’aménagement général» (PAG) «pour qu’il soit possible de construire un complexe hôtelier». Même chose six ans plus tard, lors de la refonte du PAG, pour laquelle «il n’y avait aucune contestation et il y a de nouveau eu un vote unanime». À la suite de cela, le projet a été lancé et la population suffisamment informée, selon lui : «C’était clair, un hôtel pourrait être construit sur cette parcelle».
Tandis que des élus, comme Romain Mertzig, estiment que pour ce dossier «tout a été discuté et pensé», les citoyens ne sont pas du même avis. «On n’a pas eu d’informations concrètes, tout a été fait par-derrière», estime Jean-Baptiste Gansen. Bien que ce dernier reconnaisse que «si on avait réagi il y a 15 ans, le projet serait mort», ce retard s’explique, pour lui, par le manque de clarté.
Face aux demandes d’études de l’ASBL afin de protéger la source notamment, Jean-Marie Halsdorf, échevin étiqueté CSV, exprime son étonnement car «ces gens étaient assis au conseil communal et ils n’ont rien dit». Marc Goergen, conseiller communal et représentant du Parti pirate, considère, lui, cette demande : «Il semblerait que toutes les informations n’aient pas été présentées». Tout de même en faveur de la construction d’un hôtel, il promet cependant qu’en cas d’élection, «nous chercherons un nouveau site, sans impact sur la nature».
Un changement impossible selon le bourgmestre : «Je n’ai plus aucune possibilité pour réagir et pour refuser cette autorisation». Alors que le futur hôtel est considéré comme un établissement de luxe par ses opposants, ce dernier assure que ce n’est pas du haut standing, mais «quelque chose en combinaison avec la nature». Jean-Marie Halsdorf va plus loin et le décrit comme une auberge de jeunesse réservée aux familles et aux jeunes. Ce dernier précise aussi que le projet n’est pas un hôtel de wellness. Les deux projets sont séparés, le centre de bien-être étant construit car celui de la piscine Piko serait vieillissant. Pour le parti CSV et l’actuel bourgmestre, le projet est ficelé. «Aujourd’hui, il est trop tard pour discuter de ce projet.»