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Procès Bommeleeër bis : la défense joue la carte de la mémoire


Jos Wilmes relâche une dernière fois la tension avant d’entrer dans la salle d’audience. (photo Alain Rischard)

La mémoire peut être trompeuse. Ainsi, les faux témoignages n’en seraient peut-être pas et les prévenus n’ont peut-être pas menti sciemment. La défense s’est engouffrée dans cette voie ce mardi.

Les prévenus ont-ils la mémoire qui flanche ou la mémoire est-elle l’alibi rêvé dans ce procès Bommeleeër bis ? Une chercheuse de l’université du Luxembourg est venue ce matin expliquer son fonctionnement à la barre de la 9e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg où d’anciens hauts responsables des forces de l’ordre sont jugés pour faux témoignages lors du procès principal.

La défense l’a citée à témoigner pour tenter de démontrer que les prévenus ont pu commettre des imprécisions à l’insu de leur plein gré. Une carte supplémentaire tirée de la manche des robes noires. Pendant plus d’une heure et demie, la chercheuse a démontré sous le feu des questions à quel point la mémoire et son développement étaient propres à chacun.

Me Assa, l’avocat de Pierre Reuland, ancien directeur général de la police grand-ducale, a estimé que la mémoire était «sans garantie» et pouvait être influencée par divers facteurs. «Sans preuves matérielles, il faut se reposer sur la mémoire. La mémoire des prévenus est aussi problématique que celle des témoins. On peut se demander combien de témoins doivent affirmer quelque chose pour que ce quelque chose corresponde à la vérité», affirme l’avocat. «Un témoignage qui n’y correspond pas peut être intentionnel ou pas. Pour condamner quelqu’un pour faux témoignage, il faut pouvoir prouver que ce faux témoignage a été fait sciemment.»

Marcel Weydert, choisi par les enquêteurs pour ouvrir le bal des prévenus, n’est peut-être pas pleinement responsable de ses affirmations. Un expert psychiatre entendu lundi a décelé des troubles de la personnalité chez cet ancien membre de la brigade mobile de la gendarmerie. «Il avoue s’être trouvé dans un tunnel», indique Me Wies. «Les enquêteurs sont persuadés que mon client était convaincu dès 2012 d’apparaître sur une photographie publiée dans le Luxemburger Wort et légendée à son nom.»

«La mer à boire»

C’était avant d’opérer un virage à 180 degrés et d’être accusé d’avoir fait un faux témoignage durant quatre audiences en janvier 2014. La photographie avait été prise pendant que Marc Scheer et un autre gendarme mobile intervenaient sur les lieux de l’attentat des casemates le 5 octobre 1985. Marc Scheer, un des Bommeleeër présumés, l’avait contacté pour avoir confirmation qu’il était bien à ses côtés et pas Jos Wilmes, autre Bommeleeër présumé, avec lequel il était souvent confondu.

Aujourd’hui, son avocat indique qu’il a pu mal interpréter les propos de Marc Scheer et construire «sa» vérité. «La mémoire est une reconstitution de quelque chose. Ce n’est pas une imprimante qui reproduit fidèlement quelque chose contenu dans le cerveau. Il suffit d’y glisser un élément erroné pour que la mémoire reconstitue quelque chose de faux. C’est ce qui semble être le cas.» La légende dans le quotidien national pourrait donc être fausse, selon l’avocat. À moins que la suggestion de Marc Scheer n’ait suffi à embrouiller la mémoire du prévenu.

L’affaire Bommeleeër est un véritable sac de nœuds compliqué par les témoignages des prévenus. L’enquêteur principal a tant bien que mal tenté d’en rappeler les grandes lignes aux bons souvenirs des protagonistes de l’affaire. Rapports, études de cas du FBI ou de la CIA datant de février 1986, perquisitions, observations de Ben Geiben et commission rogatoire internationale à Bruxelles… Oublis, incohérences, manque d’organisation et pièces «d’une importance capitale» qui avaient été occultées par l’enquête initiale sont évoquées. On plonge en plein dossier Bommeleeër et ses complexités.

Dès l’époque des attentats, des indices montraient, explique le policier, que leurs auteurs pouvaient être des membres des forces de l’ordre. Il n’a jamais été enquêté en ce sens. Jusqu’à ce que l’affaire soit relancée. Ben Geiben, fondateur de la brigade mobile, était dans le viseur de la justice. Un témoin avait affirmé que celui qui vivait entre Luxembourg, Bruxelles et les États-Unis lui avait avoué sa participation lors d’une rencontre secrète à Disneyland en Floride. Il a depuis été mis hors de cause.

Le groupe d’enquête dédié a dû reprendre le fil de l’enquête initiale depuis le début pour préparer le principal procès Bommeleeër. Il a ensuite été chargé de rassembler des preuves de faux témoignages de la part des prévenus actuels. L’enquêteur principal a d’ailleurs reconnu que relire les verbatims des audiences pour relever les contradictions, les incohérences et les erreurs «a été la mer à boire».