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Présidentielle américaine : l’ambassadeur au Luxembourg évoque « une affreuse campagne »


Pour l'ambassadeur américain David McKean, Donald Trump «a dépeint un tableau de l'état des États-Unis qui a trouvé un écho chez de nombreuses personnes». (photo JC Ernst)

En poste depuis avril, l’ambassadeur des États-Unis au Luxembourg, David McKean, revient sur la campagne présidentielle américaine ainsi que sur les négociations avec l’UE sur le TTIP.

David McKean exprime sa frustration quant à la teneur prise par la campagne électorale outre-Atlantique et tente d’expliquer le phénomène Trump. Fervent partisan du projet européen, il croit toujours au TTIP.

Le Quotidien : Lors d’un débat organisé par l’ambassade entre républicains et démocrates du Luxembourg, vous avez déclaré que les candidats et les experts politiques ont coutume de dire à chaque élection présidentielle qu’elle est la plus importante de leur vie, mais que cette fois-ci ils avaient peut-être raison. Pourriez-vous expliquer cette affirmation?

David McKean : Il y a plusieurs raisons. Nous n’avons jamais eu deux candidats à la présidentielle avec une vision si différente du monde, avec des compétences si différentes pour le job. Et je crois que nous n’avons jamais eu deux candidats si opposés en termes de caractère, de tempérament.

Et même si c’était aussi le cas pour les élections précédentes, nous avons devant nous un nombre très important de défis à relever d’un point de vue national mais aussi international. Il y a toujours des défis, mais lorsque vous avez deux personnes avec une approche si différente de la fonction, cela signifie que nous pouvons emprunter des chemins très différents dans la manière de les relever.

Vue d’Europe, la campagne présidentielle américaine est tout bonnement incroyable, avec des attaques personnelles féroces, des déclarations sexistes et racistes de Donald Trump. Cette campagne est-elle le symbole d’une crise du système politique américain?

Je ne pense pas que l’on puisse parler de crise, ce n’est sans doute pas le bon terme. Il est évident que cette campagne n’est pas très exaltante, qu’elle est assez décourageante. Nous espérerions tous qu’elle aborde les vrais problèmes. La plupart des Américains regrettent qu’elle se concentre autant sur la personnalité des deux candidats. Mais la personnalité d’un leader est également très importante. C’est une affreuse campagne, mais il reste encore un débat qui sera très important (NDLR : l’interview s’est tenue la veille du troisième et dernier débat entre Trump et Clinton).

Mais pensez-vous que le système bipartisan est en danger après les divisions qui sont apparues au sein du Parti républicain du fait de la candidature de Donald Trump?

Cela va être une chose très intéressante à observer. Actuellement, les républicains ne se battent pas seulement contre les démocrates, ils se battent contre eux-mêmes. Le Parti républicain est en crise, il est à la recherche de sa véritable identité. Après cette élection, il y aura une lutte interne au parti, sans doute une scission entre ceux qui voudront aller plus avant dans une nouvelle identité et ceux qui veulent conserver l’ancienne.

Ces derniers jours, Donald Trump a multiplié les sorties selon lesquelles l’élection serait truquée. Cela ne représente-t-il pas un danger pour le jour « d’après »?

Il s’agit là de propos irresponsables. C’est faux. L’un des plus grands atouts de notre démocratie est que nos élections sont libres et justes et que le pouvoir est transmis d’un président à l’autre de façon pacifique. C’est l’essence de notre démocratie.

L’élection de Barack Obama, le premier président noir de l’histoire des États-Unis, avait fait naître l’espoir d’une Amérique « postraciale ». Mais la campagne électorale et les tensions entre la communauté noire et la police semblent contredire cet espoir. Où en est-on du racisme aux États-Unis après huit années de présidence Obama?

Il est clair que le racisme est toujours présent aux États-Unis, cela ne fait aucun doute. Mais si vous regardez les choses d’un point de vue historique, nous avons parcouru un sacré bout de chemin concernant le racisme. Je parlais au Parlement des jeunes l’autre jour et j’ai mentionné Will Smith (NDLR : célèbre acteur noir hollywoodien). Dans un talk-show récemment, il a déclaré que certaines personnes prétendent qu’il s’agit actuellement de la pire période pour les relations entre les races (NDLR : le terme de « race » aux États-Unis n’a pas la connotation négative qu’il a en Europe). Mais il a dit que la situation est aujourd’hui bien meilleure qu’il y a 60 ans lorsque les Noirs ne pouvaient pas voter, bien meilleure qu’il y a 150 ans lorsque les Noirs étaient des esclaves.

Ce n’est parfois pas très joli ce que nous voyons, il y a beaucoup de choses perturbantes concernant le racisme en Amérique. Mais vous savez, et c’est là l’un des meilleurs atouts de notre pays, les États-Unis sont un pays très transparent, vous pouvez nous observer sous notre meilleur jour mais aussi voir les problèmes auxquels nous faisons face. Mais c’est de cette façon que nous résolvons les problèmes. Cela va prendre du temps pour faire des progrès, mais nous avons élu un Afro-Américain, il s’agit là d’une très grande avancée pour notre pays.

«Il est important de prendre une perspective sur le long terme. Vingt-huit pays, 24 langues, une monnaie commune, aucune guerre depuis la Seconde Guerre mondiale : c'est assez remarquable ce que l'Europe a réalisé dans un court laps de temps et c'est toujours important de le garder à l'esprit», assure David McKean. (photo JC Ernst)

«Il est important de prendre une perspective sur le long terme. Vingt-huit pays, 24 langues, une monnaie commune, aucune guerre depuis la Seconde Guerre mondiale : c’est assez remarquable ce que l’Europe a réalisé dans un court laps de temps et c’est toujours important de le garder à l’esprit», assure David McKean. (photo JC Ernst)

Craignez-vous à l’issue de cette campagne qu’une division du Parti républicain puisse aboutir à la création d’un important parti d’extrême droite aux États-Unis, à l’image de ce que l’on peut connaître en Europe?

Il est difficile de se prononcer sur ce point aujourd’hui. Mais les électeurs américains sont dans la plupart des cas des centristes et cela depuis des décennies. Et de ce que l’on sait maintenant, d’après les sondages, il semble qu’Hillary Clinton ait une confortable avance sur Donald Trump, ce qui donne de la crédibilité à ce que je viens de dire : que nous sommes un pays centriste.

Nous pourrions assister à l’émergence d’un parti d’extrême droite, mais je ne le vois pas rencontrer un écho très important comme certains le suggèrent.

Comme vous le disiez, Hillary Clinton semble en bonne position pour l’emporter le 8 novembre. Quelle serait la portée symbolique de voir une femme élue à la fonction suprême?

Après le premier président noir, elle serait la première présidente, cela a une charge symbolique énorme. C’est un message pour toutes les jeunes filles en Amérique : elles peuvent occuper les mêmes fonctions qu’un homme, elles peuvent même être présidente des États-Unis un jour. Quand vous voulez que tous vos citoyens participent à votre démocratie, à votre économie, c’est un message très puissant.

Concernant Donald Trump, comment expliquez-vous que le Parti républicain l’ait soutenu et le soutienne jusqu’à aujourd’hui, même si de nombreuses voix s’élèvent en son sein pour dénoncer leur candidat?

Au départ, l’une des raisons est qu’il a affronté de nombreux candidats, 16, lors des primaires du Parti républicain. Et il était le candidat le plus inhabituel et d’une certaine manière le plus intéressant. Parmi tous les candidats, il était sans doute celui qui connaissait et maîtrisait le mieux les médias. Et d’un point de vue purement tactique, il a prouvé qu’il était efficace.

Mais il a aussi dépeint un tableau de l’état des États-Unis qui a trouvé un écho chez de nombreuses personnes. Parce que malgré les énormes progrès accomplis depuis 2008 en dépit de ce que nous appelons la Grande Dépression, il y a toujours de très nombreuses personnes qui n’ont pas de travail, de nombreux emplois ont été délocalisés à l’étranger, de nombreuses infrastructures sont en mauvais état et le coût de l’éducation et de l’assurance maladie est toujours trop élevé. Donc, les gens veulent du changement et Donald Trump représente le changement. Après, à eux de décider si c’est le changement qu’il leur faut.

Les traités commerciaux sont l’un des grands enjeux de la campagne électorale. La position américaine dans les négociations sur le TTIP (NDLR : traité de libre-échange transatlantique entre l’UE et les États-Unis) a été très critiquée en Europe et même au Luxembourg par Viviane Reding, par exemple. Que vous inspirent ces attaques?

Les Européens ont peur que le commerce ne soit plus qu’aux mains des grandes compagnies. Il y a des inquiétudes concernant les effets sur l’environnement du TTIP, sur la régulation bancaire, sur la sécurité alimentaire. Mais je voudrais juste signaler par exemple concernant l’environnement que ce sont les États-Unis qui ont mis au jour le scandale Volkswagen, ce sont les États-Unis qui ont lancé des poursuites contre Deutsche Bank (NDLR : pour son rôle dans la crise des subprimes de 2008). Encore une fois, nous sommes un pays aux valeurs de transparence.

Ce qui est en jeu pour les Européens, c’est l’équilibre entre la souveraineté nationale des États membres et la vision de l’Union européenne comme un bloc. Et je comprends que c’est un problème épineux, car chaque État a des branches de son économie qui sont plus importantes qu’elles ne le sont pour ses voisins. Il est donc très difficile d’aboutir à un résultat. Et je comprends cela.

Mais les États-Unis et l’Europe ont tellement plus de choses qui les rapprochent plutôt que de les séparer que je suis persuadé que ce traité sera bénéfique. Et je continue à demander, et pour l’instant je n’ai reçu de bonne réponse de personne : si vous n’êtes pas en faveur du libre-échange, comment allez-vous préparer vos économies pour l’avenir?

Mais il semble pourtant que ce qu’on appelle la mondialisation suscite la crainte des classes populaires et un traité comme le TTIP…

… La mondialisation a plus à voir avec l’automatisation qu’avec le libre-échange. Les hommes sont de plus en plus remplacés par la technologie plus que par le fait du libre-échange. Le libre-échange permet l’essor de nouvelles industries, de nouveaux investisseurs. Je comprends les problèmes auxquels doivent faire face les gens et leurs peurs. Il n’y a aucun doute que le libre-échange crée des emplois et aide l’économie. Mais dans ce processus, il y a un certain nombre d’industries et d’individus qui sont laissés derrière. Et donc les gouvernements doivent faire en sorte que ces personnes reçoivent l’aide, la formation et l’éducation dont elles ont besoin afin qu’elles ne soient pas perdues, qu’elles soient réintégrées dans la nouvelle économie.

Vous parliez de l’UE et de la difficulté de parler d’une seule voix. Elle connaît actuellement une crise symbolisée par le Brexit. Comment les États-Unis perçoivent-ils l’état dans lequel se trouve actuellement l’UE? Croient-ils à sa disparition?

Non, pas du tout. Les Européens devraient se rappeler le discours de Barack Obama en avril dernier (NDLR : un plaidoyer pour l’UE et contre le Brexit). Encore une fois, il est important de prendre une perspective sur le long terme. Dans ce discours, Barack Obama exhortait les Européens à regarder ce qu’ils avaient accompli. Je veux dire, 28 pays, 24 langues, une monnaie commune, une Union européenne, aucune guerre depuis la Seconde Guerre mondiale.

C’est assez remarquable ce que l’Europe a réalisé dans un court laps de temps et c’est toujours important de le garder à l’esprit. Je crois que l’Europe et les États-Unis traversent une période assez similaire. Vous cherchez l’équilibre entre la souveraineté nationale et l’Union, et c’est quelque chose de difficile à réaliser. Mais j’ai foi en l’Union européenne et je sais que mon boss, le secrétaire d’État John Kerry, Barack Obama et Hillary Clinton également.

Nicolas Klein

David McKean en bref

État civil. Originaire de l’État du Massachusetts (nord-est), David McKean est marié et père de trois enfants, deux garçons et une fille.

Formation. David McKean a obtenu un Bachelor of Arts à l’université Harvard en 1980, un Juris Doctor à l’école de droit de Duke en 1986 et un Master of Arts de l’école de droit et de diplomatie de Fletcher en 1986. Il est l’auteur de trois ouvrages sur l’histoire politique américaine.

Diplomatie. Il a intégré le département d’État alors sous la direction d’Hillary Clinton en avril 2012. Avant d’être nommé ambassadeur au Luxembourg, il occupait le poste de directeur de la planification des politiques au département d’État.

Un proche de John Kerry. David McKean a supervisé l’équipe de l’actuel secrétaire d’État John Kerry entre 1999 et 2008 lorsque celui-ci était sénateur et a été son assistant parlementaire entre 1987 et 1992. Il a aussi joué un important rôle dans la préparation de la campagne présidentielle de Kerry en 2004.

Luxembourg. David McKean est le 22e ambassadeur américain au Luxembourg. Il a remis ses lettres de créance au Grand-Duc Henri, le chef de l’État, le 14 avril dernier. Il succède à Robert Mandell.