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Parkinson à 44 ans : «Pour moi, c’était une maladie de personne âgée»


Isabelle lance un appel pour créer une communauté au Luxembourg avec d’autres patients dans son cas. (Photos : Hervé Montaigu)

Comment continuer à travailler et élever ses enfants quand la maladie de Parkinson vous frappe à un âge précoce? Isabelle Hienckes prend la parole pour rompre l’isolement des jeunes patients.

«Parkinson». La vie d’Isabelle Hienckes, maman célibataire de trois ados, a basculé lorsqu’elle a lu ce mot, comme un couperet, dans son dossier médical, à l’âge de 44 ans.

À l’occasion de la Journée mondiale de la maladie de Parkinson, elle nous a accueillis dans sa maison, à Flaxweiler, pour nous raconter son cheminement et lancer un appel aux jeunes patients.

Que saviez-vous sur la maladie de Parkinson?

Isabelle Hienckes : Pas grand-chose à vrai dire! J’avais les mêmes idées que tout le monde. Pour moi, Parkinson était une maladie de personne âgée. Je ne savais pas qu’elle pouvait se déclarer plus jeune.

Quand sont apparus vos premiers symptômes?

Ma main tremble depuis si longtemps… plus de 20 ans peut-être. Seulement, je n’y avais jamais prêté attention. Plusieurs années avant le diagnostic, j’avais aussi des signes de la maladie sans savoir que c’en était : troubles du sommeil, de la digestion, constipation, manque de concentration, fatigue extrême.

Et puis, un jour, en revenant au travail après mes congés d’été, je ne pouvais plus écrire. Ma main ne m’obéissait plus. Là, j’ai paniqué.

Vous avez consulté à ce moment-là?

Non. En fait, j’ai été envahie par la honte. Je n’en ai parlé à personne, pendant des mois. Seuls quelques collègues étaient au courant. Je ne pouvais plus taper un message sur mon téléphone, ni me brosser les dents correctement.

Quand je lavais mes cheveux, mes mains ne se coordonnaient plus. Je n’y comprenais rien, et je faisais tout pour le cacher. Comme une amie avait eu des soucis avec le canal carpien, j’ai fini par me demander si ça pouvait être opéré, et je suis allée voir mon médecin.

C’est seule devant son ordinateur qu’elle a découvert le diagnostic.

En voyant mes tremblements, elle m’a immédiatement envoyée chez une neurologue. C’est elle qui a évoqué des symptômes parkinsoniens. Ça a été un choc. J’étais persuadée que j’étais trop jeune pour ça! J’ai refusé d’y croire, jusqu’aux résultats du tout dernier examen.

Comment avez-vous réagi? 

J’ai découvert mon diagnostic seule devant mon ordinateur, en ouvrant mon dossier de soins partagé. J’ai lu que j’étais atteinte de la maladie de Parkinson, quelques minutes avant d’emmener ma fille à la danse. Il a fallu faire comme si de rien n’était. C’était un jeudi, en janvier 2023.

La neurologue m’a appelée le soir, et a tenté de me rassurer, en me disant qu’il y avait des traitements, qu’on pouvait vivre avec. Moi, je n’entendais rien de tout ça. C’était une maladie dégénérative, sans guérison possible. Qu’allait-il m’arriver? Vivre avec cette incertitude a été très violent au début. Aujourd’hui, je suis plus en paix avec ça.

Qu’avez-vous dit à vos enfants?

Que j’avais une maladie grave, que mon état allait se dégrader avec le temps, mais que ce n’était pas mortel. J’aurais voulu éviter de leur faire de la peine, mais j’ai vite compris que c’était inévitable. J’ai dû trouver les mots. Ils ont plutôt bien accepté.

Des jeunes patients, il doit y en avoir des centaines au Luxembourg

Vous qui êtes longtemps restée isolée, est-ce que le diagnostic a permis d’échanger avec d’autres patients?

Non, pas du tout. Au début, j’ai cherché de l’aide, j’ai contacté l’asbl Parkinson Luxembourg et j’ai intégré un groupe de soutien. Mais j’ai eu l’impression d’être une extra-terrestre : la personne la plus jeune avait 70 ans! Moi, j’étais venue avec un tas de questions sur mes enfants, mon travail : nos préoccupations et nos angoisses n’avaient rien à voir. Je me suis sentie si seule.

Heureusement, j’ai fini par trouver une communauté en ligne de jeunes Parkinsoniens allemands. Certains étaient à peine trentenaires… Cette fois, on partageait les mêmes soucis. Ils m’ont donné tant de courage! On échange régulièrement et on a pu se voir à Cologne il y a deux semaines.

Il n’y a aucun jeune patient au Luxembourg? 

D’après les ventes de médicaments, le nombre de patients atteints de la maladie de Parkinson au Grand-Duché est estimé entre 3 000 et 4 000. En sachant que 5 à 10% des cas se déclarent avant 40 ans, il doit y en avoir des centaines! J’aimerais tant créer une communauté et organiser des activités ensemble, discuter, se soutenir.

C’est précisément pour ça que je prends la parole publiquement. Il faut que quelqu’un fasse le premier pas. Si des gens sont intéressés, ils peuvent contacter l’asbl Parkinson Luxembourg.

À quoi ressemble la vie avec Parkinson? 

Je ne peux parler que pour moi car, comme dit ma neurologue, chaque parcours est différent. On peut vivre longtemps, sous traitement, et avec une hygiène de vie adaptée. L’activité physique est indispensable : on doit rester le plus possible en mouvement. Et si les médicaments ne suffisent plus, il y a des possibilités chirurgicales.

Je prends des médicaments toutes les six heures. Ils ne freinent pas la maladie, mais traitent les symptômes : tant qu’ils agissent, je me sens bien et on ne voit rien. Je ne tremble pas, je peux à nouveau écrire. Dès que les effets se dissipent, ça recommence, et je sais qu’à long terme, ils vont être de moins en moins efficaces.

Je fais 1h30 de sport au quotidien : piscine, salle, cours collectifs, à domicile, fitness, vélo, rameur, j’essaye de varier. On dit que c’est même plus important que les médicaments, donc c’est motivant. Ça a un réel impact. Je suis beaucoup plus mobile. Et je fais aussi de la kiné deux fois par semaine. Je devrais ajouter de l’ergothérapie, mais ce n’est pas remboursé et je n’ai pas les moyens.

 J’aurais voulu que tout continue comme avant, mais c’était impossible

Vous arrivez à jongler entre votre emploi et votre vie de mère?

Les premiers temps, j’ai été très stressée. Le travail, les enfants, le ménage, les rendez-vous thérapeutiques, le sport… Je me mettais une grosse pression et ça a fini par me causer énormément de stress, ce qui n’est pas bon du tout. Cela peut annuler les effets des médicaments, et même accélérer la maladie.

En fait, j’aurais voulu que tout continue comme avant, mais c’était impossible. J’ai compris que je devais absolument ralentir mon rythme de vie. Désormais, je bénéficie d’un mi-temps pour raisons médicales. Ce nouveau rythme me convient mieux, car dans l’après-midi, j’ai des gros coups de fatigue. Je ne suis pas tellement entourée, je dois tout gérer seule.

Vous sentez-vous plus apaisée aujourd’hui?

J’ai surtout accepté que je ne peux rien y changer, et ces derniers mois, j’ai vu d’autres gens avoir un cancer, un accident de moto… J’ai compris que la vie est fragile pour tout le monde. Je vis au jour le jour, je profite de chaque instant et j’arrive à me réjouir du moment, sans penser à plus tard.

Parkinson a bouleversé ma vie, dans le sens négatif, comme positif. J’ai une tout autre vision des choses. Les trois derniers étés, on est partis visiter d’autres continents en famille, alors qu’avant, j’épargnais mon argent. Avec mes enfants, on a appris à parler de la maladie, ce n’est pas un tabou. Je peux dire simplement «je tremble trop ce soir pour faire une soupe», ils savent qu’on peut aborder le sujet quand ils veulent. J’en ai fait quelque chose de normal.

Et je me suis débarrassée de la honte. Au contraire, désormais, j’ai envie de me faire entendre, de porter la voix d’autres patients, de transformer tout ça en quelque chose d’utile.

Orthophoniste, Isabelle a dû réduire son temps de travail pour ralentir son rythme de vie.