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[Le portrait] Stefano Bensi, et un bonnet remplaça LE maillot


(Photo : mélanie maps)

À 34 ans, il effectue sa première reprise dans la peau d’un entraîneur. Mais que sa carrière de joueur fut magnifique et inspirante.

C’est un maillot bleu, avec un énorme ballon en son centre et une inscription en anglais et italien : «Le football, c’est la vie, le reste n’est qu’un détail», que tous les suiveurs du football luxembourgeois connaissent. Il fait partie de la légende personnelle de Stefano Bensi qui, tout au long de ses débuts, l’exhibait façon totem aux spectateurs du pays à chaque fois qu’il marquait. Et il marquait beaucoup.

Désormais délavé, usé jusqu’à la corde et rapiécé grossièrement pour durer autant que possible, sur le point d’être encadré pour orner les murs de la chambre d’amis qui sera bientôt transformée en bureau («Mais on laissera quand même un canapé-lit pour les potes»), le morceau de tissu a escorté l’attaquant international pendant sept saisons. Presque sans interruption, entre ses débuts à Rumelange en 2006 et l’écrasante victoire 1-5 à la Frontière du 22 mai 2013, dans un derby eschois qui offrait au Fola son premier titre de champion en 83 ans, il l’a aidé à passer du statut d’anonyme complet à celui de meilleur joueur du championnat 2012-2013.

Après cette apothéose (même si son meilleur souvenir footballistique reste le nul 1-1 en amical à Pérouse contre les stars italiennes, dans la région d’origine d’Ettore, son père, et où il aurait dû faire un essai à 13 ans si les vacances scolaires dans la Botte n’étaient pas tombées au mauvais moment), le gamin de Kayl a remisé sa relique au placard. Mais surtout pas oublié son histoire d’incroyable porte-bonheur, ramené par sa maman à l’issue de vacances en Italie. Frappé de maturité dans son jeu, Bensi n’avait plus besoin de superstitions pour tracer son chemin lors de la décennie suivante. Il a d’ailleurs remporté deux autres titres avec le Fola sans ce T-Shirt sur les épaules, mais ne s’est jamais posé la question de savoir s’il s’était aussi souvent blessé par la suite (deux fois les croisés, une pubalgie et un gros problème au coude)… à cause, justement, de son absence.

Miralem (Pjanic) pleurait à chaque fois qu’il perdait! C’était un spécialiste

L’autre patte de lapin de Stefano Bensi est une vieille dame prénommée Jeanne. Tout, en effet, a un peu commencé chez celle qu’il avait baptisée la «grand-mère des bonbons», longtemps avant LE maillot. La mamy de Stefano Bensi a aujourd’hui 95 ans (et suit toujours les matches), un tiroir rempli de douceurs dans lequel lui et son cousin, Michel Kettenmeyer, puisaient abondamment étant petits sans parvenir à prendre de kilos. Surtout, mamy habite à Schifflange. Alors que les parents Bensi (installés à Kayl depuis 1991) travaillaient de nuit durant son enfance, Stefano s’en allait dormir chez Jeanne et, par commodité, jouer dans l’équipe qui jouait non loin de son «Airbnb» de l’époque. Elle était dotée d’une génération dorée : lui, son cousin… mais aussi Claudio Lombardelli, Joël Kitenge («Il était venu un jour jusqu’à Mondercange pour rencontrer Guy Hellers, lui dire qu’il voulait s’entraîner au CFN avec nous, et il l’avait pris!») et surtout Miralem Pjanic, «qui pleurait à chaque fois qu’il perdait, c’était un spécialiste», se marre Bensi. Ces gamins se réunissaient dans la cour de l’école pour jouer avant même l’entraînement et y retournaient après. Ça a dû en faire, des larmes fondatrices, pour l’ancienne star de la Juve et du Barça. Mais ce fut aussi l’enfance de l’art pour Stefano.

Parlons-en, d’art. Ses débuts en seniors constituent un bijou de surréalisme. Il est à la communion de sa sœur, en, pleine forêt, peinard, insouciant, quand son père se tourne vers lui : «On s’embête ici, non? Viens, on va voir la A de Schifflange.» Une hérésie, mais encore un coup de chance. «Quand on arrive au stade, les dirigeants courent vers nous et me demandent ce que je fais, pourquoi je n’arrive que maintenant! J’avais 16 ans et j’avais été convoqué pour ce match, mais le coach des jeunes avait oublié de me dire. Mon père a filé à la maison, pris mes affaires et j’ai débuté sur le banc. Je suis entré et j’ai marqué. Qu’en ont dit ma sœur et ma mère? Elles ont compris.» Voilà aussi pourquoi, déclaré en faillite, Schifflange a exigé 15 000 euros de la part de Rumelange pour laisser filer sa pépite. L’USR les réclamera ensuite à Deinze et Deinze au F91 au moment du retour de Bensi en DN, alors que Differdange tenait pourtant la corde pour l’accueillir.

De ses débuts en PH, Marc Thomé se remémore un «garçon timide», mais qui «savait ce qu’il voulait et il boudait à chaque fois que je le mettais côté gauche plutôt que dans l’axe». À l’époque, Rumelange aligne le routinier Philippe Dillmann en pointe et Bensi doit s’incliner et ronchonner. Dix-sept ans plus tard, que ferait coach Bensi d’un garçon gentiment revendicatif comme il l’était à ses débuts? «Il faut d’abord écouter le joueur, qu’il se sente à l’aise sur le terrain et le mettre là où il est le plus performant. Et ensuite, qu’il parvienne à être meilleur que celui qui est devant lui.»

Dimanche, contre Pétange, Bensi fait à 34 ans sa toute première reprise de non-joueur contre un Pétange dirigé par Yannick Kakoko, âgé de 33 ans. Il aura sous ses ordres un effectif d’une moyenne d’âge de 21 ans qui lutte pour sauver sa peau en BGL Ligue et qu’il jure qualitativement très bon. Apte en tout cas à se maintenir, malgré tout ce qu’en disent les suiveurs de la DN. Curieux hasard, maman lui a rapporté un cadeau de vacances, lundi. Un bonnet et une écharpe. Il a dû lui dire qu’il «caille incroyablement sur un banc de touche»… Ce bonnet deviendra-t-il son nouveau talisman, en remplacement de ce maillot mythique? C’est tout le Fola qui l’espère.