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Pollution du crassier à Marspich : le chauffeur sous pression


« Quand j’ai vu au fil des jours la végétation disparaître... », confie l’ex-conducteur poids lourds intérimaire. (Photo : RL)

« Si j’avais su, je n’aurais sans doute rien fait », admet le lanceur d’alerte à l’origine du scandale des déversements sauvages sur le crassier de Marspich. Fatigué, il reste déterminé. Sa vidéo a provoqué un tourbillon, il en est le cœur.

Lui, ce qu’il voulait, c’était provoquer une réaction au sein de son entreprise et du géant de l’acier, ArcelorMittal. Qu’ils cessent de balancer cette matière jaune fluo fumante en pleine nature, sur le crassier qui domine la vallée de la Fensch, à Hayange. Le chauffeur poids lourd qui a immortalisé ces déversements sauvages dans des vidéos – quatre en tout – pensait « que tout allait se régler en interne. Qu’ils disent stop, qu’ils nettoient et basta… » Au lieu de quoi, le choc des images a récemment tout emporté. Depuis les révélations du Républicain Lorrain fin juin, des regards inquiets se tournent vers le crassier. Que se passe-t-il sur ce site longtemps ouvert aux quatre vents et désormais surveillé à chaque extrémité ?

« Brûlé au ventre en manipulant des tuyaux »

Le lanceur d’alerte a été entendu par la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) assez rapidement. Par la Police judiciaire la semaine dernière, pendant plus de trois heures. « J’ai répondu à toutes les questions, en regardant les enquêteurs droit dans les yeux. C’est dans les yeux qu’on voit la sincérité des gens. »

C’est une préoccupation : qu’on ne le croie pas. « Je sais bien qu’on va tenter de me salir. Qu’on va dire que je mens, cela a déjà commencé. Mais je sais ce que j’ai vu, et ce que j’ai fait. Combien de fois je suis monté au crassier sans qu’il n’y ait aucun contrôle des produits présents dans la cuve… Et si ce n’était pas dangereux, pourquoi alors m’obligeait-on à mettre des panneaux spécifiques au cul du camion ? Pourquoi devais-je mettre une combinaison ? Pourquoi ai-je été brûlé au ventre en manipulant des tuyaux ? »

Tant son ancien employeur, une filiale de Suez Environnement, qu’ArcelorMittal, nient tout acte de pollution. D’autres employés rapportent pourtant des éléments similaires.

« Je me suis dit tout de suite que c’était illégal »

« Dans mes propos, il a pu y avoir des erreurs. J’évoque par exemple des déversements de 28 m³ de matières. Or, la Dreal m’a dit que ça ne pouvait pas être plus de 14 m³ », reprend le lanceur d’alerte. « OK. On m’a toujours parlé de 28 m³… Je n’ai eu qu’une heure de formation sur ce genre de camion. » Des transports de matière dangereuse pour lesquels ce père de famille, originaire de la vallée de l’Orne, n’a jamais eu d’agrément ni de formation. « Quand j’ai été embauché, je devais transporter des cailloux et de la ferraille. Ils m’avaient dit que je ferai la formation… »

L’intérimaire se retrouve à devoir enfiler deux fois par jour une tenue jaune et un masque. « Bien sûr que je me suis dit tout de suite que c’était illégal. J’ai posé des questions, je voulais savoir ce qu’étaient ces produits. On m’a dit de fermer ma gueule, sinon j’allais perdre mon travail. J’ai trois enfants quand même. »

Il a pensé à aller voir les autorités mais « je pense qu’elles auraient rigolé si j’étais venu avec mes seules explications. » Sur le crassier, il agissait toujours accompagné de son chef d’équipe. Sauf une fois, cet hiver. Le jour où il a tourné les vidéos… « J’ai pensé à mes enfants, aux gens qui vivent là. Où vont ces produits ? Quand j’ai vu au fil des jours la végétation disparaître, je me suis dit que cela devait cesser. » Sans imaginer toutes les conséquences.

Contrat cassé pour manque de discrétion

Son contrat a été cassé pour rupture de discrétion commerciale. Au chômage, il n’a pas retrouvé de travail. « Alors que je n’avais jamais eu de difficultés jusqu’ici. J’ai un CV et une expérience qui parlent pour moi. » Difficile de ne pas faire un lien avec cette histoire qui l’a fait plonger financièrement, lui et les siens (lire par ailleurs).

« Si j’avais su, je n’aurais sans doute rien fait. C’est beaucoup de souci et de pression. J’ai le sommeil agité, c’est dur pour ma femme et mes enfants. Vraiment, je ne pense pas que je recommencerais… » Maintenant, c’est lancé. Alors, il « assume ».

Il attend impatiemment les résultats des premières analyses. « J’espère qu’ils ont trouvé le bon endroit «, soupire le lanceur d’alerte. « La Dreal ne m’a pas demandé de lui montrer où s’opéraient les déversements. Ils m’ont dit qu’ils avaient trouvé facilement et vu des traces suspectes au sol. J’espère qu’ils ont fait le travail correctement. J’ai hâte de savoir. Je veux en avoir le cœur net. »

Kevin Grethen (Le Républicain Lorrain)