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Politique étrangère : «Un manque de cohérence»


Le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel (à d.), en discussion, hier, avec le député Claude Haagen (LSAP). (Photo : fabrizio pizzolante)

Les partis de l’opposition se disent moyennement convaincus de la politique étrangère du gouvernement. Le poids du Luxembourg sur la scène internationale risquerait de diminuer.

Au lendemain de la première déclaration sur la politique étrangère du ministre Xavier Bettel, il était, hier, au tour des députés de commenter les positionnements du gouvernement dans un monde dans lequel dominent tensions et autres incertitudes. À l’exception de l’ADR, les partis de l’opposition se sont dits pas toujours convaincus par la philosophie et les actions adoptées par le ministre libéral des Affaires étrangères.

«Jean Asselborn a, au fil de son mandat long de 20 ans, toujours défendu des valeurs claires. Le Luxembourg s’est montré être un partenaire fiable, faisant preuve d’une politique étrangère cohérente. Cette cohérence me manque un peu aujourd’hui», fait ainsi remarquer Yves Cruchten (LSAP), rendant hommage à l’ancien chef de la diplomatie luxembourgeoise. Un exemple serait les tergiversations de Xavier Bettel quant au fait de reconnaître un État palestinien.

«Il nous manque très souvent une voix forte pour exprimer nos avis. La force du Luxembourg et de sa politique étrangère a toujours été que ses leaders politiques ont formulé des positions claires. Il ne suffit pas de lister ses principes, même si je ne doute pas qu’ils importent au ministre Bettel», fait remarquer Sam Tanson (déi gréng). «Si le gouvernement continue à envoyer des signaux flous, le Luxembourg risque de ne plus être entendu et de perdre son poids sur la scène internationale», enchaîne l’ancienne ministre de la Justice.

Sven Clement (Parti pirate) appelle le chef de la diplomatie luxembourgeoise à ne pas sous-estimer les futurs développements à l’échelle géopolitique : «Dans un monde globalisé, rien n’est statique. La politique étrangère ne doit également pas être statique. Il faut que nous nous adaptions toujours aux nouveaux défis qui se posent, sans que l’on abandonne nos propres principes.»

«Réalisme et crédibilité»

Du côté de déi Lénk, le député David Wagner reproche au Luxembourg, mais aussi à l’ensemble des pays de l’Occident, d’appliquer une politique du «deux poids, deux mesures». Il rappelle que les «violations du droit international», notamment lors de l’invasion, en 2003, des États-Unis en Irak, n’ont pas été «condamnées de la même manière que l’agression russe» contre l’Ukraine. «Il ne suffit pas de dire que l’on est opposé au principe du « deux poids, deux mesures« , il faut aussi l’appliquer», lance encore David Wagner.

Comme évoqué plus haut, l’ADR est, du moins sur la forme, satisfait de la politique étrangère menée par Xavier Bettel. «Votre long discours a été ennuyeux, et cela est un compliment. Il est une bonne chose que le Luxembourg mène une politique étrangère qui ne soit pas marquée par la nervosité. Au vu des turbulences à l’échelle internationale, il importe de garder le calme», développe Fred Keup. Selon lui, l’objectif doit être de mener une politique qui favorise la stabilité et la paix, tout en faisant preuve de «réalisme et de crédibilité, à la fois sur le plan bilatéral et multilatéral».

«L’UE et le Luxembourg sont mis à l’épreuve»

Yves Cruchten a placé son intervention sous le signe du «rôle et de la responsabilité» que l’Europe dans son entièreté «ne doit pas sous-estimer» en cette période d’insécurité et de turbulences géopolitiques. «L’UE doit maintenant user de son pouvoir démocratique», non seulement pour défendre et sécuriser ses acquis (sécurité, liberté, bien-être), mais aussi pour peser et «être prise au sérieux» comme médiateur dans les conflits majeurs, en tête la guerre en Ukraine et l’escalade au Proche-Orient. «La démocratie est en mauvais état», constate encore le député du LSAP.

«En ces temps, l’UE et le Luxembourg sont encore davantage mis à l’épreuve. L’insécurité qui existe a pris une ampleur excessive et malsaine. Or cela n’est pas une fatalité. Il existe une possibilité de réduire cette insécurité», souligne encore Yves Cruchten. «L’Europe a une occasion de s’engager de manière constructive pour la paix, l’équité et la sécurité. Il s’agit d’une responsabilité et d’une grande chance», enchaîne l’élu socialiste.

Il a aussi évoqué le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. «Lors de son premier mandat, il a clairement placé les intérêts américains au-dessus du multilatéralisme, a engagé une guerre commerciale contre la Chine et fustigé l’OTAN et ses pays membres», rappelle Yves Cruchten. «La victoire de Trump doit nous inquiéter, vu son imprévisibilité. En tant qu’Européens, nous devons entretenir des relations transatlantiques sans remettre en question nos intérêts et convictions. L’UE doit parler d’une seule voix pour bâtir des relations sur la base du droit international», ajoute le porte-parole du LSAP pour la politique étrangère.

Les grands principes à respecter sont le multilatéralisme, la cohésion, la solidarité internationale, la défense du droit international ainsi que la protection des droits de l’homme. «Ces principes ont toujours constitué le fil rouge de notre politique étrangère. Je crois savoir que cela restera le cas», conclut Yves Cruchten.

«Vers où voulons-nous aller?»

Sam Tanson (déi gréng) s’est posé la question de savoir comment aborder les nombreux défis qui se posent au Luxembourg et à l’UE. La victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine devrait ainsi amener l’Europe à définir «où elle se situe sur l’échiquier politique et quelle est son identité». «On est mis au défi de trouver d’urgence des solutions en matière de défense, de cohésion sociale, d’économie, de capacité d’action et de protection de notre nature et de la planète», souligne la députée verte.

Elle attend de l’UE et de la diplomatie luxembourgeoise qu’elles apportent des réponses à la question : «Vers où voulons-nous aller?» Cela vaut aussi en matière de compétitivité. «Le monde est devenu plus rude, moins sûr et plus compétitif. Cela a des répercussions sur l’Europe. Or il ne faut pas aveuglément miser sur la compétitivité et jeter par-dessus bord nos acquis, tels que le système social, la protection des consommateurs et la protection de l’environnement», clame Sam Tanson.

«Éviter une escalade du conflit»

Fred Keup (ADR) plaide pour le respect du droit international et humanitaire. Il se pose toutefois une question plus fondamentale : «Quelles sont encore les valeurs dans un monde qui change si rapidement?» Les valeurs démocratiques seraient sur le recul, d’où la réflexion suivante : «Une personne préfère-t-elle être riche dans une dictature que pauvre dans une démocratie?»

Sans surprise, le député a évoqué la migration, défendant les contrôles ponctuels à l’intérieur de l’espace Schengen.

Fred Keup n’a pas manqué de «clairement condamner l’invasion russe en Ukraine», tout en saluant «l’héroïsme» du peuple ukrainien. Toutefois, la «réalité» serait celle que l’Ukraine doit accepter des négociations de paix avec la Russie. «Le territoire ukrainien doit être autant préservé que cela est possible. Il nous faut aussi éviter une escalade du conflit», avance-t-il. Le non-respect de l’intégrité territoriale serait bien une violation du droit international, «mais c’est le cas lors de chaque guerre».

«D’autres guerres risquent de s’ajouter»

Sven Clement (Parti pirate) met en garde contre une escalade supplémentaire dans un contexte géopolitique déjà très tendu. «Il existe déjà tellement de conflits à travers le monde. D’autres guerres risquent de s’ajouter. Des frontières risquent encore d’être modifiées par la force», alerte-t-il. Le député songe à la Chine qui pourrait «rapidement» engager une guerre avec Taïwan. La présence de soldats nord-coréens en Ukraine pourrait servir à former les troupes afin d’attaquer, à terme, la Corée du Sud. «Ces guerres auraient une nouvelle fois de graves répercussions sur l’Europe. D’importants partenaires économiques sont menacés. Disposer de réponses est crucial, or vu notre dépendance envers la Chine, la riposte sera faible», développe Sven Clement.

Face à ces «graves crises», l’Europe devrait cependant profiter de sa «force économique pour aller de l’avant». Ce même constat vaut pour stabiliser les relations avec les États-Unis de Donald Trump.