Les autorités judiciaires s’interrogent notamment sur la proportionnalité d’une extension des injonctions d’éloignement, critère essentiel pour justifier cette atteinte à la liberté de circuler.
Le fait de bloquer l’accès à des immeubles est jusqu’à présent le seul cas de figure où les agents peuvent recourir à un «Platzverweis». En place depuis 2022, ce moyen répressif «ne permet pas de garantir utilement le respect de l’ordre public et des droits et libertés d’autrui dans l’espace public», note le ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden, dans l’exposé des motifs du projet de loi visant à étendre le champ d’application de l’injonction d’éloignement (lire ci-dessous). Le texte déposé le 25 juillet dernier à la Chambre ne convainc cependant pas les autorités judiciaires.
La proportionnalité de la mesure qui vise à forcer les personnes entravant la loi à s’éloigner, d’un lieu précis, pour une durée comprise entre 48 heures et 30 jours, est remise en question. Il s’agit d’une entrave à la liberté de circuler, protégée par la Constitution.Toute limitation doit être objectivement justifiée.
«Il est permis de s’interroger si tout comportement, même répété, de nature à troubler la tranquillité, la salubrité ou la sécurité publiques justifie, compte tenu du principe de proportionnalité, d’apporter une restriction à la liberté sous la forme d’une mesure d’éloignement, exécutée le cas échéant avec usage de la force (…) et si ces mesures sont nécessaires dans une société démocratique», avance le parquet général.
Que faut-il entendre par «mendicité agressive»?
De plus, le «Platzverweis» luxembourgeois, qui sanctionne des incivilités, irait «beaucoup plus loin» que celui appliqué en Allemagne, où seuls les comportements impliquant un danger ou constituant une infraction pénale sont visés par la mesure. Les justices de paix de Luxembourg, Esch-sur-Alzette et Diekirch ajoutent que le recours à la force nécessiterait «l’accord préalable» du procureur d’État «afin d’éviter un arbitraire policier».
Le parquet de Luxembourg, au même titre que le parquet de Diekirch, déplore le fait que les comportements incriminés «sont bien trop vagues afin de permettre une application uniforme et objective d’une éventuelle mesure d’éloignement».
De la prison au lieu d’une amende ?
L’octroi au bourgmestre du pouvoir d’interdire à une personne de fréquenter temporairement la «quasi-totalité du territoire d’une commune» est également remis en cause. «Le dispositif dans son ensemble paraît bien disproportionné par rapport aux exigences (…) de la Constitution», constate ainsi le procureur d’État de Luxembourg, Georges Oswald. Le premier avocat général, Marc Harpes, estime par contre que «cette prérogative donnée au bourgmestre ne paraît en soi pas critiquable, pour autant que son application soit justifiée par des comportements répréhensibles et suffisamment graves».
Les justices de paix jugent «opportun» que cette «mesure privative de liberté soit prise par une autorité judiciaire avec la possibilité d’un recours à brève échéance», option qui n’est pas prévue dans le projet de loi.
Le parquet général suggère encore de ne pas se limiter à une simple amende de 250 euros en cas de violation de l’interdiction décrétée par le bourgmestre. Il est suggéré de prévoir une peine d’emprisonnement d’un maximum de quelques mois, qui aurait un «caractère plus dissuasif».
Ce que prévoit le projet de loi
Le «Platzverweis» ne doit plus seulement viser les personnes qui bloquent l’accès à un bâtiment, mais aussi celles qui se comportent de manière à troubler la tranquillité, la salubrité ou la sécurité publiques, entravent la circulation sur la voie publique ou se comportent de manière à importuner des passants.
En cas de non-respect d’un rappel à l’ordre de la police, les personnes concernées seront amenées, au besoin par la force, à s’éloigner – pendant 48 heures et dans un rayon limité à un kilomètre – du lieu où l’entrave à la loi a été constatée. Des exceptions sont prévues à cette mesure, notamment si le domicile de la personne visée par l’éloignement se trouve dans le périmètre défini.
Si au moins à deux reprises et endéans 30 jours, une personne ne respecte pas la mesure d’éloignement, le bourgmestre peut décréter une interdiction de présence – limitée à 30 jours – sur une partie du territoire de sa commune.