Plus de 5 ans se sont déjà écoulés depuis qu’il a été fauché sur un passage piétons par une voiture place de la Gare à Luxembourg. Vendredi, il n’a de nouveau pas vu le procès arriver au bout. Cette affaire reste truffée de rebondissements.
C’est un dossier où au départ tout semblait clair. On précise bien, au départ. Il est autour de 5 h 30 ce samedi 21 février 2015, quand un monospace blanc circulant à grande vitesse percute un piéton de plein fouet alors qu’il traverse sur un passage protégé au croisement entre la place de la Gare et la rue de Hollerich. La victime est propulsée en l’air avant d’atterrir dix mètres plus loin, rapportait le bulletin de la police à l’époque. Malgré l’accident, l’automobiliste ne stoppe pas son véhicule et prend la fuite en direction de la route de Thionville, puis emprunte l’autoroute.
Grâce aux observations d’un témoin, une patrouille de police lance très vite une course poursuite. Sur l’A3 en direction de la France, les policiers arrivent finalement à arrêter le véhicule fuyard peu avant la frontière de Zoufftgen. Une conductrice se trouve au volant. Elle reconnaît avoir conduit lors de l’accident. Deux passagères confirment ses dires. Seul le quatrième passager ne peut être auditionné à cause de son état d’ivresse. Mais tout semble clair. Lors de auditions séparées, toujours aucune contestation.
Là où cela se corse, c’est en automne 2016. De longs mois après l’accident, une des passagères change de version. Elle écrit un courrier pour préciser que c’est quelqu’un d’autre qui se trouvait au volant. Cet homme aurait donné une mauvaise identité à la police… Résultat des courses : trois prévenus se retrouvent aujourd’hui sur le banc des prévenus : Christelle S. (30 ans), Nassim A. (29 ans) et Madani B. (28 ans).
Ce n’est pas la première fois que la 13e chambre correctionnelle tente de débroussailler cette affaire. Mais comme le 2 mars 2018, les trois brillaient par leur absence, vendredi à 9 h à l’ouverture de l’audience. Les trois prévenus résidant en France, les autorités luxembourgeoises n’ont pas des moyens pour les déférer à l’audience. S’ils habitaient au Luxembourg, cela serait différent. Estimant qu’il y a un risque qu’ils ne viennent jamais, le tribunal décide finalement de prendre l’affaire par défaut.
Un scénario digne d’«un film d’action»
La position des policiers dépêchés sur les lieux de l’accident est sans équivoque : «Difficile de croire qu’il y a eu changement de conducteur après le choc surtout que cela ne correspond pas à leur première version.» L’accident a eu lieu à 5 h 30. Un petit quart d’heure plus tard, les fuyards avaient déjà été interpellés. La preuve : à 5 h 46, ils avaient déjà les résultats de l’alcootest. L’aire de Berchem est le seul endroit où un changement de conducteur était envisageable, selon le policier. Et encore il n’y croit pas trop. «Quand on les a vus, ils faisaient du 160 km/h sur l’autoroute.» «Sauf dans un film d’action, je ne vois pas comment ils auraient pu changer de conducteur», complète son collègue.
Le problème de la fausse identité alléguée par la passagère dans son courrier a pu être écarté par le policier face au tribunal. C’est bien en vérifiant leurs cartes d’identité françaises que le procès-verbal contre les fuyards a été dressé. Autre indice qui conforte la première version que c’est bien la femme qui conduisait : c’était sa voiture. Une voiture qui était d’ailleurs fort endommagée au niveau du capot lors de l’interpellation.
Hôpital et plusieurs mois de rééducation
Le choc a été tel que la victime (43 ans aujourd’hui) ne s’en souvient pas. À part qu’elle avait appuyé pour avoir le feu au vert pour traverser. Le quadragénaire souffrant de nombreuses fractures a passé de longues semaines à l’hôpital, puis plusieurs mois en rééducation. Entretemps, il a été indemnisé par le fonds de garantie.
Même en l’absence des prévenus et de certains témoins, l’instruction à la barre a permis de clarifier les zones d’ombre. Tous les voyants semblaient être au vert, pour que l’affaire puisse être prise en délibéré vendredi matin. La représentante du parquet s’est donc lancée dans son réquisitoire. Impossible, selon elle, que l’habitacle ait pu accueillir une cinquième personne ou qu’il y ait eu changement de conducteur dans ce court laps de temps après l’accident : «Christelle S. est bien celle qui a grillé le feu rouge, fauché la victime, puis fait le délit de fuite.»
Simple coïncidence ou les murs avaient-ils des oreilles? Toujours est-il que lorsque la parquetière a prononcé ces mots la porte de la salle d’audience s’est ouverte. Et la prévenue accompagnée des deux témoins (dont celle qui a écrit le courrier) absents à l’appel en début d’audience a pointé le bout de son nez. Visiblement elles s’étaient trompées de salle…
9 h 55 : il n’y avait plus qu’à recommencer le procès de zéro. Mais ce n’était pas terminé. À peine 5 minutes plus tard, nouveau rebondissement. C’était au tour du deuxième prévenu Nassim A. de faire son apparition. «Vous étiez où?» Même excuse. «Dommage que tout le monde se trompe de salle dans cette même affaire…», les tancera le président à deux doigts de perdre patience.
Le procès reporté au 16 novembre
Or on n’aura pas entendu leur position du jour. Car si Christelle S. a renoncé à l’assistance d’un avocat, ce n’était pas le choix du second retardataire. «Je préfère avoir un avocat. On ne sait jamais…» Le tribunal lui en a désigné un avant de refixer l’affaire au 16 novembre prochain. Ce quatrième rendez-vous sera-t-il le bon? Le président ne manquera pas de leur donner un dernier conseil pour la route : «Vaudra mieux ne pas se tromper de salle…»
Fabienne Armborst