Ce samedi 27 janvier, la ville de Dudelange a confirmé son appétit pour la lecture avec la quinzième édition de son salon du livre pour enfants et jeunes. Un rendez-vous familial devenu incontournable.
C’est le week-end et, pourtant, l’Opderschmelz bourdonne et fourmille comme une salle de classe. Comme à l’école, son grand auditoire regorge en effet de livres et d’enfants, qui se mêlent à l’envi sous le regard bienveillant des adultes occupés à se faire une place dans la cohue.
À la métaphore scolaire, Cliff Schmit, porte-parole «non officiel» de l’évènement, préfère celle du Black Friday pour justifier la file d’attente qui s’est formée devant le centre culturel avant l’ouverture des portes samedi matin.
«Le public est fidèle et le bouche à oreille fonctionne très bien. La salle s’est remplie en un rien de temps!», commente ce dernier, enthousiaste, avant de rallumer son micro pour rappeler au public ce qu’il ne doit pas manquer durant cette journée consacrée à la littérature jeunesse.
Voilà déjà quinze ans que le Kanner- a Jugendbicherdag a posé ses cartons à Dudelange au cœur de l’hiver, saison propice pour mettre (et garder) le nez dans un bouquin, selon l’organisation.
Il semble avoir raison sur ce point : au fil des ans, l’intérêt ne fléchit pas, prétexte au salon pour s’agrandir raisonnablement, car, c’est entendu, «les enfants, il y en a partout, et leurs parents aiment qu’ils lisent!», synthétise Cliff Schmit.
Un appétit qui s’entretient, donc, comme peuvent le faire d’autres (rares) manifestations de la sorte au pays, dont les Walfer Bicherdeeg, avec la conscience qu’il faut «aller à la rencontre des jeunes», de plus en plus détournés par les écrans.
Ici, l’épineuse question se résout de manière douce et tranquille, ce qui plaît aux exposants comme aux visiteurs, même ceux encombrés d’une poussette. Chacun y trouve en effet son compte.
«Voir et être vu»
D’un côté, le public, en tant qu’«habitué», sait à «quoi s’attendre», poursuit-il. Comprendre qu’il revient chaque année pour apprécier toute une «panoplie variée» d’ouvrages, de ceux didactiques à d’autres plus romancés, sachant, toujours pour l’organisation, que, par leurs offres, les «maisons d’édition se complètent». Et celles-ci, par leur présence sur une trentaine de stands, créent du lien, même pour les plus importantes d’entre elles (Ernster, Binsfeld, Schortgen).
«On pourrait résumer cette assiduité avec une simple expression : « voir et être vu », détaille Cliff Schmit. La relation avec le lecteur reste essentielle, ne serait-ce que pour qu’il évite d’acheter des livres sur Amazon, afin de le faire plutôt auprès de quelqu’un qu’il connaît, qu’il apprécie.» À Dudelange, le relationnel mettrait donc au second plan l’aspect lucratif d’un tel salon, bien qu’il n’y ait «pas beaucoup d’enfants qui repartent sans livre à la maison!».
D’ailleurs, le jeune Hugo, quatre ans, les empile comme des Lego, vorace. «Il adore ça!», répondent en chœur ses parents, fiers de leur progéniture et qui, comme tant d’autres, ne comptent plus les heures passées à son chevet à lire des histoires de princes et de dragons.
D’autres enfants préfèrent, au choix, dessiner, se faire dédicacer leurs achats auprès des auteurs (dont le sympathique duo Andy Genen-John Rech, toujours demandé), profiter du théâtre de marionnettes concocté par le Crazy Comics Puppets de Michel Rodrigue (dessinateur, entre autres, des Nouvelles Aventures de Cubitus) ou s’entasser dans une des salles (bondées) dédiées à la lecture. C’est là, devant une sage assemblée, que l’on trouve Martine Schoellen, occupée à raconter les mésaventures de Monsieur Bout-de-Bois, notamment face à un cygne qui veut le prendre pour construire son nid.
Conviction et sourire
Den Här Äschtchen (sorti fin 2023) est l’un des ouvrages qu’elle a traduits en luxembourgeois pour le compte des éditions Binsfeld, tiré du répertoire du célèbre tandem Axel Scheffler-Julia Donaldson (à qui l’on doit, entre autres, le personnage du Gruffalo).
Voilà plus d’une dizaine d’années qu’elle défend, à l’écrit comme à l’oral, une pratique «riche» offrant «beaucoup de possibilités». Elle n’est pas la seule : sur les étalages du Jugendbicherdag, la langue de Dicks est à l’honneur, notamment en ce qui concerne les plus petits – avant qu’ils ne bifurquent, adolescents, vers «l’allemand, le français et le portugais», précise l’organisation.
Martine Schoellen, rompue à ce genre de rendez-vous, aime retrouver celui de Dudelange, pour son côté «cool» et son public, toujours «intéressé et réceptif à la lecture, à la culture même!». Le bourgmestre de la ville, Dan Biancalana, rencontré dans les travées avec plusieurs publications sous le bras, appréciera la remarque.
Cherchant à plaire au plus grand nombre par le biais d’une scène «nationale et régionale bien établie», quelques noms d’auteurs porteurs comme l’Allemand Christopher Tauber (Die drei ???) ainsi qu’une volonté de s’ouvrir au multilinguisme (d’où la présence d’Amitié Plurielle Luxembourg ou de la librairie portugaise Pessoa), le salon s’est toutefois fixé un nouveau défi, et non des moindres : «Faire revenir les plus grands» à la lecture, population jamais facile à «mobiliser», explique Cliff Schmit.
Et ce, même quand on fait dans le manga comme Sabrina Kaufmann, 29 ans, singularité au pays avec ses contes de Grimm et d’Andersen revus à la façon japonaise. «Quand on voit le LuxCon qui grossit à vue d’œil, on se dit que le public est là», mais cela ne se traduit pas forcément en termes de ventes qui, pire, «dégringolent», notamment dans les salons français et belges, «trop éparpillés», remarque-t-elle.
Ce n’est heureusement pas le cas de Dudelange où elle a retrouvé ses fans et enchaîné les dessins, malgré une tendinite tenace. Avec conviction et sourire, à l’image, finalement, de ce qu’est le Jugendbicherdag.
Le grand «marathon» créatif du SNJ
Dès l’entrée du Kanner- a Jugendbicherdag, on le retrouve en bonne place, histoire de mettre en lumière sa dernière (et louable) initiative : le Service national de la jeunesse (SNJ) y dévoile en effet le résultat de son «Bookathon», projet collaboratif inspiré d’un lointain modèle sud-africain, qui a réuni en novembre 2023 trente participants.
De «jeunes talents créatifs», pour reprendre l’expression de sa responsable, Simone Mortini, tous âgés de 14 à 27 ans, et à qui l’on a posé un «sacré défi» : créer en l’espace de 24 heures et sur trois jours dix livres en trois langues (luxembourgeois, français et allemand) destinés aux enfants de 0 à 4 ans.
Encadrés par des professionnels, les concernés étaient répartis en fonction de leurs compétences et appétences (écriture, dessin, mise en page). Au bout, une belle réussite, comme en témoigne la qualité des ouvrages présentés, à l’instar de La Princesse à la recherche ou de La nuit, quand tout semble dormir.
«C’est assez incroyable ce qu’ils ont pu faire en si peu de temps!», s’étonne encore la chargée de projet, qui promet d’entretenir l’idée avec de nouvelles traductions, des versions audio et, bien évidemment, une nouvelle édition du «Bookathon» prévue ce printemps. Mieux, imprimés à 50 000 exemplaires, les livres, distribués au préalable dans les crèches et aux assistantes parentales du pays, restent gratuits.
Le SNJ, toujours par la voix de Simone Mortini, y voit un double objectif. Le premier, dans son ADN, est de «forcer le talent des jeunes». En somme, leur «donner envie de s’accomplir, de croire en eux», détaille-t-elle.
Le second est plus universel : «Promouvoir la lecture, donner envie de lire», cheval de bataille bien complexe face à la puissance des réseaux sociaux, des consoles de jeux et des écrans.
Devant ce cruel constat, on pourra toutefois opposer toutes les réactions «positives» de ces auteurs, illustrateurs et graphistes en herbe, décidés à poursuivre l’aventure dans l’édition jeunesse. Car «avoir son propre livre à la main, c’est quelque chose de fort».