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Philippe Mersch : «Si l’Autofestival dure depuis 60 ans, c’est qu’il a du succès»


«Nous sommes une entreprise de la mécanique, nous avons donc les mêmes problèmes que toutes les autres entreprises d’artisanat.» (Photo Julien Garroy)

Philippe Mersch, président de la Fédération des distributeurs automobiles et de la mobilité (Fedamo), se dit plutôt optimiste pour cette 61e édition de l’Autofestival, ancrée dans un marché toujours plus électrique.

L’Autofestival démarrera officiellement samedi pour sa 61e édition. Un rendez-vous toujours important pour les concessionnaires, après une année 2024 ayant ramené à la normale le secteur de l’automobile. Philippe Mersch, président de la Fedamo, fait le point sur la situation luxembourgeoise, ses challenges et l’électrification grandissante du secteur.

Après plusieurs années marquées par les restrictions sanitaires et les retards de livraison et une année 2023 qui a tout rattrapé, le marché automobile semble s’être stabilisé en 2024 ?

Philippe Mersch : Au niveau des ventes et des immatriculations, 2024 a été une année tout à fait normale et correcte, avec une augmentation de 10 %. Par contre, les ventes aux sociétés ont malheureusement diminué. Mais c’est aussi une année où une grande partie des voitures qui ont été commandées ont aussi été livrées. Ce qui n’était pas le cas avant.

Comment se porte le marché automobile au Luxembourg ?

De manière générale, il se porte bien. Pourquoi? Parce que c’est un marché avec des voitures toujours plus récentes que dans nos pays voisins. Ce sont des voitures toujours bien équipées et bien entretenues par les clients. Le parc roulant est important par rapport à la population. Il grandit tous les ans. Cette année, il a augmenté de 0,8 %, ce qui n’est pas énorme. Normalement, il grandit plus ou moins dans la même proportion que la population. Mais en 2024, ce n’était pas le cas. En tout cas, le ratio entre le nombre de voitures et le nombre de résidents reste plus élevé que dans nos pays frontaliers.

On dit souvent que le Luxembourgeois aime les voitures, cela reste vrai. Je pense que le fait d’avoir une 61e édition de l’Autofestival va dans ce sens-là aussi. Après, c’est un marché commercial, c’est donc difficile, comme toutes les autres activités commerciales. Il y a des challenges importants.

Quels sont ces challenges ?

Les principaux challenges sont, évidemment, et comme pour tout le monde, la situation économique sous tension. Pas seulement au Luxembourg d’ailleurs, mais dans d’autres pays aussi. Les décisions politiques sont prises au niveau européen, ce qui a un impact sur la distribution automobile, sur la réglementation et le niveau d’émissions des voitures. Tout cela, ça a un impact sur le consommateur final et sur nos activités de concessionnaire.

Nous sommes une entreprise de la mécanique, nous avons donc les mêmes problèmes que toutes les autres entreprises d’artisanat. Le challenge est de trouver les bonnes personnes formées et de les spécialiser particulièrement aux techniques propres aux marques. Mais la main-d’œuvre est difficile à trouver. Nous devons très souvent recourir à de la main-d’œuvre frontalière, qui elle-même n’a pas toujours envie de faire les trajets jusqu’ici pour travailler. Et il y a aussi la barrière de la langue, notamment dans les jobs commerciaux. Cela peut être un frein à l’embauche. D’un autre côté, il y a aussi l’inadéquation entre les formations et les besoins réels.

Ce n’est tout de même pas une crise dans les ressources humaines, mais c’est clairement un sujet important à prendre en compte, non seulement pour un chef d’entreprise, mais aussi pour la politique.

Quel est le rôle de la voiture dans la vie des Luxembourgeois ?

La mobilité aujourd’hui à Luxembourg, comme partout ailleurs, est en évolution constante. Depuis quelques années, nous avons les transports en commun gratuits, ce qui est déjà une grande étape. Le vélo prend également sa place là-dedans. Mais il est clair que si on sort des villes, surtout dans notre pays, on a besoin de la voiture. Rien que pour se rendre au travail. Les lieux d’habitation et de travail sont de plus en plus éloignés, la voiture est donc très souvent indispensable. Mais je pense que tous les éléments de la mobilité individuelle vont, à un moment donné, s’imbriquer de manière intelligente.

«Les statistiques montrent également que les nouvelles immatriculations sont des motorisations de plus en plus efficientes et propres.» (Photo : julien garroy)

Et quelle est leur voiture idéale ?

C’est assez divers. Les statistiques que nous recevons de la Société nationale de circulation automobile (SNCA) sont basées sur des spécifications issues du certificat de conformité, donc elles ne parlent pas du type de véhicule ou ce genre de choses. Mais je dirais que nous avons un parc assez haut de gamme et germanique. Les voitures sont bien équipées, souvent de taille moyenne ou de taille supérieure. Les statistiques montrent également que les nouvelles immatriculations sont des motorisations de plus en plus efficientes et propres. Le parc automobile a une valeur d’émission moyenne de CO2 très basse.

L’âge moyen de leurs voitures est en forte augmentation depuis quelques années. Beaucoup de gens sont enclins à la changer après quatre ans. Mais cette tendance est en train de changer. Le parc récent est surtout dû aux voitures de société qui en représentent plus de la moitié.

Dans les chiffres partagés par la SNCA, on peut voir que l’électrique continue sa montée. Comment expliquez-vous cela ?

C’est une évolution presque naturelle et elle va certainement continuer dans ce sens. On peut estimer qu’il y aura encore une accélération du volume des électriques en 2026-2027. Et ce, pour plusieurs raisons. La première, ce sera la fiscalité mise en place par la politique. La deuxième, et pas des moindres, au détriment des voitures thermiques, c’est qu’à un moment donné, les prix et les coûts d’utilisation des véhicules seront très proches. D’autant plus que l’autonomie des véhicules électriques va s’améliorer. Parallèlement, le réseau public-privé de bornes de recharge va se développer de sorte qu’il n’y ait pratiquement plus de freins au choix et à l’achat d’un électrique. Évidemment, des gens seront toujours contre jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’autres possibilités…

À la Fedamo, nous ne sommes pas forcément pro-électriques, nous sommes juste réalistes. Nous connaissons la stratégie des constructeurs, donc nous savons très bien dans quelle direction nous allons. Et c’est clairement vers l’électrification. Certaines marques ont des objectifs de largement plus de 50 % d’électriques déjà en 2025.

L’UE veut interdire la vente de véhicules thermiques à partir de 2035. Est-ce réalisable ?

C’est une réglementation européenne qui interdirait l’immatriculation d’une voiture neuve thermique au 1er janvier 2035. Cela veut dire que d’ici là, il faudra avoir un véhicule qui n’émet rien, qui est zéro émission. À ce jour, c’est l’électrique, mais ça pourra très bien être de l’hydrogène. Mais la mise en application de ce règlement est encore sujet à validation, la confirmation se fera d’ici 2026-2027. Il y a une clause de revoyure. Donc il se peut qu’il y ait un certain relâchement à ce moment-là, une prolongation de l’échéance des thermiques. Pour l’instant, du côté de l’industrie automobile, ça pousse. Certains poussent pour décaler l’application en 2035, d’autres préfèrent que ça reste comme ça… Ce qui est sûr, c’est que ça a un impact sur la stratégie des constructeurs de lancer de plus en plus de modèles électriques.

En tout cas, cette échéance est réalisable. On parle juste de la vente de nouvelles voitures. Ça ne veut pas dire que l’on aura plus le droit de rouler avec une essence ou un diesel, mais que l’on ne pourra plus acheter de thermiques neuves. Donc c’est possible d’imposer ça dans dix ans. Dix ans, c’est loin.

Les Luxembourgeois sont-ils ouverts à l’électrique ?

Plus de 27 % des nouvelles ventes sont des voitures électriques. C’est très au-delà de la moyenne européenne. Je pense qu’il y a déjà une bonne maturité des Luxembourgeois vis-à-vis de l’électrique. Mais cela ne suffit pas encore. Ce qu’il faut, pour que celui qui veut choisir un véhicule électrique le fasse vraiment, c’est qu’il ait la possibilité facile de pouvoir recharger son véhicule. Et ça, aujourd’hui, c’est la grande difficulté. En fonction du lieu d’habitation ou de travail, il peut être difficile de savoir où le recharger.

Ce qui pose problème, c’est surtout le réseau de bornes de recharge privées.

Effectivement. Dans les nouvelles résidences en construction, une réglementation oblige la mise en place d’espaces de recharge. Le problème se trouve dans les résidences existantes. Dans les maisons individuelles, il n’y a pratiquement jamais de problème pour poser une borne, surtout que des fournisseurs sur le marché offrent des services impeccables. L’autre difficulté, c’est au niveau des entreprises professionnelles situées dans les zones industrielles, où il existe un manque de capacité dans le réseau électrique.

Cela veut dire qu’il y a des coûts disproportionnés à entreprendre pour pouvoir offrir et disposer de la capacité de charge nécessaire. Là, il doit y avoir des choix politiques pour définitivement faciliter l’augmentation des capacités de réseau. Surtout dans les bâtiments existants.

Le Luxembourgeois aime et s’intéresse à la voiture. Il aime bien la voir, la toucher, l’essayer

Aujourd’hui, on ne peut pas parler d’électrique sans aborder le sujet des marques chinoises. Quelle est leur place au Luxembourg ?

Les voitures de marques chinoises représentent aujourd’hui environ 1,5 % des immatriculations. Ce n’est certainement pas rien, mais ce n’est pas non plus une « menace«  en tant que telle. D’ailleurs, ceux qui distribuent les marques chinoises sont des professionnels comme les autres. De ce côté-là, il faut les traiter de la même manière. Il ne faut pas les considérer comme une menace, mais comme des produits d’une offre supplémentaire qui va certainement un petit peu secouer les marques traditionnelles pour rester dans l’actualité.

La seule chose importante, c’est que l’industrie européenne doit pouvoir jouer dans la même cour que l’industrie chinoise. Soit qu’il y ait les mêmes aides des deux côtés, soit qu’il y ait quelque chose pour réguler la concurrence. C’est important parce que la Chine a une avance significative sur les voitures électriques, notamment sur les batteries.

Quel bilan faites-vous des 60 éditions passées de l’Autofestival ?

Je pense que ceux qui ont inventé le concept ont eu raison. Il répondait à un besoin à ce moment-là, de se démarquer par rapport au Salon de Bruxelles. Le choix de le faire dans toutes les concessions participantes, plutôt que d’amener toutes les marques dans un seul endroit central, est bien trouvé. Le client y est gagnant. Certes il doit se déplacer, mais comme ça, il peut avoir l’envers du décor de ce qu’il achète.

La chance qu’on a, c’est que notre réseau de distribution est lié à la Belgique, donc nos actions commerciales se font dans une même période, en début d’année. Il n’y a rien de mieux que de bien commencer une année et savoir où l’on se situe pour la suite.

Si la tradition de l’Autofestival dure depuis 60 ans, c’est qu’il y a du succès derrière pour que ça se renouvelle chaque année. Le concept évolue chaque année, notamment la durée du festival, la fréquentation et ce que recherche le client. Aujourd’hui, les constructeurs sont plus forts que les concessionnaires avec leurs offres commerciales. Mais ce qui reste pendant l’Autofestival, c’est que toutes les marques participent et font des efforts dans leurs offres, même les banques et les assurances. C’est ce qui fait sa force.

Qu’attendez-vous de l’édition 2025 ?

Que les clients viennent nous voir, qu’ils soient au rendez-vous. L’attractivité des produits sur le marché est très forte, les produits sont variés et les conditions très intéressantes. Aujourd’hui, c’est difficile de se tromper dans l’achat d’une voiture, car elles sont toujours plus propres. On voit que les marques communiquent déjà beaucoup en termes de publicité. Tout ça, c’est important pour l’effort humain fourni par les concessionnaires. C’est une période de charge de travail intense, il faut que ça en vaille la peine. Je suis raisonnablement optimiste.

Est-ce un évènement voué à disparaître ?

Il n’y a pas de raison que ça s’arrête. À un moment, il y avait la question de la digitalisation, qui ferait chuter le nombre de personnes dans les concessionnaires physiques. Mais ce n’est pas le cas. Au contraire, les gens continuent à venir, et ce, en étant plus informés Le festival reste le moment idéal pour faire l’essai des véhicules, ce qu’internet ne permet pas. Il y a des exemples de marques qui se sont lancées sur internet… Elles ont toutes fini par ouvrir un show-room. Cela revient un peu à ce qu’on a dit tout au début : le Luxembourgeois aime et s’intéresse à la voiture. Il aime bien la voir, la toucher, l’essayer… Cela va dans le sens du modèle de l’Autofestival.

Repères

État civil. Philippe Mersch est né en 1971 à Luxembourg. Il est marié et a deux enfants.

Formation. Communication.

Carrière. Philippe Mersch est gérant de la concession Kremer à Mersch.

Fédérations. Philippe Mersch est président de la Fédération des distributeurs automobiles et de la mobilité (Fedamo) depuis quelques années. Il fait également partie du conseil de la House of Automobile et de la Fédération des artisans.

Sa voiture idéale ? En bon Luxembourgeois, il en a plusieurs. Mais sa voiture idéale doit être un couteau suisse répondant à tous les besoins, électrique et propre, qui donne envie. En tant que passionné, il aime également les vieilles voitures qui font du bruit et donnent de l’émotion.