Thomas Vervloessem, constructeur et réparateur d’instruments de musique, nous a ouvert les portes de son atelier à Pétange. Entre deux explications techniques sur les cuivres, il nous a livré son parcours. Portrait.
Planqué derrière la devanture violette de son «Atelier du son», avenue de la Gare à Pétange, Thomas Vervloessem se plonge dans les entrailles des instruments de musique de ses clients, et plus précisément des cuivres. «Mon rôle, c’est de les rendre les plus proches possibles de leur état d’origine», commente-t-il, trompette à la main. Cette aventure de réparation d’instruments a commencé en 2015, après des années de passion et d’apprentissage. Parce que si l’expression «avoir la musique dans la peau» avait une enveloppe corporelle, ce serait bien la sienne. Ce grand passionné de 32 ans a orchestré toute sa vie autour de cette vocation. «La musique a toujours fait partie de moi.»
Né en Flandre, Thomas Vervloessem est arrivé au Luxembourg avec sa famille en 2007. «Notre intégration ici s’est faite à travers la musique», souffle-t-il dans un sourire. Il faut dire que pour lui, la musique est avant tout une affaire familiale. Son père est saxophoniste et sa mère clarinettiste. Avant eux, ses grands-parents étaient déjà des musiciens professionnels. Tout était fait pour le mener également vers la musique. «Mes frères et sœurs et moi avons directement rejoint l’harmonie à Steinfort, nous en avons fait partie pendant de nombreuses années.»
Son instrument à lui, c’est la trompette, même s’il a toujours voulu jouer du saxophone. «Mais dans notre famille, nous sommes un peu compétitifs… Comme mon père joue du saxophone, il ne voulait pas que j’en joue parce qu’il ne voulait pas que je sois meilleur que lui», rigole Thomas Vervloessem. Petit, il l’accompagnait aux répétitions. Il y a rencontré Gilbert, trompettiste et joyeux luron de la bande. Un jour, Thomas est allé les voir en concert : «Gilbert avait un solo, mais il fumait comme pas possible… Alors, quand il a commencé à jouer, de la fumée est sortie du pavillon. Je me suis dit que c’était mon héros. Et c’est là qu’il m’a dit : « Thomas, tu as des lèvres de trompette, va apprendre la trompette ».» Un conseil qu’il a suivi.
Un parcours de persévérance
Alors que la passion de Thomas pour la musique n’a cessé d’aller crescendo, son intérêt pour l’école, lui, est resté à plat. «Ce n’était pas vraiment mon fort et ça ne m’interpellait pas autant. J’ai toujours eu des problèmes de concentration, qui faisaient que j’avais des mauvaises notes», se souvient-il. Il a alors commencé à s’intéresser aux instruments anciens et a économisé son premier argent de poche pour en acheter. Il a découvert par la même occasion la réparation d’instruments. «C’est là que j’ai annoncé à mes parents que je ne voulais pas rentrer dans le même train de vie que mon père.» Ce dernier l’a alors emmené à une foire à Paris avec des exposants, des réparateurs et des constructeurs. Puis, ils se sont rendus dans une autre foire, à Francfort cette fois-ci. Il y a rencontré Jürgen Voigt, qui lui a proposé de le former et de l’employer.
À seulement 19 ans, Thomas a déménagé de l’autre côté de l’Allemagne. «Ils vivaient comme s’ils étaient encore dans le bloc soviétique, alors j’ai vite appris l’allemand pour m’en sortir», se remémore-t-il. Il y a passé trois années. «J’y ai appris la persévérance et la conviction de vouloir bien faire mon métier.» Il a fini par être diplômé constructeur d’instruments de musique. C’est également lors de ses études qu’il a rencontré sa femme, Ledicia, elle aussi constructrice et réparatrice d’instruments, mais de bois. Ensemble, ils ont décidé de quitter l’Allemagne pour ouvrir leur propre boutique ailleurs. «On ne se voyait pas forcément vivre là-bas parce que c’est quand même une société relativement fermée.»
Leur première piste allait les mener en Suisse, mais ils ont finalement atterri au Luxembourg. «Ma mère venait ici pour la réparation de sa clarinette et pour l’achat d’un nouvel instrument. Et les gens qui étaient là auparavant avaient indiqué vouloir arrêter leur activité.» Après un an de cohabitation et «des centaines de problèmes», le couple a fini par récupérer le local. «Ça a été extrêmement dur jusqu’à fin 2018, début 2019…» Puis 2019 a été une superbe année, avant que leur commerce soit plombé par le covid. «Je venais quand même au travail tous les jours, j’ai créé la demande en allant chercher les instruments chez les gens», explique le réparateur.
Après la crise, l’atelier a eu droit à une explosion des demandes. «L’année dernière, nous avons effectué 350 réparations sur les mois d’août et de septembre.» Aujourd’hui, Thomas, Ledicia et leur équipe misent tout sur la transparence et la qualité du service. «Cela a toujours été la chose la plus importante pour moi, même plus importante que de gagner sa vie», sourit le réparateur. Son seul regret : ne plus avoir assez de temps pour jouer de sa trompette entre toutes ces réparations et constructions d’instruments.
À l’Atelier du son, les instruments de musique sont rois. Qu’ils soient accrochés au mur, rangés dans leur housse de transport ou sur l’établi, ils ont tous le droit à être choyés. Pour Thomas et son équipe, pas question que les instruments sortent de chez eux en mauvais état. «Ils sont tous réparables et au mieux, ils doivent finir parfaits», appuie-t-il d’un ton sérieux. Pour ce faire, les instruments passent par des étapes bien définies. Suivant les modèles et les niveaux de finition, le travail peut prendre de 1 h 30 à 36 heures.
Le processus commence par le démontage. Chaque pièce est enlevée délicatement du reste pour passer au nettoyage. Dans une salle au fond de l’atelier, plusieurs machines sont faites pour ça. «Dans la grande, il y a un produit détachant, et les petites pièces vont dans l’ultrason pour un nettoyage un peu plus intensif», détaille Thomas. Toutes les pièces sont également nettoyées à la main. Ils sèchent ensuite l’intérieur et l’extérieur, et si nécessaire, ils passent au polissage, avant de pouvoir passer au débosselage. Sur les murs et dans les tiroirs, d’innombrables outils, tels que les mandrins ou les boules, permettent de rendre aux instruments leur forme d’origine. Sur son établi, Thomas débosse une trompette esquintée par le temps et les chocs. Sous la pression des outils, l’instrument reprend sa forme.
«Une fois tout ça fait, on va vraiment à la réparation.» Soudures, remplacement de pièces défectueuses… Tout passe au peigne fin. Dans les étagères au-dessus de l’établi, Thomas a des pièces de chaque marque en stock pour correspondre au mieux à l’état d’origine des instruments. «Je peux tout réparer tant que les gens acceptent qu’il faille remplacer», explique-t-il. En tout, ce sont 800 à 1 000 instruments réparés par année. Le plus gros rush ayant lieu en été, durant les vacances.
Un métier de minutie et de concentration
Et si l’atelier a autant de demandes, c’est aussi parce qu’il manque de concurrence. «C’est un métier qui devient de plus en plus rare, comme tous les métiers manuels», se désole Thomas. Il demande beaucoup de «discipline», de «concentration» et de «savoir-faire». Le nombre d’élèves des trois seules écoles, toutes en Allemagne, chute à vue de nez. «Faut être capable de se concentrer pendant des heures sans perdre la motivation, il y a peu de jeunes qui ont encore cette motivation.»
Pour tenter de motiver de nouvelles personnes, Thomas et Ledicia vont donner des cours et des petites formations. «Comme les écoles ne sont qu’en Allemagne, nous voulons donner envie à des gens qui parlent d’autres langues.» Le but est d’aider les intéressés à développer leur entreprise, et aussi d’échanger sur les différentes méthodes. «C’est toujours très enrichissant», termine Thomas.