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Personnes sans abri : «On sent que ça commence à se tendre»


Nelson Dos Reis, responsable du service Premier Appel, et Virginie Giarmana, directrice adjointe d’Inter-Actions.

Depuis juillet 2017, le service Premier Appel d’Inter-Actions ASBL est au contact avec les sans-abri dans le besoin dans les rues de Luxembourg. L’occasion de faire le point après six ans d’existence.

Créé en 2017 à Luxembourg par l’ASBL Inter-Actions, le service Premier Appel possède une permanence téléphonique et une équipe de terrain afin d’aller à la rencontre des personnes sans abri dans le besoin. Opérationnel toute la semaine, de 17 h à 22 h, le but est de guider les bénéficiaires vers des logements d’urgence ou des soins.

Depuis leurs premières tournées, il y a six ans, les neuf membres du service ont appris à connaître les personnes sans abri et leurs besoins. Un public dont la prise en charge n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît, comme le rapporte Nelson Dos Reis, responsable de Premier Appel, et Virginie Giarmana, directrice adjointe d’Inter-Actions.

Comment fonctionne le service Premier Appel?

Nelson Dos Reis : Trois personnes travaillent par jour, l’une pour la permanence téléphonique afin d’avoir les appels des personnes elles-mêmes, ou des privés, des hôpitaux et de la police. Et cette personne appelle ceux qui sont sur le terrain pour qu’ils aillent rencontrer la personne et lui venir en aide.

Toute la soirée, on fait des tournées en camionnette sur Luxembourg-Ville afin de parler avec les sans-abri pour les aider. Parfois, certains ne veulent pas aller dans les foyers, donc on voit comment faire pour les aider en période de grand froid, avec du café, des soupes chaudes, des sacs de couchage.

Le nombre de personnes aidées chaque soir est-il régulier toute l’année?

N. D. R. : Cela dépend des périodes. Quand c’est la période de la Wanteraktioun (NDLR : du 15 novembre au 15 avril), c’est plus calme pour nous parce qu’ils vont beaucoup là-bas. On va avoir 5 ou 6 appels par soir. Mais on va toujours dans la rue voir ceux qui ne veulent pas aller en foyer. En dehors de cette période, c’est plus compliqué, car on a une vingtaine d’appels parfois. Le plus souvent, c’est pour avoir des lits d’urgence.

Parfois, une soupe ou un café ça leur suffit

Pourquoi certains refusent d’aller en foyer?

N. D. R. : Il y a beaucoup de raisons. Par exemple, la Wanteraktioun, c’est un endroit très grand, avec des dortoirs avec beaucoup de monde, et certains refusent, car ils disent ne pas avoir d’intimité, qu’ils n’arrivent pas à se reposer ou encore qu’ils ont peur des vols.

Après, même dans d’autres foyers, ils ne veulent pas car ils ont du mal avec les règlements pour les horaires ou la consommation d’alcool, les couples séparés, etc. Il y a des gens qui, tout simplement, sont tellement habitués à dormir dehors depuis des années que ça ne les intéresse pas. Pour nous, c’est difficile à comprendre, mais certains aiment ça.

Parfois, les travailleurs sociaux font du forcing car ils veulent tellement changer la situation de la personne qu’ils ne s’en rendent pas compte. Ce n’est pas cela que ces gens veulent et nous, on ne marche pas comme ça. Nous, on est là, on demande et parfois, une soupe ou un café ça leur suffit.

Virginie Giarmana : Il ne faut pas voir les personnes sans abri de manière romantique. Quand on embauche des nouveaux collaborateurs qui disent vouloir sauver tout le monde, on leur explique que ce n’est pas comme ça. Dans nos sociétés, il y a des tas de caractères différents et dans cette population aussi. Le tout aggravé par le fait de vivre dans la rue.

Comment est-il possible d’améliorer la situation?

V. G. : Le problème au Luxembourg, c’est la transition. De la rue vers un hébergement d’urgence et d’un hébergement d’urgence vers un logement. Comme c’est très difficile de trouver un logement ici, on se rend compte que dans les foyers censés être des foyers d’urgence, il y a des gens qui y passent plus de temps qu’une urgence. Ça devient un endroit où ils viennent de façon régulière.

Sinon au Luxembourg, on a quand même beaucoup d’infrastructures sociales, même si on peut toujours faire plus. Dans tous nos services qui travaillent dans la rue, on voit qu’auprès des habitants et des commerçants, il y a des gens qui expriment très clairement qu’ils en ont marre.

Autant à Bonnevoie, il y avait une cohabitation qui se passait bien, mais même là, on sent que ça commence à se tendre entre les habitants et les sans-abri et ça nous préoccupe. On se dit qu’il faut réfléchir à refaire du lien entre ces populations. Malgré tout, on a beaucoup ici.

N. D. R. : Au Luxembourg, c’est presque impossible de mourir de faim. Ici, ils peuvent avoir des vêtements, ils peuvent prendre des douches, il y a à manger. Il faut le dire, car on a pas mal de retours de privés qui parfois nous appellent, fâchés, et disent que ce n’est pas normal que rien ne soit fait pour les gens dans la rue au Luxembourg.

Mais non, on donne, on propose. Une petite minorité utilise le fait d’être dans la rue pour s’en sortir, ils se mettent à des endroits visibles et disent qu’ils n’ont pas d’aides pour mendier par exemple. On a quand même beaucoup d’infrastructures ici.

La nouveauté : la remorque dortoir

Depuis le mois de décembre, Inter-Actions a installé, avec l’aide de la Ville, une remorque dortoir derrière l’église de Hollerich. Ce concept de «train couchette» consiste à prendre une remorque de camion frigorifiée afin de l’aménager en dortoir.

Financée par le ministère de la Famille, la remorque dispose de huit lits, d’une douche, d’une toilette et «reste dans le même principe que le service Premier Appel», explique Nelson Dos Reis. Selon la tournée du soir, des personnes sans abri peuvent y être guidées et profiter d’un lit à partir de 19 h jusqu’à 7 h 30 le lendemain.

Pour l’instant, la remorque a accueilli 4 personnes maximum. «On n’a pas fait trop de publicité, pour commencer doucement, afin que les bénéficiaires et les personnes puissent s’adapter.» Afin que le logement soit encadré, un éducateur est présent chaque soir jusqu’à 1 h 30, ainsi qu’un agent de sécurité de 19 h jusqu’au départ des personnes.

Encore en phase de test, la recette semble fonctionner : «Certains qui ont toujours refusé les foyers ont accepté de venir et ça leur a plu, car c’est plus petit et plus convivial que des foyers.»

Afin de répondre aux demandes de logement d’urgence, Inter-Actions a installé une remorque transformée en dortoir près de l’église de Hollerich.