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Pensions : comment éviter un dérapage dès 2026 ?


les députés ont pu présenter leurs pistes pour viabiliser à court, moyen et long termes le régime. (Photos Julien Garroy)

Devant la Chambre des députés, la ministre Martine Deprez a mis en perspective un déficit de 100 millions d’euros en 2026. Le système des pensions afficherait un déséquilibre de 300 millions d’euros en 2027. Mercredi, les députés ont pu présenter leurs pistes pour viabiliser à court, moyen et long termes le régime. Le gouvernement compte trancher avant l’été.

CSV : «Rapprocher l’âge de départ réel des 65 ans»

Alex Donnersbach

Le CSV entend agir de manière «courageuse et décidée» afin de garantir la viabilité à long terme du système des pensions. Il est revenu à Alex Donnersbach de présenter les principales pistes envisagées par le parti de la ministre Martine Deprez.

Premier engagement : l’assurance obligatoire et solidaire «doit rester la fondation» du régime. «Personne ne doit être laissé seul au moment de prendre sa retraite, peu importe son revenu.» Si le CSV ne compte pas revoir à la hausse l’âge légal de départ à la retraite, un des «objectifs majeurs» de la réforme devrait être «de rapprocher l’âge de départ réel du seuil des 65 ans». Plusieurs pistes sont évoquées, dont des avantages financiers, non spécifiés, pour ceux qui souhaitent travailler plus longtemps. La possibilité d’un départ à la retraite à 57 ans ou 60 ans, à condition d’avoir cotisé pendant 40 ans, n’est pas remise en cause par le CSV. Tout comme le maintien des années d’études et des années d’éducation des enfants (période baby year) pour le calcul des pensions.

Du côté des recettes, le camp chrétien-social se dit «sceptique» par rapport à une hausse du taux de cotisation (8 %, tant pour l’employé que pour l’employeur et l’État), sans toutefois «exclure complètement» cette option. «Nous devons trouver d’autres solutions. Une hausse des cotisations doit être le tout dernier recours», souligne Alex Donnersbach. Parmi ces alternatives figure un investissement «plus actif» du fonds de pension dans le financement des pensions, «sans toucher à la réserve globale». Pour lutter contre la pauvreté des seniors, le CSV plaide pour une «politique sociale plus ciblée pour les personnes qui sont le plus dans le besoin», au lieu d’augmenter d’office la pension minimale.

En matière de pensions complémentaires, Alex Donnersbach propose la création d’un fonds public qui serait alimenté par les assurés, avec à la clé un rendement supplémentaire pour augmenter le niveau de la retraite finale.

Le CSV propose en outre d’améliorer la retraite des indépendants. Enfin, la création d’un régime de pensions unique pour le secteur privé et le secteur public n’est pas jugée nécessaire par le camp chrétien-social. Une question demeure, celle de savoir si les adaptations du régime du secteur privé doivent aussi se répercuter sur le régime du secteur public.

DP : «Agir sans trop accabler l’économie»

Gérard Schockmel

Gérard Schockmel admet que les projections à long terme ne sont pas «une science exacte». «Mais n’est-il pas plus responsable de s’appuyer sur ces données plus pessimistes pour agir à temps et prévenir l’obligation de forcer des adaptations», interroge le député libéral. En tout état de cause, «ce n’est pas le moment de faire l’autruche, il est temps d’agir dans le calme et de manière consensuelle».

Les positions du DP se rapprochent fortement de celles défendues par son partenaire de coalition, le CSV. À commencer par la nécessité de rapprocher l’âge de départ réel à la retraite de l’âge de départ légal. «Il s’agit d’un grand problème, car seulement 10 % des employés travaillent au-delà de l’âge de 60 ans avant de prendre leur pension», avance Gérard Schockmel. Le camp libéral se dit «a priori favorable» au maintien des années d’études et des années d’éducation des enfants pour le calcul des pensions. Par contre, «le DP est fondamentalement d’avis qu’une hausse des cotisations est à éviter». «Cela équivaudrait à une charge supplémentaire pour les entreprises», met en garde le député. Le même constat est posé pour un déplafonnement des cotisations, qui se situe actuellement à cinq fois le salaire social minimum. Au-delà de ce montant, aucune cotisation n’est perçue.

Le DP se dit toutefois prêt à discuter de nouvelles recettes. «Mais nous devons agir sans trop accabler l’économie. Nous avons besoin d’entreprises fortes pour créer des emplois et financer notre État social», clame l’élu libéral.

À l’image du CSV, le DP propose aussi l’instauration d’un fonds d’investissement public, ouvert aux assurés qui souhaitent cotiser volontairement : «Le rendement intégral profiterait aux citoyens, une fois les frais administratifs déduits.» Et comme le camp chrétien-social, les libéraux refusent une hausse généralisée de la pension minimale pour prévenir la pauvreté des seniors. «La solution est trop simpliste. Il faut différencier entre ceux qui sont vraiment dans le besoin et ceux qui ont encore des sources de revenus supplémentaires, en dépit d’une petite pension», argumente Gérard Schockmel.

Pour ce qui est des indépendants, le DP propose de mettre en place un régime où une partie des cotisations (8 % au lieu de 16 %) serait perçue sur le bénéfice de l’entreprise et non pas sur le revenu de l’assuré.

LSAP : «Trouver des solutions à l’intérieur du système»

Taina Bofferding

La cheffe de fraction du LSAP, Taina Bofferding, souligne d’emblée que «toute attaque contre le système des retraites est inacceptable». «Il est hors de question de remettre en question le principe de la solidarité intergénérationnelle pour renforcer les régimes de cotisation privée», renchérit-elle. Mais, même si le camp socialiste voit une «urgence artificielle» dans le débat lancé sur une réforme du régime des pensions, Taina Bofferding estime nécessaire de sécuriser les pensions sur un horizon de dix ans.

Il existe cinq lignes rouges pour le LSAP : une réduction des prestations, une dissolution du contrat de génération, une hausse de l’âge légal de départ à la retraite, fixé à 65 ans, l’exclusion des années d’études et des années d’éducation des enfants du calcul des pensions et une privatisation du système. «Nous défendons un système solidaire, l’équité entre les générations et de bonnes prestations pour permettre à chaque retraité de mener une vie digne», résume Taina Bofferding.

Le Parti socialiste souhaite «trouver des solutions à l’intérieur du système». Parmi les améliorations proposées figurent des mesures pour éviter une augmentation de la pauvreté des seniors. La pension minimale devrait être relevée de 300 euros par mois. Il serait envisageable d’agir sur l’allocation de fin d’année, «mais cela n’est pas forcément nécessaire s’il existe d’autres solutions». Le LSAP veut aussi rapprocher l’âge de départ réel à la retraite de l’âge de départ légal, en proposant une transition graduelle de la vie active à la retraite. «Il faut donner les moyens aux entreprises d’accompagner les futurs retraités sur ce chemin. Dans le même temps, cela permettrait de transmettre le savoir-faire aux employés plus jeunes», argumente Taina Bofferding.

Pour augmenter les recettes, le camp socialiste préconise d’inclure tous les revenus dans le calcul des cotisations et d’introduire une taxe sur les robots et l’intelligence artificielle («Cela semble loin, mais on connaît l’évolution rapide du marché du travail») et un déplafonnement des cotisations («une idée très sympathique»).

D’une manière plus globale, le LSAP appelle le gouvernement à renforcer le dialogue social avec les syndicats, qui seraient trop laissés à l’écart dans ce débat sur les pensions. Le principe de la tripartite devrait pleinement jouer.

ADR : «Un changement de paradigme»

Alexandra Schoos

Alexandra Schoos, la présidente de l’ADR, rappelle que son parti a été le seul à thématiser, avant les élections législatives de 2023, une réforme des pensions. En outre, l’ADR aurait une «responsabilité particulière» à remplir, au vu de son engagement à la fin des années 80 pour rendre plus équitable le système des retraites.

Sans surprise, Alexandra Schoos souligne le besoin de «sortir du piège de la croissance». Pour financer les pensions à long terme, il faudrait que le Luxembourg dispose en 2070 de 1 715 000 employés afin d’assurer le versement de 745 000 retraites. «Cela est inimaginable et je pense que personne ne veut d’un tel scénario», clame-t-elle.

Ces dernières années, le système aurait uniquement pu être maintenu viable grâce à la croissance de l’emploi, dopée par les travailleurs frontaliers. Désormais, il serait temps d’agir, sans abandonner plusieurs principes, comme le maintien d’un système de pension public et un soutien des plus vulnérables.

Par contre, l’ADR propose de relever progressivement les cotisations de 8 % à 9 %, sur une décennie, entre 2026 et 2036, soit 0,1 % par an. Si l’âge légal de départ à la retraite resterait maintenu à 65 ans, le parti réformateur envisage d’augmenter d’un an les seuils pour une retraite anticipée : de 57 à 58 ans et de 60 à 61 ans. Une nouvelle fois, cette évolution se ferait sur 12 ans, soit un mois supplémentaire à prester sur cette période.

En même temps, l’ADR propose un «changement de paradigme». L’idée centrale est de créer un fonds d’investissement public suivant le modèle du fonds de pension norvégien. Les assurés recevront la possibilité d’injecter de l’argent dans ce fonds. Ils n’auront pas la possibilité de retirer leur mise, mais de profiter du rendement généré par l’ensemble de la manne financière qui composera ce fonds. «Il ne s’agit pas d’un remplacement de la pension légale, mais d’un complément. Par contre, ce ne sera pas pour demain. La création d’un tel fonds incombera aux prochaines générations», relate Alexandra Schoos.

L’ADR veut, finalement, offrir la possibilité aux indépendants de cotiser au-delà de 65 ans. Actuellement, cette possibilité n’est pas prévue dans le régime des pensions.

Lire aussi l’édito de David Marques

Le temps de trancher

Déi gréng : «Élargir la base des cotisations»

Djuna Bernard

Selon Djuna Bernard, ce seraient surtout les jeunes générations qui craignent que la solidarité intergénérationnelle, pilier du système de pensions, soit remise en question. «Or, l’équité entre générations doit être notre principale priorité», insiste la députée déi gréng.

Même si elle juge «absurde» de se projeter jusqu’en 2050 ou 2070 pour évaluer le besoin d’agir sur le système des retraites, d’autant plus dans «un contexte très instable», Djuna Bernard estime que des adaptations sont nécessaires pour garder l’équilibre du régime à plus court et moyen termes. «Il est évident qu’une réforme ne doit pas créer de nouvelles inégalités, ni entre les vieux et les jeunes, ni entre les pauvres et les riches, ni entre le secteur privé et le secteur public», souligne l’élue.

«À long terme, nous avons besoin de nouvelles sources de financements», reprend Djuna Bernard. Son parti pense plus particulièrement à «élargir la base des cotisations». «La pression ne doit plus entièrement reposer sur la population active. Une imposition plus équitable des bénéfices retirés de transactions financières et des grandes richesses sont nécessaires», clame la députée. Ces ressources supplémentaires pourraient aussi contribuer à augmenter la pension minimale, d’au moins 400 euros par mois, pour éviter que les retraités concernés ne vivent sous le seuil de pauvreté.

Déi gréng font même un pas de plus en réclamant une «révision fondamentale du modèle de financement» des pensions. «Au lieu de continuer à miser sur la croissance économique et de l’emploi, il faut rendre le système plus large. On ne peut pas faire abstraction du fait que les ressources naturelles sont limitées. La réponse ne peut donc pas être de continuer à utiliser ces ressources à outrance.»

Le parti d’opposition ne se ferme pas à une hausse des cotisations. Par contre, il voit d’un œil plus critique le déplafonnement des cotisations.

Djuna Bernard ne remet pas en question le consensus sur le maintien de l’âge de départ légal à la retraite à 65 ans. «Mais, il faut rendre plus flexible et plus attractif le cadre pour ceux qui souhaitent travailler plus longtemps, tout en tenant compte d’un coefficient lié à la pénibilité du travail», avance-t-elle.

Déi Lénk : «Besoin d’une réforme de la réforme»

Marc Baum

Marc Baum évoque des «décisions asociales» prises lors de la dernière réforme des retraites, datant de 2012. «On a agi uniquement sur les dépenses sans penser à générer de nouvelles recettes», fustige-t-il. Le député voit la nécessité d’agir sur certains aspects du régime des pensions, en priorité pour supprimer les «inégalités sociales» qui existeraient toujours. «On a besoin de mener une réforme de la réforme», insiste Marc Baum.

Déi Lénk s’oppose à un système financé par le seul capital privé. «Un tel système est moins profitable, mois transparent, moins démocratique, plus volatile et moins solidaire», énumère le député. «Celui qui veut miser sur un tel système, doit aussi clairement communiquer que cela va mener à un appauvrissement de la population», renchérit Marc Baum.

Son parti propose les améliorations suivantes : une hausse des petites pensions pour arriver à 36 611 euros par an, ce qui correspond au seuil de pauvreté pour les seniors, la réduction de l’écart de pension entre femmes et hommes, le déplafonnement des cotisations, la sortie des frais administratifs incombant à la caisse de pension («ces frais ne doivent pas être financés par les cotisants») et la possibilité de cotiser, de manière plus flexible, au-delà de 65 ans. «Rien que ces trois dernières mesures permettraient de générer près d’un milliard d’euros de recettes en plus», avance Marc Baum.

Avec ces seules mesures, à court terme, le financement du système de pensions serait assuré «pour plusieurs années». «De plus, l’équité sociale serait garantie», ajoute l’élu sudiste. Si dans les années 2030, un déséquilibre financier se présentait, déi Lénk plaide pour une hausse du taux de cotisations, de 8 % à 9 %.

«Nous sommes par contre opposés à des idées néolibérales comme la suppression des années d’études et des années d’éducation des enfants», souligne Marc Baum.

Il appelle finalement le gouvernement à enfin se positionner plus clairement sur ses intentions en matière de réforme des pensions.

Parti pirate : «Donner les moyens nécessaires à l’État»

Sven Clement

On ne peut pas maintenir le système et faire comme si de rien n’était.» Sven Clement (photo) juge qu’il ne faut pas se montrer trop pessimiste, mais qu’il est temps de se pencher sur le système des pensions «surtout dans l’intérêt des jeunes générations».

Quelques principes de base sont mis en avant : pas de coupe dans les prestations, maintien de l’âge de départ légal de 65 ans et du minima de 40 années de cotisation, ou encore maintien de l’indexation des pensions, afin de conserver le pouvoir d’achat des personnes retraitées. L’idée d’une carte de consommation avec un avoir spécifique pour les seniors est proposée par Sven Clement.

Le Parti pirate s’est penché plus particulièrement sur une hausse des cotisations pour générer des recettes supplémentaires. Cette augmentation serait à financer par les contribuables. «Il faut donner à l’État les moyens nécessaires pour financer cette hausse», souligne le député. Ses propositions sont très diversifiées : introduire une taxe pour circuler sur le réseau routier du Luxembourg – combinée à la suppression de celle sur les véhicules automoteurs –, introduire une taxe sur les robots et l’intelligence artificielle, taxer plus fortement certains produits comme le kérosène, le tabac, l’alcool ou des produits alimentaires malsains.

Sven Clement plaide aussi pour inclure dans les cotisations toutes les catégories de revenus, soit les salaires, mais aussi les recettes générées, par exemple, par des loyers.

Pour ce qui est des pensions complémentaires, le Parti pirate suggère d’élargir le régime que peut proposer l’employeur aux PME. Jusqu’à présent, uniquement les plus grandes entreprises ont la possibilité d’offrir une pension complémentaire à leurs salariés. Dans le domaine des pensions complémentaires, financées individuellement, Sven Clement souhaite ouvrir les investissements aux actions cotées en Bourse. «Il est cocasse que cela ne soit pas possible dans un pays qui est leader en matière de fonds d’investissements», conclut le député.