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Paulette Lenert et le covid : «Ce que l’on faisait, c’était trop, ou pas assez»


À propos de sa médiatisation soudaine, Paulette Lenert avoue que «cela a été très déstabilisant au début». (Photos : archives lq/julien garroy)

Cinq ans après le premier décès suivi du confinement, Paulette Lenert retrace le fil de la pandémie de covid qu’elle a vécue en tant que ministre de la Santé, entre doutes, stress, pressions et abandons éphémères.

Les dates anniversaires du covid, aussi tristes soient-elles, s’enchaînent ces derniers jours. Le 13 mars 2020, le premier décès survenait au Luxembourg, deux jours avant l’annonce d’une limitation des déplacements, d’un confinement des personnes vulnérables et de la fermeture des écoles et des commerces non essentiels. Le lendemain, la gravité de la situation conduisait le Grand-Duc à lancer un appel à la solidarité nationale.

Cinq ans plus tard, ces souvenirs sont encore dans toutes les têtes, à commencer par celle de Paulette Lenert. Ministre de la Santé durant la pandémie, elle revient sur cette période délicate qui lui vaut, aujourd’hui encore, des critiques sur sa gestion des tests à la suite d’un rapport de la Cour des comptes.

Quels sont votre réaction et votre plan d’action lorsque vous apprenez le premier cas de contamination le 29 février ?

Paulette Lenert : C’était un choc. Très sincèrement, personne au Luxembourg ne s’attendait à ce que cela nous tombe dessus aussi rapidement. Ma façon de procéder a été de m’informer au maximum afin de prendre connaissance de la situation et de m’entourer avec le noyau dur de mon équipe. Il fallait anticiper le pire, même si personne n’y pensait. À ce moment, en Italie, dans la province de Bergame, on voyait des centaines de morts. Il y avait déjà un esprit de guerre, puisqu’il fallait faire des choix sur qui est-ce que l’on va sauver, car les capacités étaient insuffisantes.

Lorsque le confinement est annoncé, est-ce que vous réalisez la dimension historique de la décision ?

Le confinement, c’était irréel pour moi aussi. Je me souviens m’être dit : « Qu’est-ce que tu fais?« . Mais être dans l’émotion n’aide pas dans ces moments-là. Il faut être suffisamment sûr que c’est la meilleure parmi les solutions difficiles que l’on peut avoir. Et au début de la pandémie, la perspective, c’était des décès à la chaîne.

Évidemment, il y avait des hésitations, donc on se rassurait les uns les autres et on repassait en revue le raisonnement afin d’être sûrs de ce qu’on allait faire. Une fois la décision prise, il n’y a pas le temps de réfléchir, car il faut préparer sa communication de manière compréhensible pour le public et c’est un vrai défi. Dans ces moments-là, nous sommes comme un hamster dans une roue. Nous sommes tout le temps dans l’action, il n’y a pas un moment pour se perdre dans l’hésitation.

Vous avez été très médiatisée du jour au lendemain. Comment l’avez-vous vécu ?

Cela a été très déstabilisant au début, je ne suis pas quelqu’un qui court vers les caméras. C’était un très grand changement, car je n’ai pas fait un parcours politique classique où l’on est habitué peu à peu à cette exposition. Je me souviens très bien de la première conférence avec le premier décès que l’on devait annoncer. Je pensais que je n’y arriverais pas. J’étais à 50 mètres d’aller parler et je me disais encore que je ne pourrais pas le faire à cause du stress et de l’émotion.

Je ne viens pas d’un métier où j’ai côtoyé la mort, donc ce volet aurait sûrement été plus facile pour un médecin. C’était très dur au début, mais on y arrive quand même, il n’y a pas le choix, et puis, à force, on s’habitue à l’exposition. C’était également un réconfort d’avoir Xavier Bettel à mes côtés, car, lui, c’est le contraire, puisqu’il est dans la politique depuis son tout jeune âge.

Le confinement, c’était irréel pour moi aussi

Quelle relation aviez-vous avec Xavier Bettel, alors Premier ministre ?

On ne se connaissait pas trop et on a appris à le faire, forcément, puisque nous étions les deux figures de la crise. J’étais plus présente au quotidien dans la cellule de crise, mais j’étais en contact avec lui tous les jours au téléphone. Il suivait vraiment de près, d’autant plus que c’est quelqu’un de très versé sur les chiffres. Nous avions cette habitude de nous appeler le matin déjà très tôt, quasiment au réveil, pour faire le point sur la situation. Nous étions une vraie équipe, ce n’était pas de la politique politicienne entre nous.

Pour rester lucide et décompresser, aviez-vous des astuces ou des rituels quotidiens ?

Le seul rituel que j’avais, qui était une obligation, c’était de sortir mon chien. Cela m’a aidée à prendre l’air et me balader. Dans la cellule de crise à la Villa Louvigny, parfois je sortais aussi pour faire le tour du parc. C’est à peu près la seule chose que je faisais. Je ne faisais plus de sport parce que je n’avais pas le temps ou que je ne prenais pas le temps.

Tous ceux qui travaillaient sur la pandémie n’avaient plus trop de vie privée. Il m’importe de le souligner parce qu’il y avait les interviews, mais il faut penser également au personnel dans les maisons de soins et les hôpitaux. Pareil pour les fonctionnaires. J’avais la chance d’avoir des filles déjà âgées et à l’étranger, mais d’autres me faisaient de la peine, car les enfants étaient plus jeunes et ils travaillaient du matin au soir.

Était-ce dur de garder le cap et d’éviter le relâchement quand la situation s’améliorait ?

Oui, c’était dur, surtout parce que cela s’étirait et que l’on ne s’imaginait pas qu’on allait passer plusieurs années dans cette situation. Et il y avait une certaine usure à un moment donné. Il y avait toujours des voix contre. Ce que l’on faisait, c’était soit trop, soit pas assez. À côté de la gestion de la crise, des inconnues sur les variants ou les vaccins, nous étions tout le temps sur la défensive politique. C’est usant, c’est lourd et une certaine fatigue s’installe, avec des moments où l’on se demande si cela va s’arrêter un jour.

En cours de route, on a aussi eu des procès. Ces attributions de marchés, qui sont à nouveau à la une maintenant, ont fait l’objet de procès que l’on avait à gérer en même temps. Très tôt, il y a eu un litige au tribunal contre l’attribution du marché du Large Scale Testing et tout cela mobilisait, à nouveau, les fonctionnaires.

Tous les fonctionnaires étaient débordés

À ce propos, comment vivez-vous les récentes critiques contre la gestion du Large Scale Testing (LST) à la suite d’un rapport de la Cour des comptes publié le 24 février dernier ?

Nous avons gagné en première instance et en appel. En 2021, il y a eu une plainte au niveau de la Commission européenne, dans le même contexte, dont la décision de 83 pages est venue en décembre 2024. Encore une fois, ce que l’on a pu faire au niveau des différentes attributions de marchés a été légitimé. Mais je me rends compte que les choses positives n’intéressent guère. Dès qu’il y a de petites critiques ou des failles, c’est cela qui intéresse et on parle moins des jugements qui donnent raison.

Certes, il y a des points de vue donnés par la Cour des comptes, mais il faut se replacer dans le contexte. Tous les fonctionnaires étaient débordés par l’action sur le terrain et nous avions à gérer énormément de choses qui ne faisaient pas du tout partie de nos attributions habituelles, comme mettre en place des centres de test, des hot-lines ou le tracing. Il y avait également la grande question des asymptomatiques, à savoir s’ils transmettaient le virus ou non. On devait prendre très rapidement une décision et c’est vrai que l’on prêtait un peu moins d’attention à la rédaction de procès-verbaux méticuleux, mais, ce qui compte pour moi, c’est l’État de droit. Nous n’avons pris aucune décision d’attribution de marché sans avoir l’avis préalable de la Commission des soumissions. Et les procès que l’on a eus dans ce contexte, nous les avons tous gagnés très clairement.

Est-ce que vous appréhendez un rapport et un débat à la Chambre sur ce sujet ?

Non, pas du tout. Je connais les procès qui ont été menés, les argumentaires qui ont été échangés, donc s’il y a un débat et un besoin de clarifier, je pense que cela est une bonne chose. C’est l’occasion de mettre dans le débat toutes les évaluations positives qu’il y a eues, parce qu’à côté des procès judiciaires, il y a également eu des évaluations du Large Scale Testing. J’avais demandé à un expert indépendant d’évaluer le LST 1 avant que je me lance dans le 2. Ces documents existent, donc un débat est une bonne chose si c’est un souhait d’apporter plus de transparence. Volontiers même.

Une ou deux fois, j’ai été sur le point de craquer

Parmi les tensions de l’époque, il y avait la question de la vaccination obligatoire à laquelle vous vous êtes toujours opposée.

Cela a été un des moments les plus difficiles auxquels j’ai été confrontée. À un moment donné, tout le monde était dans cette illusion qu’une obligation vaccinale arrêterait la pandémie du jour au lendemain. Comme une baguette magique. Les quelques pays qui ont essayé, comme l’Autriche ou l’Italie, ont abandonné cette idée très rapidement. Effectivement, c’était difficile de maintenir le cap, mais sans regret aujourd’hui.

Est-ce qu’il y a des matins où vous avez eu envie d’abandonner ?

Très rarement. Une ou deux fois, j’ai été sur le point de craquer, mais à cause des tensions politiques qui étaient brutales. On l’oublie, mais il y avait des tensions qui étaient quand même graves. Et c’est vrai que j’ai eu des moments de doute, mais très brefs. C’était, par exemple, pendant une heure durant laquelle je me disais : « Tu donnes tout, mais est-ce que tu as vraiment besoin de le faire?« . Puis, rapidement, je changeais d’avis.

Avez-vous l’impression que l’ombre du covid plane toujours au-dessus de votre nom ?

Malheureusement oui, le sujet me colle à la peau. C’est sans doute normal, puisque, quelque part, j’en suis devenue le visage. C’est une réalité. Il faut dire qu’historiquement, c’est quand même un passé récent. Chacun a encore un vécu par rapport à la pandémie, donc cela est toujours un sujet de discussion et quand je fais la connaissance de gens, ce sont souvent les premières questions que l’on me pose.

Quels enseignements avez-vous tirés de la pandémie ?

Pour moi, la pandémie a révélé que la solidarité existe. Pendant les premiers mois durant lesquels nous n’avions aucune protection et que nous ne savions pas ce qui nous attendait, il y avait quand même une très grande solidarité dans tous les secteurs. Moi, cela me laisse optimiste. Lorsque les temps sont graves, nous arrivons à rester solidaires.

Cela nous a également rendus humbles de voir ce qu’un seul virus peut faire à une société. Nous sommes vulnérables, il ne faut jamais oublier. C’est ce que je ramène avec moi pour l’avenir, car je ne suis pas du genre à ruminer sur le passé. Je ne l’oublie pas, je note beaucoup de choses, mais je ne suis pas rancunière envers le passé.

Repères

Formation. Paulette Lenert, 56 ans, est diplômée en droit privé et droit des affaires à l’université d’Aix-Marseille III en 1991. Elle obtient un master en droit européen à l’université de Londres en 1992.

Avocate et juge. Sa carrière juridique débute en tant qu’avocate au barreau de Luxembourg en 1992. Son expérience la conduit à intégrer le ministère de la Justice deux ans plus tard, en tant qu’attachée de justice, puis elle est nommée juge au Tribunal administratif en 1997, où elle exerce aussi la fonction de vice-président jusqu’en 2010.

Fonctionnaire. De 2010 à 2013, elle est premier conseiller du gouvernement auprès du ministre délégué à l’Économie solidaire et intègre, avec la même fonction, le ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative à partir de 2014. En janvier 2017, elle est chargée de direction à l’Institut national d’administration publique.

Gouvernement. À la suite des législatives de 2018, elle entre au gouvernement comme ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire et ministre de la Protection des consommateurs. Le 4 février 2020, elle devient ministre de la Santé et ministre déléguée à la Sécurité sociale. Tout en gardant ses portefeuilles ministériels, elle est nommée vice-Première ministre en janvier 2022.

LSAP. Membre du LSAP depuis 2018, elle est tête de liste nationale du Parti socialiste pour les élections législatives d’octobre 2023. Élue députée, elle prend également la fonction de vice-présidente du groupe parlementaire du LSAP, qu’elle occupe depuis novembre 2023.