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Patrick Dury : «L’avantage des discussions à trois, c’est fini»


«Les conclusions n'ont pas été tirées pendant ces réunions, mais elles ont été fixées après notre manifestation du 28 juin.» (Photos : archives lq/tania feller)

Patrick Dury, président du LCGB et coprésident de l’Union des syndicats OGBL et LCGB, revient sur les trois réunions consacrées à certains acquis sociaux menées avec le gouvernement. «Très compliquées», avec une ambiance «pas bonne du tout».

Pensez-vous avoir atteint le maximum de ce que l’Union des syndicats pouvait revendiquer lors de ces trois réunions entre partenaires sociaux ?

Patrick Dury : Il faut faire la part des choses entre le fond et la forme. Je pense que si, aujourd’hui, on a un certain résultat issu de ces trois réunions, c’est uniquement dû à l’engagement des deux organisations syndicales OGBL et LCGB, à notre excellente coopération renforcée au sein de l’Union des syndicats, et à la suite de la forte mobilisation des deux organisations lors de la manifestation du 28 juin. Maintenant, notre grand souci est que les discussions n’ont pas abouti à un accord. Vous savez que dans une tripartite on n’obtient jamais 100 % de nos revendications, c’est toujours un compromis. Je dois dire que le gouvernement, peut-être, a eu un peu peur de son propre courage et il a fait marche arrière sur plusieurs volets, notamment en ce qui concerne les conventions collectives.

Au niveau du travail dominical, cela se règlera aussi à travers des conventions collectives, c’est une de nos revendications, sauf pour les entreprises plus petites qui sont de moindre importance, en dessous de 30 salariés. Au niveau des heures d’ouverture des commerces, je pense que l’on a un peu plus de problèmes parce qu’on aurait aimé une fermeture à 20 h, maintenant le gouvernement va proposer 21 h mais ils avaient envisagé 22 h, c’est une légère avancée. Bon, au niveau du système de pension, on a réussi à maintenir le principe d’un départ à 57 ans après 40 ans de cotisations, ce qui était très important pour nous.

Au niveau des pensions, vous aviez d’autres revendications, comme la préretraite-ajustement…

La préretraite postée et la préretraite-ajustement sont aussi maintenues. On a toujours défendu le droit de partir plus tôt via la préretraite pour travail posté et travail de nuit, comme elle reconnaît la pénibilité de ces emplois. La préretraite-ajustement est tout aussi importante pour nous, comme il s’agit d’une mesure sociale. Dans le cas, par exemple, de plans de maintien dans l’emploi ou de plans sociaux qui entraînent une diminution des effectifs, on doit trouver une sortie socialement acceptable pour éviter que des gens d’un certain âge se retrouvent au chômage.

Finalement, il y aura une augmentation des cotisations, comme l’Union des syndicats l’avait revendiquée. Des discussions ont-elles eu lieu sur le reste de vos propositions ?

Non, on n’a jamais eu une véritable négociation sur les propositions des organisations syndicales. Le principe de la solidarité joue, c’est une revendication de l’Union des syndicats OGBL-LCGB, mais nous avions proposé d’autres pistes dans un document de 130 pages. Nous avons eu de légères discussions au cours des trois réunions, mais selon moi, les conclusions n’ont pas été tirées pendant ces réunions, mais elles ont été fixées après notre manifestation du 28 juin, dont le succès a fait rétropédaler le gouvernement.

Au cours de votre longue carrière, vous avez participé à de nombreuses tripartites et négociations entre partenaires sociaux avec les gouvernements successifs. Avez-vous noté un changement dans la manière de mener les discussions ?

Je dois dire qu’aujourd’hui on constate que notre modèle tripartite touche à sa fin, avec un grand changement de paradigme au niveau de l’approche du gouvernement. On est dans une optique de consultation et puis de décision. Cette approche ne nous permet plus d’avoir des accords. Les résultats obtenus seront le fruit d’une forte mobilisation et si, naturellement, je me réjouis, d’un côté, qu’on ait des organisations syndicales fortes, qui ont une bonne coopération, je dois dire que, d’un autre côté, je constate avec regret que l’avantage de ce pays, l’avantage des discussions à trois, l’avantage de trouver un compromis, c’est fini.

Le Premier ministre nous en a donné la preuve, mercredi, et cela aura des répercussions sur notre travail. Les trois réunions que nous avons eues ont été très compliquées, très difficiles. L’ambiance n’était pas bonne du tout, surtout l’ambiance entre les partenaires sociaux. Le gouvernement avait fait trop de promesses au patronat qu’il n’a pas pu tenir, du fait de la mobilisation des organisations syndicales. Cela a entraîné des frustrations énormes.

Sans cette Union des syndicats, on se serait réveillés ce matin (NDLR : jeudi) dans un autre pays

Lors de la réforme des pensions en 2012, il n’y avait pas eu de compromis non plus à l’époque…

Non, on n’a pas trouvé de compromis, justement parce qu’on avait déjà d’autres réflexions, d’autres pistes de financement alternatives. Nous avons toujours dit qu’au lieu de se fixer maintenant sur des projections de 40 ou de 50 ans, il faudrait évaluer la situation sur un intervalle plus court de 5 à 10 ans afin de prendre en temps utile les bonnes décisions pour renforcer et pérenniser notre système d’assurance pension. Si, en 1980, on avait suivi les prédictions des différentes projections, alors en 2000, ou plus tard, 2010-2020, on aurait dû être en faillite totale. C’est le contraire qui s’est produit.

Il est prévu de rediscuter de l’avenir des pensions en 2030 alors que le patronat alerte déjà sur la dégradation de l’économie du pays et sa faible croissance. Êtes-vous sensible à cet argument ?

On est sensible à cet argument, puisque l’on a dit, en tant qu’organisation syndicale, qu’il est indispensable de rediscuter tous les cinq ans. On est maintenant dans une situation où la croissance économique n’est pas la meilleure, mais je dois quand même constater qu’on a eu déjà d’autres crises dans ce pays. Le Premier ministre a quand même fanfaronné partout qu’il allait tout faire pour redynamiser l’économie et résoudre le problème du logement. Si on était dans une véritable crise, on utiliserait l’instrument qu’on a appelé un jour tripartite. Mais ce gouvernement n’en voulait pas.

Le président de l’UEL a déclaré que les syndicats se tiraient une balle dans le pied en exigeant l’exclusivité dans les négociations relatives aux conventions collectives, car, selon lui, cela ne va pas encourager les entreprises à en signer. Que lui répondez-vous ?

Qu’il crée un problème artificiel. L’idée initiale du ministre du Travail et du patronat, c’était surtout de passer par des accords d’entreprise sans les organisations syndicales, sans rapport de force. On aurait poussé les organisations syndicales en dehors des entreprises. Un représentant de l’UEL a clairement dit au cours des discussions que leur but n’était pas seulement de faire des accords d’entreprise sans les organisations syndicales, mais aussi d’interpréter à leur façon le droit du travail. Je rappelle que si, d’un côté, on a 55 % d’entreprises qui bénéficient d’une convention collective, pour les autres, on a quand même le salaire minimum et un code du travail qui n’est peut-être pas parfait, mais qui couvre l’essentiel. Deux éléments pour lesquels les organisations syndicales se sont toujours fortement engagées.

Le gouvernement va maintenant présenter des amendements à la Chambre des députés à la suite des décisions prises à l’issue des trois rencontres. Avez-vous des entretiens avec les différentes fractions ?

Cela fera partie de notre nouvelle façon de travailler puisque la culture du compromis n’existe plus. On devra, sans nul doute, s’entretenir beaucoup plus régulièrement avec les fractions au sein de la Chambre des députés. Pour prendre l’exemple des pensions, il faut que chaque parti soit très clair sur ses intentions et ses positions. On aura de nouvelles élections en 2028 avec une campagne électorale qui ne pourra pas faire l’impasse sur le sujet des pensions. Et là, tous les partis doivent naturellement se positionner. Mercredi, le ministre Xavier Bettel a bien souligné qu’aucun des deux partis du gouvernement n’avait de mandat dans ce sens. Une réforme des pensions ne figurait dans aucun programme en 2023.

L’union syndicale entre l’OGBL et le LCGB est-elle appelée à perdurer? Est-il possible d’envisager une fusion des deux syndicats ?

Premièrement, si on a eu aujourd’hui un résultat à l’issue des discussions, c’est bien une conséquence de cette collaboration, de cette coopération renforcée, structurée au niveau de l’Union des syndicats OGBL et LCGB. Cette union est née pour rester. Ce n’est pas un élément éphémère ou transitoire, non. Je pense qu’avec les temps qui ont changé, l’union a chaque jour un peu plus de raisons d’exister. Je ne peux dire aujourd’hui jusqu’à où ça va aller.

Je peux juste vous dire que c’est un processus dynamique. Nous avons commencé à coopérer sur le sujet des pensions, ensuite au niveau du front syndical, et nous nous retrouvons aujourd’hui sur un très bon chemin. J’ai aussi eu le feedback de ma coprésidente, Nora Back, présidente de l’OGBL, et je pense qu’on est tout à fait satisfaits, et conscients que sans cette Union des syndicats, on se serait réveillés ce matin (NDLR : jeudi) dans un autre pays.

«On n’a jamais eu une véritable négociation sur les propositions des organisations syndicales.»

Que dites-vous aux travailleurs qui vont prendre l’année prochaine une retraite anticipée? Qu’un mois de plus de cotisation ce n’est pas si grave ?

D’abord, je peux dire aux gens qui ont 40 années de cotisation qu’ils peuvent toujours partir à la retraite à partir de 57 ans. C’est une question essentielle pour nous. Je pense que, de toute façon, les gens qui sont entrés sur le marché du travail plus tard, vu que les jeunes font beaucoup plus d’études, devront prendre une décision concernant le bon moment pour partir en pension, par rapport au montant qu’ils percevront. Notre système de pension est basé sur une carrière d’assurance de 40 ans. Le gouvernement encourage à investir dans des pensions complémentaires, le fameux troisième pilier. Mais ce gouvernement qui rechigne à dépenser un euro de plus dans le système des pensions, n’a aucun remords à accompagner fiscalement ce type d’investissements que peut juste se permettre une partie plus aisée du salariat.

C’est un sujet qui devra encore être discuté ?

Inévitablement. Mais cette question est en suspens et on doit encore trouver des réponses. Je vois mal comment les gens avec des petits salaires vont financer deux pensions complémentaires dans un ménage. Malheureusement, le fait de ne pas pouvoir négocier sur nos propositions, nos réflexions, ne nous permet pas de donner une réponse. Ce que nous avons obtenu pour l’instant, c’est la garantie d’une retraite après 40 ans de cotisation, l’accès à une pension anticipée pour ceux qui ont un travail posté ou travail de nuit et le maintien de la préretraite-ajustement pour les salariés âgés qui sont dans une entreprise qui connaît des problèmes économiques. Il faut savoir que les organisations syndicales ne se sont jamais opposées au principe de pouvoir travailler plus longtemps, sur une base volontaire.

Repères

État civil. Patrick Dury est né à Esch-sur-Alzette le 20 avril 1965, il est domicilié à Differdange. Il est marié et père de deux enfants.

Profession. En 1989, il a commencé sa carrière professionnelle comme superviseur de production, puis comme ingénieur process auprès de la société Luxguard de Bascharage. De 1990 à 1998, il a été ingénieur-technicien au service Laminoirs de la société ARBED au site de Schifflange.

Syndicaliste. Depuis 1998, Patrick Dury est secrétaire syndical auprès du LCGB. Avant de devenir secrétaire général, il a été responsable pour la fédération des banques et assurance (LCGB-FEBA), il a été en charge de l’Association luxembourgeoise des pilotes de ligne et des sociétés de l’aéroport (ALPL) et en 2000 il est devenu secrétaire syndical pour la sidérurgie (LCGB-SESM).

Président. Le 18 novembre 2011, Patrick Dury a été élu comme président national du LCGB. Patrick Dury est membre effectif du LCGB à l’assemblée plénière de la Chambre des salariés (CSL) et a également été nommé vice-président de la CSL en 2019.

Coprésident. En juin dernier, les deux syndicats OGBL et LCGB fondent une Union des syndicats qu’il copréside avec Nora Back, présidente de l’OGBL. Cette structure fait front contre toute attaque du gouvernement contre les droits des salariés et pensionnés.