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Parti pirate : «On est devenu un supermarché politique»


«Luc Frieden ne dispose pas vraiment de plateformes pour se profiler. Cela est très compliqué, surtout lorsque l’on sait que Xavier Bettel est une véritable machine lors des campagnes électorales», prédit Marc Goergen. (photos Julien Garroy)

Le Parti pirate se voit capable de former des coalitions, sur les plans communal et national, avec les quatre grands partis du pays. Le coordinateur Marc Goergen évoque le profil, les ambitions et les propositions de la formation qui avait créé la surprise aux législatives de 2018.

Personne ne les avait vus venir. Aux élections législatives de 2018, les pirates avaient décroché deux sièges de député. À présent, le parti est crédité de 10 % des suffrages dans les plus récents sondages. L’objectif pour le scrutin communal du 11 juin est clair : créer une base solide afin de sortir également comme un des gagnants des urnes aux élections nationales du 8 octobre. Marc Goergen, le coordinateur politique et député sudiste, évoque les arguments qui doivent ouvrir les portes du pouvoir au Parti pirate.

Votre parti présentera aux élections du 11 juin un total de 218 candidats dans 27 communes. Au vu de ces chiffres, peut-on affirmer que les pirates, qui sont dotés de deux députés depuis 2018, sont désormais solidement ancrés dans le paysage politique luxembourgeois ?

Marc Goergen : Si l’on parvient à convaincre plus de 200 candidats de se présenter sous la bannière des pirates, cela démontre que nous sommes bien ancrés dans le monde politique. Notre parti est celui qui se situe désormais entre les quatre grandes formations (NDLR : DP, LSAP, déi gréng, CSV) et les deux plus petites, qui sont l’ADR et déi Lénk. Un parti qui se retrouve dans cette position, cela n’existait pas dans l’histoire récente du Luxembourg. Les sondages le confirment. Peu importe si l’on décroche aux législatives cinq, six ou même sept sièges de député. Cet ordre de grandeur, l’évolution du nombre de membres et la perception du parti depuis l’extérieur permettent d’affirmer que l’on se distingue clairement des deux autres petits partis. On est toutefois encore très loin des quatre grands.

Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette dynamique qui a gagné le Parti pirate ?

Il ne s’agit pas seulement de raisons politiques. Nous ne défendons pas des positions qui sont tellement extraordinaires, qui feraient qu’il faut voter ou rejoindre le Parti pirate pour soutenir ces thématiques. On est même devenus un peu softs. Un rééquilibrage est nécessaire. Mais ce qui nous démarque, c’est la bonne ambiance qui règne en interne. Le travail abattu à la Chambre a fait que nous avons reçu beaucoup d’attention. Nos initiatives pragmatiques et nos prises de parole, très variées, ont visiblement plu aux gens.

Quel est aujourd’hui le profil des membres et candidats de votre parti ?

Ce qui nous a énormément surpris est d’avoir pu recruter beaucoup de personnes de 50 ans et plus. Auparavant, les pirates étaient surtout populaires auprès des jeunes électeurs. Ce gain d’attractivité auprès de gens plus âgés s’explique aussi par notre travail parlementaire. Nous avons une vue d’ensemble sur tout ce dont on a besoin pour mener une vie décente. Quelque part, on est devenu un supermarché politique.

Justement, ce concept de supermarché, où chacun peut trouver chaussure à son pied, fait que vos concurrents et certains observateurs affirment ne pas vraiment savoir quel est le positionnement du Parti pirate. Cette critique est-elle justifiée ?

On n’est ni de gauche ni de droite. Notre parti ne se situe pas dans un bord ou l’autre. On délaisse ces positions aux autres. Nous, on se voit plutôt au centre. Si on se retrouve au milieu de la société et qu’on propose des solutions aux problèmes des gens, cela est un indice que nous sommes bien un parti centriste. Sur le plan aussi bien local que national, on pourrait certainement travailler avec les quatre grands partis, même si déi gréng sont plus réticents à cette idée. C’est aussi cette compatibilité qui nous différencie des deux autres petits partis.

Vous visez donc bien une entrée au gouvernement après les élections législatives du 8 octobre ?

Si on investit autant d’énergie pour faire de la politique, c’est bien pour pouvoir intégrer une coalition gouvernementale ou un collège échevinal. On peut avoir les plus belles idées, mais cela ne sert pas à grand-chose si on ne peut pas les mettre en œuvre. Notre objectif est donc clairement de décrocher des postes à responsabilité lors des deux scrutins à venir. Nous voulons entrer au gouvernement pour réaliser nos idées. Cela commence par les communales. Historiquement, chaque parti a d’abord fait ses preuves au niveau local. Le seul désavantage cette année, c’est que les deux élections ont lieu dans un délai de quelques mois à peine. La confiance mutuelle entre partis ne peut pas être forgée comme ce serait le cas au bout de deux ou trois années de coopération dans les communes.

Les pirates peuvent-ils devenir faiseurs de rois, sachant qu’une coalition à trois partis semble inévitable ? Le CSV souhaite, lui, retrouver un gouvernement formé par deux partis.

Je comprends l’arrogance affichée par le CSV. Ils pensent revenir avec une force si grande qu’elle leur permettra de pouvoir s’allier à un seul autre parti. Mais je doute fortement que le résultat qui sortira des urnes autorisera un tel scénario. Il ne faut pas oublier que Luc Frieden ne dispose pas vraiment de plateformes pour se profiler. Il est un deuxième Frank Engel, qui, dépourvu de mandat politique, veut réussir à faire bouger les choses. Cela est très compliqué, surtout lorsque l’on sait que Xavier Bettel est une véritable machine lors des campagnes électorales. Paulette Lenert va aussi avoir des difficultés à s’imposer face à lui.

Au niveau local, vous visez à obtenir au moins un siège dans chacune des 27 communes où se présentent des candidats du Parti pirate. S’agit-il d’un objectif réalisable ?

Dans chaque commune, la situation se présente autrement. Or si vous êtes crédités de 10 % des suffrages dans les sondages sur le plan national, l’ambition doit être d’intégrer le conseil communal partout où des pirates se présentent. Il existe bien des communes que nous ciblons plus particulièrement. C’est le cas à Pétange, où nous avons deux conseillers sortants. Doubler le nombre de sièges serait un énorme résultat. À Differdange, le scrutin sera très serré. Avec un ou deux sièges, nous pourrions intégrer directement le collège échevinal. Car si le CSV veut prendre le siège de bourgmestre à déi gréng, il lui faudra former une coalition avec le LSAP et le Parti pirate. Ils ne vont certainement pas s’allier à l’ADR ou à Fokus. La même chose vaut pour Esch-sur-Alzette, où le CSV s’entend bien avec le DP, mais beaucoup moins avec les verts. Si on décroche un siège, cela pourrait s’avérer suffisant pour aider le CSV à écarter déi gréng.

Il ne sert à rien de jeter de la poudre aux yeux en revendiquant la création illusoire d’une police communale

Qu’en est-il de la ville de Luxembourg ?

Tout d’abord, je citerais encore Remich où le bourgmestre sortant (NDLR : Jacques Sitz, DP) cherche depuis un certain temps déjà à s’allier aux pirates. Il remarque que l’on gagne sans cesse en popularité. En 2017, notre parti est déjà arrivé premier dans les suffrages de listes. Si on termine en deuxième ou troisième position, on pourrait intégrer le collège échevinal.

À Luxembourg, par contre, il sera bien plus compliqué d’obtenir un siège. Toute l’attention se focalise sur les très grands avec le duel qui s’annonce entre Lydie Polfer et Serge Wilmes. Le DP pourrait néanmoins avoir un problème avec la candidature de Corinne Cahen. Nous entendons que des électeurs soutenant la bourgmestre sortante préfèrent ne plus voter pour le DP par crainte de voir Lydie Polfer céder au bout de deux ans le poste de bourgmestre à Corinne Cahen. Ils préfèrent alors voter CSV.

«Ce qui nous a énormément surpris est d’avoir pu recruter beaucoup de personnes de 50 ans et plus», affirme Marc Goergen. Photos : julien garroy

Dans votre programme-cadre pour les élections communales, on retrouve des thématiques que tous les autres partis vont aussi défendre. On peut citer l’environnement, le logement ou la mobilité. Mais quelle est votre position sur la sécurité intérieure, un des grands sujets qui marquent cette campagne ?

Globalement, nous proposons d’autres solutions à ces problématiques. Il ne sert cependant à rien de jeter de la poudre aux yeux en revendiquant la création illusoire d’une police communale. Nous voulons que la police grand-ducale soit enfin dotée des moyens dont elle a besoin, notamment dans la digitalisation. Il n’est plus tenable qu’après une arrestation, un agent passe quatre heures au commissariat pour écrire son rapport. Du personnel administratif doit être recruté.

Ensuite, il faut implanter des commissariats de police, occupés 24 h/24, là où la criminalité est importante. Nous revendiquons par exemple un commissariat aux trois frontières entre le Luxembourg, la France et la Belgique, dans les environs de Pétange ou Rodange. Des structures supplémentaires doivent être créées partout dans le pays. Et, nous plaidons pour maintenir le recrutement de 200 nouveaux policiers par an. Dans ce contexte, il faudrait aussi revaloriser l’armée en créant des passerelles afin de permettre aux soldats d’entamer plus facilement une carrière dans la police ou dans le CGDIS. Les trois corps sont d’ailleurs à mettre sous la tutelle d’un seul ministère.

L’autre point de préoccupation majeur est le logement. Comment voyez-vous le rôle des communes dans la lutte contre cette crise ?

Une détente du marché ne peut être atteinte que si l’État et les communes construisent, avec le concours du secteur privé, des logements qui peuvent être loués pour 10 euros le mètre carré. Nous avons aujourd’hui l’occasion énorme d’acquérir au prix de construction les logements que les promoteurs privés n’arrivent plus à vendre. Les communes pourraient passer par une agence immobilière sociale pour attribuer ces logements. Progressivement, d’autres partis nous suivent dans cette idée. Nous voulons aussi une loi spécifique, comme en Suisse (NDLR : Lex Koller), qui interdit aux investisseurs étrangers de racheter des logements avec pour seul but de faire d’importants bénéfices dessus.

Une autre spécificité des pirates est la large consultation de ses membres pour établir les programmes et positions. Ce principe doit-il être étendu à la politique communale*? 

Les citoyens devraient pouvoir proposer des référendums sur différentes thématiques, par exemple une fois par an. Un nombre prédéfini de signatures doit être atteint pour obtenir un tel référendum. Nous voulons aussi que la retransmission en ligne des réunions du conseil communal soit généralisée. Un autre point est de pouvoir solliciter les édiles ou faire inscrire un point à l’ordre du jour du conseil communal, toujours sur la base d’un nombre prédéfini de signatures. L’ensemble de la démocratie locale doit s’orienter selon le principe d’une politique du bas vers le haut. Nous proposons de mettre en place un conseil citoyen composé de gens issus de la société civile.

Au vu du délai très court entre les élections communales et l’échéance des législatives, faut-il s’attendre à ce que vos thèmes phares sur le plan local deviennent aussi des priorités de votre campagne nationale ?

Notre programme électoral pour les législatives est en train d’être discuté dans des groupes de travail. Il sera probablement présenté vers la fin août. On ne sait pas encore vraiment comment les choses vont évoluer et quels seront les grands thèmes en octobre. Imaginons que les taux d’intérêt grimpent encore. La discussion sur le logement sera toujours une des priorités, mais elle se présentera différemment. Il est dès lors difficile de définir d’ores et déjà les grandes thématiques de la campagne nationale. Tout peut changer si vite. Néanmoins, une de nos forces est de pouvoir s’adapter rapidement à une nouvelle situation.

* L’entretien a été réalisé mercredi, à la veille de la présentation des plans de la ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding, en matière de renforcement de la participation citoyenne dans les communes.