Dans une tribune, l’eurodéputé Édouard Martin prône la création de grands groupes pour assurer la pérennité de l’industrie européenne. Pour cela, la Commission européenne doit accepter les concentrations.
Édouard Martin est député européen au sein du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates. Ancien syndicaliste dans la sidérurgie, âgé de 54 ans, il avait mené le combat contre la fermeture des derniers hauts-fourneaux lorrains, sur le site ArcelorMittal de Florange. Élu au Parlement européen en 2014 sous les couleurs du Parti socialiste français, le Lorrain s’engage pour le développement d’une politique industrielle européenne.
«Les pouvoirs publics français ont lancé dans la même semaine deux opérations majeures de politique industrielle en pilotant la fusion-absorption entre Siemens Mobility et Alstom Transport et celle des chantiers de l’Atlantique avec Fincantieri. Ces deux rapprochements sont opérés en invoquant la nécessaire coopération européenne, pour faire face à la concurrence chinoise sur le marché mondial.
Une telle approche, fondée sur la recherche, au niveau européen, de la taille critique indispensable pour faire face à la concurrence mondiale, correspond sans aucun doute aux réalités industrielles de ce début de XXIe siècle : elle mérite donc d’être prise en compte.
Par contre, dans les deux cas, c’est avec raison que l’analogie évoquée avec Airbus a unanimement été rejetée, car Airbus est un projet qui a été mené à l’initiative d’un nombre limité d’États européens avec une gouvernance partagée, deux dimensions qui n’existent pas dans les deux fusions-absorptions proposées en 2017.
Ainsi selon les gouvernements français, allemand et italien, soit trois pays fondateurs de l’Union européenne, la question stratégique qui se pose aujourd’hui aux industriels européens est celle de la projection de la souveraineté européenne à l’échelle du monde par le dépassement des souverainetés nationales qui deviennent trop étroites face aux géants mondiaux que sont les États-Unis, la Chine ou l’Inde.
Redéfinition de la politique industrielle
En ce sens, la nouvelle doctrine de la concurrence à laquelle les gouvernements européens font appel s’inscrit dans le prolongement des négociations commerciales récentes et à venir entre grands ensembles où la question des normes est primordiale. Mais comment présenter et défendre une norme industrielle européenne sans référence unique produite par un acteur européen dominant?
L’Europe permettrait la création de champions européens pour faire face à la concurrence chinoise et plus largement extra-européenne, mettant fin à une opposition de la Commission européenne qui luttait jusqu’à maintenant contre les concentrations au nom de la concurrence sur le marché unique européen et de la priorité donnée au consommateur.
Ces deux opérations Alstom Siemens et STX Saint-Nazaire et Fincantieri Trieste signent ainsi une tentative de redéfinition de la politique industrielle en Europe, qui prend en compte la mondialisation
Le marché mondial comme référence
Dans mon rapport pour le Parlement européen intitulé Développer une industrie européenne durable des métaux de base 1, j’ai écrit : «Pour les secteurs soumis à une concurrence mondiale, le Parlement européen demande que, lorsqu’elle définit les marchés géographiques pertinents dans ses analyses et ses comparaisons, la Commission européenne prenne le marché mondial comme marché de référence et ne limite pas son analyse au seul marché intérieur»; demande «qu’une étude d’impact sur les capacités de production, intégrant notamment les usines et les emplois, soit réalisée avant qu’une décision ne soit prise par la DG Concurrence de la Commission, et que ses conclusions soient intégrées dans la publication finale qui sera remise aux parties prenantes»2.
En effet, aucun doute n’est permis, les nouveaux groupes industriels issus de ces deux opérations de concentration vont se trouver dans une position dominante sur le marché intérieur européen, l’un sur les équipements ferroviaires de signalisation et les matériels roulants, l’autre sur les bateaux de croisière.
Responsabilité sociale et environnementale
Et si la direction de la Concurrence accepte cette nouvelle configuration, les conséquences seront multiples pour de nombreux secteurs et en premier lieu dans le secteur des métaux de base où la sidérurgie européenne est actuellement engagée dans deux opérations de concentration majeures qui transformeront le paysage industriel et commercial du secteur comme sa gouvernance sociale.
ArcelorMittal pourra dès lors absorber Ilva, Thyssenkrupp s’allier avec Tata Steel sans tomber sous les foudres de la direction de la Concurrence de la Commission européenne car là aussi la taille critique sera atteinte pour faire face à la concurrence chinoise. La page Terni, du nom de la localité italienne qui s’est mobilisée pour sauver son aciérie mise dans une position stratégique intenable pour cause de position dominante sur le marché européen, alors que les aciers chinois envahissaient le monde entier, sera ainsi tournée.
Toutefois, dans ce nouveau paysage concurrentiel où les groupes industriels acquièrent des dimensions leur conférant une énorme puissance économique et stratégique, il devient nécessaire d’envisager des rapports équilibrés dans une vision démocratique plus large et renouvelée. Elle doit s’inscrire dans le rapport que ces multinationales entretiennent avec les territoires. Ceci à tous les échelons, en permettant la mise en place d’un cadre de droit étendu avec une effectivité réelle fondée sur le respect d’un droit social, environnemental et de santé publique.
Il est alors indispensable de repenser et réformer leur gouvernance, afin d’y associer pleinement toutes les parties prenantes, par la définition claire de l’entreprise (de son évolution), de la chaîne de valeur comme au niveau local, afin que leur responsabilité économique soit indissociable des dimensions sociales et environnementales de leurs activités.»
Édouard Martin
1. Adopté au mois de décembre 2015.
2. Article 26 du rapport «Développer une industrie européenne durable des métaux de base».