L’incarcération récente d’un mineur avec des adultes a provoqué la gronde de l’ASBL «Eran, Eraus… an elo?», qui lutte depuis des années afin que cette pratique, bien que décriée, cesse.
En réaction à l’incarcération provisoire au centre pénitentiaire de Luxembourg, à Schrassig, d’un des deux mineurs soupçonnés d’avoir tué un homme à Esch-sur-Alzette le 1er janvier dernier, l’ASBL «Eran, Eraus… an elo ?» a organisé une conférence de presse ce mercredi. L’objectif : «dénoncer une longue série de violations flagrantes des droits fondamentaux de l’enfant dans notre pays». Pour Grégory Fonseca, cofondateur de l’ASBL, il s’agit d’une pratique inacceptable qui doit cesser d’urgence.
Quelle a été votre réaction à l’annonce du placement provisoire à Schrassig d’un des deux mineurs ?
Grégory Fonseca : J’étais fâché car depuis plus de 30 ans, nous savons que le Luxembourg a une problématique avec ce sujet et que, malgré des obligations internationales, nous ne cessons d’incarcérer des mineurs dans des prisons pour adultes. Ma première réaction était aussi l’incompréhension.
Comment cela peut-il encore se produire, après 30 années durant lesquelles nous avons été avertis par différents organes internationaux, comme le comité européen pour la Prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ou le comité des Nations unies des droits de l’enfant (CRC) ?
D’après la convention des Nations unies, on est enfant jusqu’à l’âge de 18 ans. La place d’un des deux mineurs n’est donc pas dans une prison pour majeurs. Elle n’est pas construite pour accueillir des mineurs, ce n’est pas une place adéquate pour faire évoluer et éduquer un enfant. Il y a urgence afin de ne plus enfermer des mineurs avec des adultes!
Vous avez également mis l’accent sur la présomption d’innocence de ces deux mineurs. Pourquoi ?
Parce que la presse a été un peu rapide à dire que les deux mineurs avaient tué leur père, alors qu’il y a une enquête en cours, que l’on ne sait pas si c’était les deux mineurs ou un seul. Mettre dans les titres que c’était deux mineurs qui ont poignardé leur père, c’est accusateur.
Et puis, maintenant, tout le Luxembourg pense que deux enfants mineurs ont poignardé leur père. C’est l’image qui est transmise et donc la société veut les voir en prison. Nous sommes d’accord sur le fait qu’un enfant ou n’importe quelle personne qui commet un meurtre doit être puni. Mais la question est : comment punir cette personne ? En tout cas, pour un mineur, ce n’est pas d’être enfermé avec des adultes.
Les solutions, elles sont à portée de main
Comment expliquez-vous que les deux mineurs n’aient pas été placés à l’Unisec, une unité fermée pourtant conçue pour les mineurs ?
Apparemment, les deux ont été séparés pour la sécurité des autres mineurs, puisqu’à l’Unisec, il ne serait pas possible de séparer deux prévenus – deux enfants – d’une même affaire. Là est la problématique. Il a fallu 25 ans pour construire cette prison et on a construit une prison qui n’est pas adéquate, qui n’est pas à la hauteur des demandes.
Actuellement, nous n’avons pas de bâtiment adéquat ni d’infrastructure qui répondent à ces besoins. Pour y remédier, il y a un projet de loi qui a été déposé en 2022 et qui doit être voté au plus vite afin de construire une nouvelle prison à côté de l’Unisec.
L’emprisonnement de mineurs avec des adultes est une pratique critiquée par maintes voix au Luxembourg. Alors, pourquoi est-ce que rien ne change ?
C’est une bonne question. Je ne suis pas dans la tête des autres mais je ne pense pas que le choix de la facilité soit une excuse, puisque ailleurs en Europe, comme en Allemagne ou dans les pays scandinaves, la prise en charge des prévenus mineurs fonctionne. C’est de l’inertie, de l’incompétence.
Il y a des réponses dans les rapports du CPT, il y a des milliers de gens qui s’occupent de cette problématique au sein des Nations unies, au niveau de l’Union européenne. Les solutions, elles sont à portée de main. Encore faut-il les exercer.
L’Unisec, pas une punition
Le Centre socio-éducatif de l’État (CEE) est un établissement public, présent à Dreiborn, Schrassig et Bourglinster, chargé d’aider des jeunes pris en charge sur décision du juge de la jeunesse. Parmi les différents services se trouve à Dreiborn l’Unité de sécurité, appelée Unisec. Il s’agit d’une structure «conceptuellement similaire» à «une mesure privative de liberté avec prise en charge dans un cadre fermé».
L’Unisec, qui peut accueillir 12 mineurs, est destinée aux «comportements déviants impliquant des délits à caractère pénal». D’une durée moyenne de 4 mois, le séjour doit offrir une scolarisation, un soutien orthopédagogique et socioémotionnel, ainsi que de l’aide thérapeutique. La protection et le projet pédagogique sont l’essence de l’Unisec, «et non pas le caractère punitif» d’après les mots du CEE.
Après 30 ans de critiques, enfin une loi ?
Après des années d’observations des instances internationales, du Parquet général et de l’Ombudsman, une loi doit être votée afin d’interdire l’incarcération des mineurs avec des adultes.
Lors de sa première visite au centre pénitentiaire de Luxembourg (CPL) en 1993, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) signale déjà l’hébergement de détenus mineurs. Cette critique perdure ensuite au fil des visites, en 1998, 2004, 2010, jusqu’à ce qu’en 2015, le CPT «appelle les autorités luxembourgeoises à ouvrir l’unité de sécurité située à Dreiborn dans les plus brefs délais».
La paralysie
Bien que l’Unisec voit enfin le jour en 2017, le bilan de la nouvelle visite du CPT six ans plus tard n’est pas tout rose. Pour cause, la législation luxembourgeoise permet encore d’incarcérer des mineurs avec des adultes, ce qui reste le cas aujourd’hui. Pourtant, dès 1997, le Parquet général se positionnait via l’avocat général Pierre Schmit. Ce dernier déclarait que «le CPL n’est ni en mesure de prendre correctement en charge ces jeunes […], ni de le faire dans des conditions décentes.»
Son successeur, Claude Nicolay, se réjouit, lui, de l’approbation pour construire l’Unisec, dès 1998, déclarant qu’«il n’y aurait plus de mineurs à Schrassig.» En 2002, le procureur général d’État, Jean-Pierre Klopp, critique ceux qui envisagent de maintenir des mineurs au CPL, car cela «reviendrait à perpétuer, au Luxembourg, une violation des dispositions de la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant». Pour autant, aucune législation l’interdisant n’a vu le jour entre-temps.
Un projet de loi depuis 2022
L’Ombudsman, elle aussi, s’était ouvertement positionnée contre cette pratique. En 2018, Claudia Monti affirmait qu’il n’existait plus aucune justification pour maintenir les placements de mineurs au CPL et exhortait le gouvernement «à mettre fin» à cette possibilité. L’OKaJu, par la voix de Charel Schmit, était du même avis.
Finalement, leurs revendications semblent avoir été entendues quelques années plus tard, puisqu’un projet de loi a été déposé en 2022. Ce dernier prévoit explicitement que les mineurs prévenus ou condamnés ne peuvent plus être placés dans un centre pénitentiaire pour adultes. En cas d’adoption, il s’agirait donc d’une victoire au forceps pour un sujet qui, pourtant, semble avoir mis tout le monde d’accord depuis presque 30 ans.
Après des années d’observations des instances internationales, du Parquet général et de l’Ombudsman, une loi doit être votée afin d’interdire l’incarcération des mineurs avec des adultes.
Lors de sa première visite au centre pénitentiaire de Luxembourg (CPL) en 1993, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) signale déjà l’hébergement de détenus mineurs. Cette critique perdure ensuite au fil des visites, en 1998, 2004, 2010, jusqu’à ce qu’en 2015, le CPT «appelle les autorités luxembourgeoises à ouvrir l’unité de sécurité située à Dreiborn dans les plus brefs délais».
La paralysie
Bien que l’Unisec voit enfin le jour en 2017, le bilan de la nouvelle visite du CPT six ans plus tard n’est pas tout rose. Pour cause, la législation luxembourgeoise permet encore d’incarcérer des mineurs avec des adultes, ce qui reste le cas aujourd’hui. Pourtant, dès 1997, le Parquet général se positionnait via l’avocat général Pierre Schmit. Ce dernier déclarait que «le CPL n’est ni en mesure de prendre correctement en charge ces jeunes […], ni de le faire dans des conditions décentes.»
Son successeur, Claude Nicolay, se réjouit, lui, de l’approbation pour construire l’Unisec, dès 1998, déclarant qu’«il n’y aurait plus de mineurs à Schrassig.» En 2002, le procureur général d’État, Jean-Pierre Klopp, critique ceux qui envisagent de maintenir des mineurs au CPL, car cela «reviendrait à perpétuer, au Luxembourg, une violation des dispositions de la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant». Pour autant, aucune législation l’interdisant n’a vu le jour entre-temps.
Un projet de loi depuis 2022
L’Ombudsman, elle aussi, s’était ouvertement positionnée contre cette pratique. En 2018, Claudia Monti affirmait qu’il n’existait plus aucune justification pour maintenir les placements de mineurs au CPL et exhortait le gouvernement «à mettre fin» à cette possibilité. L’OKaJu, par la voix de Charel Schmit, était du même avis.
Finalement, leurs revendications semblent avoir été entendues quelques années plus tard, puisqu’un projet de loi a été déposé en 2022. Ce dernier prévoit explicitement que les mineurs prévenus ou condamnés ne peuvent plus être placés dans un centre pénitentiaire pour adultes. En cas d’adoption, il s’agirait donc d’une victoire au forceps pour un sujet qui, pourtant, semble avoir mis tout le monde d’accord depuis presque 30 ans.