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Carole Thoma : «Nous sommes quand même dans un État de droit !»


«Le pays est composé à 50 % de non-Luxembourgeois et, dans quelques années, ce sera une minorité qui décidera pour une majorité.»

Carole Thoma incarne la nouvelle génération de déi Lénk. Porte-parole du parti, elle dénonce avec virulence les dérives observées dans les narratifs de l’extrême droite mais aussi des partis démocrates qui, face au populisme, «ne savent pas comment réagir».

Vous avez décidé de porter plainte après un commentaire menaçant d’un membre de l’ADR qui appelait à poignarder les gens de gauche. Il a depuis démissionné du parti. Vous avez dit « ça suffit! » ?

Carole Thoma : Oui, parce que le commentaire était sous un article avec ma photo dans lequel je critiquais les propos du député Gilles Baum (DP) qui saluait la décision du gouvernement allemand de reprendre les expulsions vers l’Afghanistan. L’auteur du commentaire écrivait que « ceux de gauche devraient aussi se faire poignarder« .

J’ai fait un signalement auprès de Bee Secure, mais après une nuit de sommeil, je me suis dit que c’était quand même grave de se faire directement menacer, avec mon nom et ma photo. L’auteur du commentaire a utilisé son vrai nom sans craindre de publier de tels propos et j’ai estimé que cela allait trop loin. J’ai déposé plainte à titre privé, sans parler des propos racistes contenus dans la suite du post, qu’une quinzaine de personnes ont liké.

Des propos tendancieux ont déjà défrayé la chronique au Luxembourg, émanant de partis centristes, et font les beaux jours de l’extrême droite…

Oui, mais on le voit aussi en Allemagne où tous les partis démocratiques essaient de faire de la migration un thème majeur. Ils commencent à faire des contrôles à la frontière. Ici au Luxembourg, nous avons eu le cas de Marc Lies ou de Simone Beissel et plus récemment celui de Gilles Baum, donc, qui a décrété que ceux qui ont commis des crimes devraient pouvoir être renvoyés en Afghanistan.

Nous sommes quand même dans un État de droit! À ce titre, nous n’avons pas la peine de mort, alors on ne peut pas envoyer ces gens à la mort. Nous avons des prisons pour qu’ils purgent des peines en cas de condamnation. Les partis centristes essaient de reprendre le narratif de l’extrême droite, qui gagne partout du terrain. C’est la mauvaise stratégie, vu que cela normalise ces discours antimigrants et permet de renforcer précisément l’extrême droite. On le voit ici au Luxembourg, avec le CSV et le DP.

Contrairement à d’autres pays européens, surtout voisins, le Luxembourg parvient à limiter le vote d’extrême droite vers laquelle tend l’ADR. Cela va-t-il durer ?

Pour l’ADR, c’est un peu plus compliqué. La société est très multiculturelle, un tiers des salariés sont des frontaliers et il n’est pas aussi facile d’adopter des narratifs aussi clairs contre les non-Luxembourgeois. Un avantage du Luxembourg est qu’il reste un petit pays. Tout le monde connaît tout le monde. Je connais beaucoup de personnes qui sont en contact avec des réfugiés ou des gens qui travaillent pour des organisations qui leur viennent en aide. Ceci dit, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de risque et on constate que l’ADR actuel tient également un discours d’extrême droite. Ce n’est plus le même parti qu’il y a dix ans.

Quand Alexandra Schoos, députée ADR, affirme qu’il serait normal que l’AfD fasse partie du gouvernement en Allemagne, c’est plutôt inquiétant…

Oui, c’est tout à fait ça. Au Parlement européen, l’AfD n’a pas pu intégrer le groupe des identitaires, parce que le RN a jugé que le parti était trop radical, et il a rejoint un nouveau groupe appelé « L’Europe des nations souveraines », qui réunit des partis controversés et, ici, au Luxembourg Madame Schoos se permet d’affirmer qu’il n’y a pas de problème d’avoir l’AfD au gouvernement. De telles déclarations sont franchement problématiques.

Aujourd’hui, l’Allemagne remet des contrôles aux frontières et cela n’émeut pas trop le DP et le CSV qui gouvernent. Comment jugez-vous cette situation ?

D’autant plus que la ministre des Affaires étrangères en Allemagne est issue des Verts. C’est un gouvernement fédéral composé de sociaux-démocrates, de libéraux et des Verts, donc des partis traditionnels, qui prennent ces décisions et mènent cette politique. Je pense qu’ils n’ont aucune stratégie pour réagir face à la montée de l’AfD. À mon avis, ils font la pire des choses.

En revanche, la Gauche, qui n’a jamais gouverné, est accusée de tous les maux…

Oui. On voit très bien, comme en France maintenant, que les partis libéraux préfèrent se tourner vers la droite, qui ne répond pas aux questions concernant les revenus, la justice sociale, la redistribution des richesses. Leur préoccupation est-elle de renvoyer les gens en Afghanistan? On dirait bien.

Lors de la campagne électorale de l’année dernière au Luxembourg, presque tous les partis ont sorti la théorie du fer à cheval en affirmant que tous les extrêmes se touchent et ont annoncé qu’ils ne feraient de coalition ni avec l’ADR ni avec déi Lénk. Pourtant, entre plaider pour une taxation du grand capital et tenir un discours antiréfugiés, il y a un écart considérable. Et tout cela participe à relativiser le discours de l’extrême droite.

En matière de logement, vous avez poussé un coup de gueule contre les agences immobilières qui ne respectent pas la nouvelle loi et qui continuent à faire supporter les frais d’agence aux seuls locataires. Déi Lénk ne se sent-elle pas un peu seule dans ce combat ?

Nous critiquons depuis des années ce système! Il est injuste que le locataire, qui n’a pas demandé le service de ces agences, doive payer seul ces honoraires. Elles sont mandatées à 99 % par le propriétaire et, heureusement, une loi dispose aujourd’hui que ces frais doivent être partagés à 50 %. Mais ce n’est pas respecté et cela ne choque personne. Les agences ne se cachent pas et mentionnent dans les annonces que les frais sont à la charge du locataire, ce qui est illégal.

Les gens n’arrivent pas à imaginer que le monde pourrait fonctionner autrement

Au fil des législatures, les députés, comme les gouvernements respectifs, ne se sont jamais vraiment souciés du sort des locataires…

C’est l’éternel problème du Luxembourg où les locataires sont principalement des non-Luxembourgeois qui ne votent pas, autant dire la moitié du pays. Il serait judicieux de permettre à ceux qui veulent vivre ici au Luxembourg de leur offrir cette possibilité à un coût raisonnable. Ils sont nombreux à quitter le pays à cause des loyers exorbitants.

Ce qui n’arrange pas le problème du manque de main-d’œuvre…

Les entreprises se plaignent dans tous les secteurs. Mais jadis, nous avions le grand avantage d’avoir des salaires qui permettaient de se loger correctement. Avec l’augmentation du salaire social minimum en Allemagne, les frontaliers réfléchissent aux avantages de venir travailler au Luxembourg, par exemple. Face au fait de gagner un tout petit peu plus au Luxembourg et de perdre en qualité de vie avec les trajets, certains ont fait le choix de travailler dans leur pays, parce que, de toute façon, ils ne peuvent pas vivre au Luxembourg.

Combien de temps ce système peut-il encore tenir ?

J’avais imaginé il y a déjà des années que ce système allait exploser. La crise du logement touche maintenant même les fonctionnaires de la classe moyenne, qui ont des problèmes pour financer un logement. Mais les gens pensent toujours que c’est normal, que c’est le cours naturel des choses, et personne ne se pose vraiment la question de savoir s’il faudrait que ce système change. Ils ne pensent pas à une alternative, ne se demandent pas si les richesses pourraient être distribuées d’une autre manière. Non, ils ne pensent pas comme ça, donc ils acceptent la situation actuelle.

Par peur du changement ?

Non, c’est un manque d’imagination, je pense. Depuis les années 90 où est sorti le slogan « There is no alternative« , les gens n’arrivent pas à imaginer que le monde pourrait fonctionner autrement. Cela explique également, en partie, le renforcement de l’extrême droite, qui ne remet pas en cause le système capitaliste et apporte des réponses simplistes.

Chez déi Lénk, nous avons des propositions comme l’occupation de tous les logements vides. Tous ces terrains constructibles laissés en friche par des propriétaires qui n’ont pas l’inquiétude d’avoir à payer de fortes taxes, c’est le grand problème. L’impact des nouvelles taxes foncières sera très limité et ne suffira pas à libérer des terrains et des logements vides.

«On voit très bien, comme en France maintenant, que les partis libéraux préfèrent se tourner vers la droite.»

Il faut reconnaître que la représentation au Parlement manque de locataires…

Les locataires y sont absents, mais également les salariés. Ce sont surtout des fonctionnaires ou des avocats qui y siègent, et pourquoi? Parce que nous avons un congé politique de 20 heures par semaine qui sera augmenté à 40 heures, ce qui est une bonne chose. Le pays est composé à 50 % de non-Luxembourgeois et dans quelques années, ce sera une minorité qui décidera pour une majorité. On doit se poser la question et ne pas se contenter de rappeler le référendum de 2015. Nous sommes en présence d’une réalité sociale et démocratique que l’on ne peut pas ignorer. À part déi Lénk, les autres partis n’ont pas le courage de remettre cette question en avant.

En revanche, alors que le sujet ne figurait pas dans l’accord de coalition, l’avenir des pensions fera l’objet d’un vaste débat à la rentrée. Le président de l’UEL, Michel Reckinger, estime que la pension ne peut être due sans cotisations et vise les années d’études et les baby years. Êtes-vous surprise ?

C’est facile! Je n’étais pas surprise, vu que j’avais lu l’avis de l’UEL transmis au Conseil économique et social. Les patrons craignent, par-dessus tout, une augmentation des cotisations et disent n’importe quoi pour éviter ce scénario. Ce n’est même pas nécessaire à ce stade, car il y a des injustices dans le système des pensions que l’on pourrait ajuster dès maintenant pour générer des recettes, comme le déplafonnement des cotisations qui aurait un impact sur 5 % des salariés et qui ferait rentrer 10 % de recettes en plus.

On pourrait le faire demain. Je pense que monsieur Reckinger s’y opposerait de suite pour protéger ces 5 % de salariés qui paieraient plus de cotisations. Plus généralement, je ne suis pas d’accord avec le discours du gouvernement et du patronat qui verse dans le catastrophisme. Par le passé, tous les scénarios de crise prédits ne sont jamais arrivés, à commencer par le discours de Jean-Claude Juncker en 1997 qui annonçait qu’on allait rentrer dans le mur en 2005.

Le mur est annoncé pour 2027, vous n’y croyez pas ?

Il ne faut pas oublier que nous avons une réserve qui peut payer les retraites pendant plus de quatre ans. Le seul problème que l’on aura à partir de 2027, sous les effets de la réforme de Mars Di Bartolomeo de 2012, c’est le niveau des pensions qui ne sera plus intégralement ajusté à l’évolution des salaires, dès lors que les recettes et les dépenses ne seront plus en équilibre.

Déi Lénk va fêter ses 25 ans. Comment le parti se prépare-t-il à célébrer cet évènement ?

Nous allons sortir une brochure qui reprendra l’historique du parti. Le principal évènement sera la publication de cette brochure et, pour le reste, on verra. Après les élections de ces dernières années, nous n’étions pas très motivés à faire la fête (elle rit). En revanche, je me réjouis des adhésions des jeunes dans tous les partis de gauche au Luxembourg, particulièrement chez nous, ce qui me fait dire que la relève est assurée.

Repères

État civil. Carole Thoma est née le 10 octobre 1990 et a passé quasiment toute sa vie à Dudelange.

Études. Elle a suivi des études d’ingénieur en génie civil à Kaiserslautern.

Ingénieur. Elle travaille depuis 2018 dans un bureau d’études en tant qu’ingénieur en ouvrages d’art.

Politique. Carole Thoma rejoint déi Lénk en 2011 lors des élections communales.

Porte-parole. Elle est porte-parole de déi Lénk depuis 2015.

Un commentaire

  1. Si certains membres d l’ADR peuvent parfois dire des âneries, en revanche côté gauchisme c’est pemanent, car dans leur ADN.

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