Carlo Thelen, directeur de la Chambre de commerce, vante l’association LuxDefence, tout juste créée cet été. Il compte sur l’expertise de ses membres pour identifier rapidement les besoins et les attentes de tous les acteurs et profiter des gros budgets consacrés aujourd’hui à la défense.
« Chaque euro investi dans la défense et la sécurité du pays doit être un levier de croissance, de compétitivité et d’innovation pour le Luxembourg », avez-vous déclaré. Comment s’y prendre?
Carlo Thelen : Il s’agit de rompre avec la logique de dépense pure et d’entrer dans une logique d’investissement stratégique, d’où l’idée que chaque euro investi doit générer un retour économique, technologique, mais également en termes d’emploi. Et donc nous voulons transformer une contrainte budgétaire en atout économique.
La recette, c’est en fait de miser sur nos forces existantes, c’est-à-dire la cybersécurité, le spatial, les matériaux avancés, la logistique et l’équipement du soldat. Ce sont des secteurs où nous avons déjà un savoir-faire et des acteurs reconnus. Donc pour maximiser le retour économique le plus rapidement possible, il faut se concentrer sur quelques projets phares autour de ces spécialisations. Évidemment, on doit aussi le faire avec nos partenaires européens. Il faut intégrer nos entreprises dans les chaînes de valeur européennes et transatlantiques pour anticiper les demandes capacitaires.
Le budget qui sera consacré à la défense pour les années à venir est conséquent. Quel rôle l’État doit-il jouer?
C’est un budget pluriannuel d’environ un milliard d’euros par année sur trois ans. C’est énorme. L’État doit jouer un rôle d’acheteur stratégique et de catalyseur. Il doit utiliser des outils comme les précommandes commerciales, le crédit d’impôt recherche et des fonds d’investissement spécialisés. Tous ces éléments sont détaillés dans notre rapport dédié à la défense, Lux4Defence. Cet été, nous avons aussi créé l’ASBL LuxDefence et nous allons publier, cette semaine, une annonce pour un premier recrutement.
Cette association doit jouer son rôle d’accompagnateur stratégique, de plateforme de réseautage, de partenaire du gouvernement et de courroie de transmission entre les entreprises membres et le secteur public. Luxinnovation avait réalisé un relevé des entreprises actives dans ce domaine.
Vu la dynamique récente dans ce secteur compte tenu du contexte géopolitique et vu les budgets en croissance exponentielle, il y a constamment de nouveaux acteurs et de nouvelles initiatives entrepreneuriales qui surgissent. À travers les actions de réseautage et l’expertise de l’association LuxDefence, nous souhaitons les identifier rapidement et coordonner les besoins et attentes de tous ces acteurs, et les accompagner dans leur développement.
Votre rapport Lux4Defence propose la création d’un hub de la défense…
En effet, nous avons présenté ce rapport au gouvernement qui a accueilli très favorablement les recommandations afférentes, dont également l’idée d’un hub de la défense qui servirait de lieu d’interactions entre les acteurs, d’innovation, de maturation de projets communs… quelque chose que seul le Luxembourg, de par sa taille et son agilité, peut offrir. Il s’agirait d’un site sécurisé, avec des infrastructures habilitées pour la R&D, le prototypage et les tests. L’objectif est de réduire les barrières à l’entrée pour les PME et start-up, mutualiser les coûts de sécurisation et créer des synergies avec l’armée et les institutions européennes.
Ce hub de la défense serait-il finalement implanté au Freeport ?
C’est une idée. Ce site doit être stratégique, sécurisé et très bien connecté. Le Freeport semble présenter ces caractéristiques, mais il y a peut-être d’autres sites. Il nous paraît important d’avancer rapidement sur ce sujet.
Le Luxembourg part avec un déficit d’expérience industrielle et commerciale dans le domaine de la défense. Un retard facile à rattraper ?
Nous avons effectivement un déficit d’expérience dans ce domaine, en revanche, nous avons une capacité historique à fédérer rapidement un écosystème et à attirer des acteurs internationaux, comme cela s’est déjà produit dans l’industrie, dans la finance, dans le spatial et dans le domaine des technologies de la santé. Nous pouvons réagir rapidement pour mettre en place un cadre juridique stable, attractif, en vue d’attirer une expertise internationale et des investisseurs étrangers.
La loi sur les armes doit être réformée, selon la Chambre de commerce, et rapidement. De quelle manière ?
Il ne s’agit pas de déréguler, contrairement à ce que certains prétendent, mais de créer un cadre clair, transparent et sécurisé pour permettre à nos entreprises d’innover et de rester au Luxembourg. La loi actuelle sur les armes de 2022 peut constituer un obstacle à l’implantation d’entreprises de la défense au Luxembourg, car elle manque de clarté. Elle a été élaborée à un moment où le Luxembourg n’avait pas les mêmes ambitions ou besoins en matière de défense.
Nous devons introduire des exceptions encadrées pour permettre la production et la commercialisation d’armes sous contrôle strict. Le cadre légal doit traduire les ambitions du Luxembourg de constituer une base industrielle et technologique de défense performante et compétitive. Avec l’association LuxDefence, nous sommes à la disposition du gouvernement pour identifier les problématiques et exprimer les attentes des entreprises en la matière.
La Chambre de commerce a l’ambition de propulser le Luxembourg au cœur de l’IA européenne. Faisable ?
Dans notre rapport LuxAIhub, nous proposons une série de recommandations concrètes pour relever ce défi. Je crois que dans certains domaines, le Grand-Duché est d’ores et déjà bien positionné, notamment au niveau des data centers ou de la cybersecurity, mais a aussi une stratégie nationale ambitieuse, le projet de l’AI Factory et des premiers partenariats stratégiques annoncés. Mais pour se positionner véritablement au cœur de l’IA européenne, il faudra accélérer, coordonner tous les acteurs et investir de manière ciblée, voire créer un cadre permettant des financements renforcés et diversifiés pour soutenir le développement de l’IA. Il faut éviter des doublons ou une multiplication de gouvernances, et il faut que tous les acteurs travaillent dans la même direction. C’est un prérequis quand on est dans un petit pays.
D’autres initiatives favorables sont le crédit d’impôt start-up, le carried interest, le mécanisme d’actionnariat salarié adapté aux start-up ou la « loi Rau reloaded« , évoquée par le ministre des Finances, qui pourrait mobiliser l’épargne privée. Ces initiatives montrent que les choses bougent au Luxembourg, et il ne faut pas s’arrêter là! Il est essentiel d’obtenir des résultats concrets et tangibles dans les meilleurs délais.
Donc ce développement de l’intelligence artificielle peut avoir un énorme impact sur l’économie ?
Absolument. Je pense que c’est quelque chose où l’Europe, en général, doit faire des efforts considérables par rapport à la Chine et aux États-Unis. Au Luxembourg, on est bien situé pour y contribuer avec notre économie ouverte, tournée vers les services et activités à haute valeur ajoutée. Mais on a aussi encore une industrie innovante qu’il faut absolument conserver et, pour la rendre plus forte, il faut également passer par l’intelligence artificielle pour générer des gains de productivité. Elle servira aussi à enlever la pénibilité au travail dans certains autres secteurs.
On parle souvent des risques potentiels, c’est-à-dire que l’IA ferait disparaître des jobs, mais dans chaque révolution industrielle, il y a toujours de tels défis mais également de nouvelles opportunités et activités par la suite. Les acteurs privés, avec le support du gouvernement, ont aussi mis en place des outils d’upskilling et de reskilling pour les salariés et les entrepreneurs afin qu’ils soient prêts à ces changements, à ces transformations. Et je crois qu’il faut considérer l’IA positivement, parce que les transformations sont d’ores et déjà en cours et donc il faut se préparer et l’accompagner de manière proactive pour ne pas se faire dépasser.
Ne rien faire coûterait infiniment plus cher – économiquement, socialement et démocratiquement
La population semble davantage se soucier de l’avenir des pensions, qu’à un complexe militaro-industriel ou à l’IA …
L’avenir des pensions est un sujet sociétal vaste et complexe qui concerne davantage de groupes de la population que ceux représentés au travers de la table ronde sociale ou lors de la mobilisation syndicale d’il y a quelques mois. Je pense que l’objectif du gouvernement était de mener un vaste débat impliquant justement toute la société. On peut discuter sur cette méthode ou sur la communication autour du sujet, mais les chiffres sont évidents et sans appel : le régime actuel – le plus généreux au monde – n’est pas soutenable à moyen ou à long terme.
Donc il faut faire de légères adaptations aujourd’hui, pour ne pas subir demain l’effondrement du système au détriment des jeunes générations. Aujourd’hui, nous faisons face à une croissance faible – quatre années consécutives sous 1 % – et à des dépenses sociales qui augmentent plus vite que les recettes, sous le double effet du ralentissement de la croissance et du vieillissement de la population. Nous devons rebâtir un cercle vertueux, fondé sur l’innovation, la durabilité, la productivité et aussi une solidarité repensée. Cela passe par des réformes structurelles ambitieuses et non pas par l’immobilisme, qui menacerait le triple A, c’est-à-dire la crédibilité du Grand-Duché sur les marchés financiers internationaux.
Quels sacrifices faudrait-il faire ?
Une réforme ou une adaptation n’est pas automatiquement synonyme d’un sacrifice. S’il faut sacrifier quelque chose, ce n’est pas notre modèle social, mais l’illusion qu’il peut perdurer sans changement. Sacrifier l’immobilisme, c’est accepter des compromis ambitieux pour garantir la pérennité de nos pensions, de notre système de santé et de notre prospérité collective. Ne rien faire coûterait infiniment plus cher – économiquement, socialement et démocratiquement – que d’agir maintenant. Réformer, ce n’est pas renoncer à notre prospérité, c’est le seul moyen de la préserver pour nos enfants.
Vous croyez à un compromis qui peut émerger du dialogue en cours ?
J’espère que la réunion du 3 septembre débouchera sur un compromis ambitieux avec des changements qui renforceront la compétitivité de l’économie et qui garantiront la pérennité de notre modèle social et de notre système de pensions. Si ce n’est pas le cas, le gouvernement doit prendre ses responsabilités.
Repères
État civil. Carlo Thelen est né le 9 août 1971, il est marié, père de trois enfants.
Études. Il est détenteur d’un master en sciences économiques de l’université catholique de Louvain.
Débuts. Carolo Thelen a rejoint la Chambre de commerce en janvier 1996 comme conseiller économique.
Fonctions. Membre du comité de direction depuis août 2003, Carlo Thelen a occupé les fonctions de directeur des Affaires économiques, directeur des Affaires internationales et «Chief Economist».
Directeur. Il est nommé au poste de directeur général en janvier 2014, succédant à Pierre Gramegna, entré au gouvernement en décembre 2013.
État civil. Carlo Thelen est né le 9 août 1971, il est marié, père de trois enfants.
Études. Il est détenteur d’un master en sciences économiques de l’université catholique de Louvain.
Débuts. Carolo Thelen a rejoint la Chambre de commerce en janvier 1996 comme conseiller économique.
Fonctions. Membre du comité de direction depuis août 2003, Carlo Thelen a occupé les fonctions de directeur des Affaires économiques, directeur des Affaires internationales et «Chief Economist».
Directeur. Il est nommé au poste de directeur général en janvier 2014, succédant à Pierre Gramegna, entré au gouvernement en décembre 2013.