Accueil | A la Une | Nora Back (OGBL) : «Un accord tripartite est loin d’être acquis»

Nora Back (OGBL) : «Un accord tripartite est loin d’être acquis»


«Le camp patronal cherchait manifestement à s'attaquer à l'index», fustige Nora Back.(Photo : Julien Garroy)

Nora Back, la présidente de l’OGBL, reste très prudente quant à la conclusion d’un accord tripartite pour atténuer la hausse généralisée des prix. L’enjeu majeur sera le mécanisme de compensation pour le décalage de l’index.

Le patronat s’est dit, mercredi, pleinement satisfait. Le gouvernement espère avoir soumis les concessions nécessaires aux partenaires sociaux pour conclure un accord tripartite. Le camp syndical est bien plus dubitatif.

La présidente de l’OGBL, Nora Back, annonce des discussions très compliquées qu’il reste à mener.

Avec un peu de recul, comment jugez-vous le résultat obtenu au bout de deux jours de négociations tripartites?

Nora Back : La complexité de la situation reste inchangée. Le besoin de clarifier des choses est important. Beaucoup de discussions restent à mener avant de pouvoir dire si un accord final pourra intervenir ou pas.

Dès le départ, notre objectif a été de défendre le pouvoir d’achat des ménages. Cela reste notre priorité absolue. Le camp syndical a soumis des revendications allant dans ce sens. Le camp patronal, par contre, cherchait manifestement à s’attaquer à l’index.

Ce n’est qu’après de longues discussions, très tendues, que l’on est tombés d’accord sur le fait que la gravité de la crise nécessite des mesures exceptionnelles, à la fois pour les ménages les plus vulnérables et pour les entreprises les plus énergivores. Pendant deux jours, un éléphant se trouvait toutefois dans la pièce…

Pendant deux jours, un éléphant se trouvait dans la pièce…

Vous faites référence à l’index. Le compromis proposé par le gouvernement est-il suffisant pour faire sortir cet éléphant de la pièce?

Nous sommes soulagés que le mécanisme de l’indexation ne soit plus remis en question et que la tranche prévue pour avril soit versée. Les discussions ont été rudes sur ce point.

Désormais se pose la question de ce qui adviendra d’une prochaine tranche en 2022. On nous a expliqué que le versement de plusieurs tranches successives représente un coût trop lourd pour les entreprises.

Les entreprises les plus énergivores ne sont cependant pas forcément celles qui comptent le plus grand nombre de salariés. Toucher à l’index aide donc plutôt les entreprises comptant des effectifs plus importants, mais qui sont moins lourdement impactées par la hausse des prix de l’énergie.

L’idée de base de soulager l’ensemble des entreprises est difficile à accepter pour les syndicats. Mais en fin de compte, on est contents que la tranche d’avril reste acquise.

Le mécanisme de compensation annoncé est-il suffisant à vos yeux?

Les ministres présents, toutes couleurs confondues, le patronat et nous aussi, en tant que syndicats, avons été d’accord sur le principe qu’il fallait instaurer une aide ciblée pour les ménages les plus lourdement impactés par la flambée des prix. On est tombés d’accord sur le principe d’une compensation par le biais d’un crédit d’impôt.

Mais à part le principe, on ne dispose encore d’aucun détail sur ce mécanisme. Une réunion est prévue ce vendredi matin au ministère des Finances pour nous présenter les contours de cet outil de compensation.

Le Premier ministre a évoqué mercredi une « surcompensation » en annonçant ce mécanisme. Est-il donc acquis que les ménages les plus vulnérables vont bénéficier d’une aide financière supérieure aux 2,5 % de la tranche indiciaire de base?

Aucun montant précis n’a encore été annoncé. La difficulté avec un crédit d’impôt est qu’il s’agit d’une compensation nette alors qu’une tranche indiciaire est brute. On ne peut donc pas tout simplement dire en banalisant que le bénéficiaire du salaire social minimum va toucher 3 %, une personne qui touche un revenu moyen 2 % et qu’un salarié gagnant un salaire moyen une compensation de 1,5 %.

Ce serait une erreur de procéder ainsi. La situation diffère fortement selon les classes d’imposition. En aucun cas, il ne doit y avoir des perdants avec ce mécanisme. Il nous faut aussi définir qui sera vraiment éligible pour cette aide.

Sera-t-il suffisant de faire bénéficier les revenus les plus bas, regroupés dans les quintiles 1 et 2, tout comme les revenus de la partie inférieure du quintile 3?

Nous sommes d’avis qu’il faut peut-être inclure également les revenus situés en bas de l’échelle du quintile 4. Les quintiles sont calculés sur base du revenu global d’un ménage. Cela complique la différenciation entre les salaires respectifs. Je doute que l’on puisse s’accorder sur le montant éligible maximal, mais on ne va certainement pas accepter une nouvelle aumône pour les bas salaires.

Le problème auquel on est confrontés n’impacte plus seulement les plus pauvres, mais aussi une bonne partie de la classe moyenne. Il nous faut donc agir pour l’ensemble des ménages concernés.

Contrairement à une tranche indiciaire, le crédit d’impôt ne peut pas être accordé dans l’immédiat. Un problème supplémentaire pour vous?

Le mécanisme de compensation entraîne des dizaines de questions. Quel sera le montant, qui va pouvoir en bénéficier et finalement quand et comment les gens concernés pourront en bénéficier? Les gens concernés doivent être aidés maintenant, pas dans 12 mois.

La réduction de 7,5 centimes d’euros ne va s’appliquer qu’à partir d’un prix de 1,70 euro par litre. Pour l’instant, le mazout est donc exclu

Avec quelles attentes abordez-vous les négociations à venir?

La discussion s’annonce très compliquée. En principe, ce mécanisme devrait non seulement compenser la tranche indiciaire décalée, mais aussi les pertes du pouvoir d’achat subies par la non-adaptation du barème d’imposition à l’inflation. L’index n’est pas un outil pour corriger des inégalités sociales. Il s’agit uniquement d’un moyen de compensation pour la perte du pouvoir d’achat provoquée par une hausse des prix.

Le gouvernement refuse toutefois une discussion sur une adaptation du barème, jugée trop coûteuse. Il s’agit d’une erreur politique fondamentale.

Quelles sont donc les chances pour aboutir à un accord?

Un accord est loin d’être acquis. Si on ne peut pas parler de la progression à froid (*), il sera encore plus compliqué de trouver un accord. Pour vraiment pouvoir aider les plus vulnérables, il ne faut pas se pencher sur l’index, mais sur la fiscalité. Le barème doit être adapté à l’inflation, sans quoi l’équation ne sera pas à résoudre. Au vu des inconnues qui persistent, je reste donc très prudent quant à l’issue des négociations.

Au-delà de l’indexation, le projet d’accord comporte d’autres mesures qui ont été revendiquées par les syndicats. Quel regard portez-vous sur ces éléments?

Le gel des loyers est important, car il s’agit d’une mesure qui n’aide pas seulement les locataires en difficulté, mais contribue aussi à freiner l’inflation. Les loyers font en effet partie intégrante du panier de la ménagère. Si les loyers n’augmentent pas, l’inflation pourra être freinée et la prochaine tranche indiciaire va être retardée. On voulait obtenir le même principe de plafonnement sur les prix de l’énergie.

Quoi penser donc de la baisse annoncée de 7,5 centimes d’euros par litre de carburant?

Notre revendication a été de baisser la TVA et les accises perçues sur les énergies fossiles. Cette option a été rejetée par le gouvernement pour des raisons réglementaires et écologiques. On ne remet pas en cause le besoin d’agir pour la transition écologique, mais on a besoin d’aides urgentes et limitées dans le temps. Ce n’est pas demain que tout le monde va rouler à l’électrique ou assainir énergétiquement son logement.

Mais d’où viendront ces 7,5 centimes d’euros, si ce n’est pas par la TVA et les accises?

Les explications pour le choix de ce montant doivent encore être livrées par le gouvernement. Il faut savoir que la réduction de 7,5 centimes ne va s’appliquer qu’à partir d’un prix de 1,70 euro par litre. Pour l’instant, le mazout est donc exclu. Le montant est déduit directement à la pompe. C’est bien le consommateur qui va pouvoir en profiter, or une baisse de la TVA et des accises aurait été plus adaptée pour freiner l’inflation.

Malgré tout, on semble avoir retrouvé le véritable esprit de la tripartite. Un signe positif pour la conclusion d’un accord final?

Il s’agit de la première tripartite pour moi où une véritable négociation sur les revendications et propositions a eu lieu. Cela ne s’est pas limité à trois monologues sans avoir d’échange. Les discussions ont été interrompues à plusieurs reprises afin de permettre aux différentes parties d’analyser les propositions et formuler leurs répliques.

La volonté de trouver un accord était clairement présente. C’est toujours le cas. Mais cet accord ne pourra pas se faire à n’importe quel prix. Le principal enjeu reste l’indexation.

(*) Si l’impôt est progressif (donc si le taux de l’impôt augmente avec le revenu), un salaire indexé sera imposé selon un taux plus élevé, alors que sa valeur réelle n’augmente pas. Autrement dit, le pouvoir d’achat diminue.